LE BAPTÊME AVAIT EU LIEU au crépuscule. Les trois chatons étaient sortis de la pouponnière, le pelage lissé par les coups de langue de leur mère. En passant devant le Clan entier pour se rendre au Rocher de l'Aiglon, Petit Soleil avait jeté un coup d'œil à son père. Ce dernier était malheureusement déjà mentor de Nuage Feuillu. Le chaton aurait bien aimé être son apprenti, bien qu'il ne soit pas sûr que ce soit possible.
Le petit mâle roux se tenait un peu voûté par rapport aux autres mais ses prunelles luisaient de fierté. Il ronronna lorsque ses enfants passèrent près de lui. Feu de Bois n'était pas le meilleur guerrier mais il était tout de même assez bon. Et surtout, il était juste et compréhensif, deux qualités qui manquaient parfois aux plus forts.
Petit Soleil enviait fortement Nuage Feuillu. Qui serait son mentor à lui ?

La premier baptisée avait été Petite Tâche. La femelle courte sur pattes s'était avancée, relevant haut la tête mais restant tout de même plus petite que son frère et sa sœur. La voix grave et calme du meneur Étoile d'Azur avait retentit dans tout le camp.

— Jusqu'à ce qu'elle devienne une guerrière accomplie, cette apprentie se nommera Nuage Tacheté. Pâquerette des Champs, tu es une guerrière agile et fière. Enseigne à Nuage Tacheté toutes tes connaissances pour la faire devenir aussi forte que toi.

La novice s'était avancée vers la guerrière blanche. Celle-ci était connu pour son fort caractère. Petit Soleil avait pensé que sa sœur et elle s'entendrait bien, même si elles risquaient de se chamailler parfois. Il sourit devant la joie de sa sœur, qui faillit heurter le nez de Paquerette Champs en se relevant.
Puis, son nom était sorti de la bouche de Étoile d'Azur.

— Petit Soleil.

Surpris, le chaton roux s'était avancé avec timidité. Tous ces regards sur lui le mettait si mal à l'aise ! Ses yeux turquoise avaient rencontré le regard bleu du meneur. Depuis toujours, il l'admirait et voulait lui ressembler plus tard. Savoir que son modèle posait enfin les yeux sur lui et lui parlait le rendait toute chose.

— Jusqu'à ce qu'il reçoive son nom de guerrier, cet apprenti se nommera Nuage de Soleil, continua le meneur de sa belle voix grave et calme. Pelage de Jais ? Tu as déjà formé un apprenti et ton boulot fut formidable. J'attends de toi que tu fasses de même avec Nuage de Soleil.

Intimidé, le nouvel apprenti s'était tourné vers le mâle qui s'avançait. Il était grand, avec un pelage noir et brillant, plaqué contre son corps mince et élancé. Ses yeux vert clair, fins et en amande, reflétaient le soleil. Il était fier et majestueux.
Leur truffe s'était frôlée, comme le veut la cérémonie, puis Nuage de Soleil avait regagné sa place aux côtés de Nuage Tacheté. Avoir son nouveau nom lui faisait bizarre. Il y a quelques minutes à peine, il s'appelait Petit Soleil et voilà qu'il était un apprenti. Il ne partagerait plus jamais sa litière avec sa mère, s'endormant contre ses poils doux et chaud. Cela le rendit presque nostalgique.

Petite Lumière s'était ensuite avancée. En plein soleil couchant, dans les lueurs roses du soir percutant sa fourrure clair, sa beauté était frappante. La cérémonie s'était poursuivie et la désormais Nuage de Lumière avait été associée à Griffe de Caillou, une femelle grisâtre et tachetée plutôt pessimiste. Le grand matou gris qui servait de meneur au Clan de l'Air avait sauté en bas du Rocher et disparu dans la minuscule grotte qui descendait en dessous et lui servait de tanière. Nuage de Soleil ne l'avait pas quitté des yeux.
Est-ce qu'un jour je verrai cette tanière ? Est-ce qu'un jour, je poserai mon regard turquoise sur ces chats en contrebas, perché sur ce grand rocher ?
Est-ce qu'un jour... je serais à sa place ?
Voilà les questions qui tournoyaient en boucle sans sa tête, tel des aigles autour de leur proies. Un rêve innocent, voilà ce que c'était. S'il avait su... s'il avait su...

L'assemblée de chats se dissout comme de la bile de souris dans l'eau, mais en moins dégoûtant et odorant.

— Salut !

La voix était claire et forte, même si son utilisatrice ne criait pas, et vrillait un peu les oreilles sensibles de Nuage de Soleil. Nuage Feuillu s'était approchée de lui en trottinant joyeusement, sa queue levé vers le ciel rougeoyant. Il avait dardé ses yeux sur elle, sans trop savoir ce qu'il devait faire ou répondre. Même entourée de deux sœurs, il était toujours mal à l'aise avec les femelles inconnues. Elles étaient si faciles à froisser. Un mot de travers et elles t'en voulaient pour une lune entière !
Mais il était mal à l'aise avec les mâles aussi. Il les trouvait arrogants et bagarreurs. En fait, il préférait la solitude. Oui la solitude, c'était bien. Aucun risque de dispute avec soi-même, n'est-ce pas ?

— C'est super que vous soyez apprenti ! avait-elle braillé haut et fort — surtout fort en fait.

Un peu gêné, après tout il ne lui avait jamais parlé, il hocha la tête silencieusement. C'était donc elle l'apprentie qui avait eu la chance d'avoir son père pour mentor.
Tu n'as pas à être gêné avec elle, se reprit-il. Puis il avait agité la queue pour la saluer et lui faire comprendre qu'il devait la quitter, avant de se diriger vers sa sœur Petite Lumière — non Nuage de Lumière ! — en pleine discussion avec son mentor.

— Tant que tu ne seras pas guerrière, tu obéiras à mes ordres, grondait la guerrière, la tête haute pour dominer l'apprentie.

— Je disais juste que tous les apprentis vont faire le tour du territoire en même temps ! Il vaudrait mieux partir après ou faire autres chose ! rétorqua la petite novice roux pâle.

— Tu n'as pas à contester mes décisions.

Sa sœur cracha, la fourrure hérissée, avant de se détourner et de marcher d'un pas digne vers la pouponnière. Avant de se reprendre et de se diriger vers la tanière des novices.
Nuage de Soleil, lui, en avait l'estomac tout retourné. Et si son mentor et lui ne s'entendaient pas ?! Comment ferait-il ? Il ne pourrait pas changer !
Alors qu'il allait se lancer à la poursuite de sa sœur, mû par un instinct sortant de on-ne-sait-où, celui d'être auprès de quelqu'un qu'il connaissait et qu'il aimait, une voix miaula dans son dos.

— Nuage de Soleil ! disait-elle.

Pétrifié, il jeta un coup d'œil derrière lui. Pelage de Jais et Feu de Bois se tenaient un peu plus loin, leur fourrure se touchant et contrastant l'une avec l'autre. Si différente et si semblable. Le bois brûlé et le feu. La nuit et le crépuscule.
Les yeux de son père débordaient de fierté. Nuage de Soleil savait qu'il risquait de fondre en larmes. Et cela, il ne le souhaitait vraiment pas. Voir les autres pleurer le mettait mal à l'aise. Posant délicatement ses coussinets au sol, il s'avança en silence, la tête baissé. Seuls ses yeux restaient fixés sur son mentor.
Lorsqu'il fut parvenu à leur hauteur, il releva légèrement son visage pour observer le grand mâle noir plus en détail. Malheureusement pour lui, la ressemblance avec son fils Petite Fleur était frappante. Il espérait que leurs caractères en revanche, seraient différents.

— Bonjour Nuage de Soleil, sourit doucement le mâle, comme s'il était conscient de la timidité du chaton. Désormais, nous sommes unis par les liens du baptême.

Unis par les liens du baptême... quelle belle image ! Les grands yeux turquoise du jeune novice s'agrandirent. En une phrase, Pelage de Jais venait de devenir un second modèle pour lui.
Peut être enfin, pourrait-il confier à quelqu'un son goût pour la beauté de la nature et l'inspiration poétique. Feu de Bois tout en étirant ses lèvres doucement, s'avança vers son fils de ce pas feutré qui lui était si caractéristique. Il enroula sa queue autour des petites pattes blanches et duveteuses de sa progéniture et lui lécha l'oreille.

— Félicitations, lui dit-il de sa voix claire et étonnament aiguë pour un mâle. Je suis sûre que tu feras un guerrier aussi formidable que ta mère.

Heureusement que la fourrure du chaton était rousse au niveau de ses joues car il était devenu écarlate. Pour lui et ses sœurs, être comparé à leur mère était tout simplement incroyable ! C'était sans aucun doute le plus beau compliment que son père pouvait avoir.

— J'ai appris, continua Pelage de Jais après un coup d'œil rapide échangé avec Feu de Bois. Que tu était parfois timide et hésitant avec les autres. Pour commencer, je te propose de faire connaissance avec les autres apprentis d'abord. Tu verras, ils sont très accueillants avec les nouveaux.

Nuage de Soleil hocha la tête en silence. Il n'en avait pas vraiment envie mais son mentor avait raison. S'il voulait s'intégrer, c'était maintenant ou jamais.
Les oreilles pointant sur le haut de son crâne et le regard assuré, il fit quelques pas en direction de la fameuse tanière autour de laquelle discutait quelques félins. Nuage Feuillu les avait rejoint, au moins un visage et une fourrure familiers. Elle était en compagnie des trois autres apprentis et de Nuage Tacheté — appeler sa sœur Petite Tâche comme cela lui faisait tout drôle désormais. Le plus grand des apprentis était un mâle, qui relevait haut la tête avec une expression de fierté intense, avec un poil blanc parsemé d'épaisses tâches marrons, aux grands yeux bleu ciel. Nuage de Soleil croyait se souvenir de lui comme l'aîné des apprentis.

A ses côtés, un mâle au pelage gris le regardait avec une expression si dégoulinante d'adoration que c'en était écœurant. Sa stature, sa pose et sa manière de se mouvoir étaient familières à Nuage de Soleil... son regard dévia sur Nuage Feuillu et il s'aperçut que la novice avait exactement la même gestuelle. Ils étaient donc sans doute frère et sœur. La dernière, il la connaissait. C'était Nuage de Violette, l'apprentie guérisseuse depuis moins d'une lune, une petite femelle au pelage charbonneux, court et emmelé au regard endormi.
D'un pas hésitant, il s'avança vers ce petit monde qui discutait gaiement. Il se posta un peu à l'écart pour écouter leur conversation, n'osant pas s'immiscer dedans. Il entendit d'abord la voix du mâle brun et blanc.

— Je pense qu'il est plus judicieux de bondir quand notre instinct nous le dicte, miaulait-il d'une voix forte et assurée.

— Je suis d'accord avec Nuage d'Aigle ! ajouta le mâle gris, ses yeux gris grands ouverts et fixés sur le dénommé.

Sa sœur leva les yeux au ciel. Ils étaient visiblement en plein dans un débat sur la chasse. Nuage de Soleil, qui n'avait jamais chassé de toute sa vie, ne comprenait pas vraiment mais décida de rester écouter tout de même.

— N'importe quoi ! Vous êtes aussi stupides l'un que l'autre, brailla-t-elle si fort que Nuage de Violette plissa les yeux devant tant de décibels. Il vaut mieux attendre le dernier moment, pour être sûre de ne pas la louper !

— C'est justement là où tu vas le louper, rétorqua Nuage d'Aigle en levant les yeux au ciel. Le gibier lui, ne va pas attendre le dernier moment ! Si tu attends trop longtemps, quelque chose finira par trahir ta présence.

Nuage Tacheté aperçut enfin Nuage de Soleil. Ses yeux plus sombres que ceux de son frère s'agrandirent et elle lui fit des signes frénétiques avec les pattes, qui étaient tout sauf discret. Le petit mâle roux secoua rapidement la tête pour lui faire signe d'arrêter avant de se rendre compte que les autres apprentis s'étaient arrêtés de parler. Quatre paires d'yeux le dévisageaient sans compter sa sœur qui, peu futée, continuait de faire des signes. Il rougit jusqu'à la racine de ses poils, heureusement roux, et pensa : c'est le moment. Le moment pour lui de rentrer complètement dans la vie de Clan.
D'une voix chevrotante qu'il maudit, il miaula tout bas :

— Euh... salut ?

Nuage Tacheté se plaça juste à côtés de lui, en arrêtant enfin de faire ses gestes ridicules et lâcha d'une voix forte :

— C'est mon frère !

Ce que les autres novices devaient déjà savoir, étant donné qu'ils avaient assisté à la cérémonie de tout à l'heure. L'aîné, Le mâle brun et blanc, s'avança le premier, sans cesser de l'observer avec attention.

— Je suis Nuage d'Aigle, le plus âgé des novices, commença-t-il en se redressant un peu avant d'incliner légèrement la tête comme signe de salut. Voici Nuage de Granit et sa sœur Nuage Feuillu. Et enfin, la petite dernière — enfin plus maintenant — Nuage de Violette.

Chaque félin inclinait la tête à l'entende de leur nom. Le mâle qui jetait toujours des regards admiratifs à Nuage d'Aigle était donc Nuage de Granit. Le mâle gargouilla :

— Je suis... Pe- euh non Nuage de Soleil.

Quand arriverait-il à s'habituer à son nouveau nom ! Pourquoi tout le monde y arrivait et lui n'y parvenait pas ? Pourtant, c'était normal dans le Clan.
Ce n'est que la première journée, se rassura-t-il.
Les apprentis cessèrent enfin de le regarder pour reprendre leur discussion de leur côté. Nuage Feuillu l'invita à prendre part à la discussion avec un sourire mais il recula pour décliner. Il ne connaissait rien à la chasse, il n'aurait fait que se ridiculiser.

Soudain, alors que les apprentis continuaient à débattre, il sentit une petite patte frôler son dos. En poussant un cri aiguë, il sauta en l'air pour s'éloigner de cette chose bizarre et inconnue. Avant de se rendre compte que ce n'était que Petite Nuit qui était venue le saluer.
La petite chatonne noire sourit de toutes ses dents en s'exclamant :

— Sympa l'accueil ! J'suis si horrible que ça ?

Soulagé, Nuage de Soleil sourit à son tour. Petite Nuit était une des rares femelles, autres que sa famille il entendait, avec qui il arrivait à se comporter normalement, sans être gêné. Il faut dire que la petite, toujours joyeuse et bavarde pouvait parler pendant des heures toute seule, alors que lui se contentait d'hocher la tête à certains moments.
La chatonne s'assit sur ses patte ou plutôt se posa lourdement dessus en soufflant.

— Pfff, t'as de la chance d'être apprenti ! Je vais devoir me coltiner Fleurette et Jajade pendant deux lunes entières !

Une autre caractéristique de Petite Nuit, c'était qu'elle donnait des surnoms à tout le monde. En fonction de ses sentiments envers le félin concerné, le surnom serait plus au moins flateur. Concernant ses frères, cela les tournait plutôt au ridicule. En revanche, le surnom de Nuage de Soleil était mignon, symbole de l'affection qu'elle lui portait : Soleillou.
Ce dernier esquissa un mince sourire, toute suite plus à l'aise. Il avait l'impression de respirer enfin, après avoir retenu son souffle pendant des lunes.

- Ce sont tes frères tout de même, fit-il remarquer doucement. Des frères et sœurs ne peuvent pas se détester.

Une étincelle amusée s'alluma dans les yeux de la petite femelle.

- Je ne les déteste pas, Soleillou. Ils me tapent juste sur la queue !

La voix de sa mère, Cœur Noir retentit soudain dans le camp. Nuage de Soleil ne l'avait même pas remarqué mais la nuit tombait rapidement et les plateaux étaient pratiquement plongés dans le noir. Œil des Neiges était déjà perchée sur le Roc de l'Œil, pour surveiller le camp. C'était à son tour d'être la sentinelle. Tous les autres étaient déjà rentrés dans leur tanière respective.

Petite Nuit salua donc le nouvel apprenti avant de se précipiter vers la tanière protégée par de grands pans de rocher. Lorsqu'elle s'enfonça dans la pénombre, il se retrouva seul au milieu du camp. Le cœur battant si vite qu'il crut qu'il allait s'enfuir jusqu'à la Clairière de la Lune, il se retourna pour fixer la tanière masquée derrière le Rocher de l'Aiglon. L'antre du chef. L'antre d'Étoile d'Azur.
Le trou noir et profond semblait l'appeler, le happer, le tirer avec une force auquel il était dur de résister. Mais le novice résista. Il se détourna, le cœur envahi d'un milliers d'émotions intenses.

Il pénétra dans la tanière des apprentis, silencieusement, comme à son habitude. Seule Nuage de Lumière releva la tête et lui fit signe. Il se coucha juste à côtés d'elle et s'endormit plutôt rapidement, la douce fourrure de sa sœur contre son flanc.

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— Quand je serai grand, je serai le chef du Clan de l'Air.

Les grands yeux turquoises de Nuage de Soleil s'agrandirent. C'était minuit. Depuis l'annonce de la prophétie, cette heure ne le rassurait pas mais Nuage d'Aigle l'avait persuadé de venir ici. C'était un coin tranquille d'où l'on pouvait apercevoir jusqu'au territoire du Clan de l'Eau. Ils étaient venus ici car aucun d'eux n'arrivaient à dormir.

Voilà 3 lunes que le baptême de novice de la portée de Poil de Tortue avait eu lieu. Nuage de Soleil avait donc vécu comme un apprenti. Son mentor Pelage de Jais était assez compréhensif, bien qu'exigeant, et même si se battre le répugnait parfois, le jeune mâle s'en sortait bien. Du côté de ses sœurs, rien d'étonnant. Nuage de Lumière s'était révélée être une grande stratège et Nuage Tacheté, une guerrière puissante. Nuage de Soleil se situait entre les deux, souvent dans la lune, assez agile et rapide mais aussi réfléchi.
Durant ces derniers lunes, il s'était rapproché de Nuage d'Aigle au point de devenir son meilleur ami, au grand mécontentement de Nuage de Granit, jaloux de voir son modèle être proche d'un autre que lui. Les deux mâles s'entendaient bien. Nuage de Soleil admirait secrètement Nuage d'Aigle car ce dernier était fort et rapide. Son mentor, Poitrail Argenté, ne cessair d'ailleurs de chanter des louanges à son sujet à tout le Clan. Demain, le novice serait un guerrier.

Nuage de Soleil referma les yeux avant de les rouvrir. Avait-il bien entendu ? Son ami avait les mêmes ambitions que lui ? Mais... leurs rêves n'étaient pas compatibles. L'un des deux ne le réaliserait forcément pas. Ou alors... il faudrait que l'un meurs en tant que chef pour laisser la place à l'autre.
Il ne préférait même pas y penser. Il n'avait parlé de ce rêve à personne. Et alors que ce soir, il voulait en faire part à Nuage d'Aigle, c'était devenu impossible. Impossible car le mâle marron et blanc était fier et risquait de le voir comme un rival. Et il n'était pas prêt à dire adieu à cette amitié.

— C'est... c'est un bon rêve, lâcha-t-il d'une petite voix, la gorge nouée.

Nuage d'Aigle ne fit pas attention aux tremblements qui le secouait désormais. Il regardait les étoiles, un grand sourire sur les lèvres.

— N'est-ce pas ? Je serai Étoile d'Aigle, le plus grand chef que le Clan de l'Air n'ait jamais connu. Tant que je serais à sa tête, jamais nous ne perdrons une bataille. Je serais sage et juste. Comme Étoile d'Azur. Mais en mieux.

Ce n'était pas comme des paroles en l'air de chaton, même si cela pouvait y ressembler, ce n'était pas son genre.
Non, c'était une promesse.
Nuage de Soleil frissonna.
Étoile Ensoleillée pourra-t-il exister ailleurs que dans mes rêves ? pensa-t-il avec tristesse.
La queue de son ami battit l'air et effleura son flanc sans le vouloir lorsqu'il se retourna.

— Bon j'y vais. Je dois me reposer pour demain. Tu ferais mieux d'en faire autant. Bonne nuit !

Avec son corps agile et musclé, il redescendit rapidement l'amas de rocher qui formait la tanière des apprentis et disparut à l'intérieur de celle-ci. Nuage de Soleil resta donc seul, avec les étoiles.
Il poussa un long soupir, plusieurs émotions tourbillonnant dans sa tête. Bien sûr, à son âge, il savait déjà que ce chemin n'allait pas être facile, qu'il n'était certainement pas le seule à nourrir ce rêve. Mais que son meilleur ami, lui aussi... Il posa sa tête sur ses pattes en fermant les yeux, refusant à nouveau d'y penser.
Il rouvrit de nouveaux ses orbes turquoise pour contempler les étoiles. Elles étaient belles ce soir. Étincelantes, comme des tas de petits joyaux blanc qui parsemait un ciel d'encre. C'est dans ces moments-là qu'il se sentait bien. Qu'il se sentait lui. Seul et réfléchissant sur la nature profonde des choses.

Ces petits points étaient-ils vraiment des guerriers d'autrefois, qui un jour avait foulé la tête de leurs pattes, cette même terre qui se trouvait sous les siennes ? Un jour, serait-il à leur place, à observer les générations futurs faire les bons comme les mauvais choix, sans pouvoir intervenir ?
Cela le rendait tellement mélancolique. De savoir que tout avait une fin, à commencer par la vie. De savoir qu'un jour il disparaîtrait des esprits, que plus personne ne se souviendrait de lui.

« Lorsqu'à Minuit sonnante, le Soleil resplendira, alors prends garde à la Cascade qui le noiera. »

Il fronça soudainement les sourcils. Pourquoi venait-il de penser à la prophétie ? Elle était apparue dans son esprit, comme cela, subitement. Pourquoi ? Pourquoi ?
Décidant qu'il était fatigué, il se leva et sauta directement de son perchoir. Ses pattes gémirent lorsqu'il heurta lourdement le sol mais il n'en tint pas compte.
Lorsque le noir de la tanière des apprentis l'engloutit, il frissonna sans savoir pourquoi.