| 𝐗 𝐗 𝐗 |
NUAGE VERT SE MAUDIT intérieurement. Il détestait cette impression de s'étouffer, cette envie d'hoqueter tant la surprise était grande. Il détestait se sentit si ridiculeusement faible, vulnérable, face aux yeux doux qu'il n'avait vu qu'en rêve.
Il n'avait jamais vu cette chatte de toute sa vie.
Et pourtant, à l'entente de sa voix presque chantante, mélodieuse, et encore indiscutablement jeune — elle ne possédait sans doute qu'une quarantaine de lunes — il en était certain.
La chatte domestique de la maison dans laquelle ils s'étaient réfugiés dans un hasard immense, presque trop parfait, était bien sa mère.
Sa mère qui l'avait abandonné aux soins d'une vipère aux yeux de chats et aux griffes brutales.
Il avait envie de la détester mais la gentillesse pure et innocente qui émanait de son corps tiède l'en empêchait.
A côté de lui, Nuage de Perle écarquilla ses yeux déjà grands, incrédule. S'il devait choisir quelqu'un a qui confier son secret, elle ne serait certainement pas en tête de liste, bien au contraire, et pourtant, les événements avaient fait qu'elle en était désormais responsable.
Pour son plus grand bonheur...
Nullement impressionnée, la femelle blanche s'avança d'un pas léger jusqu'à lui, plongeant ses yeux dans les siens. Il y avait dans ses prunelles, une douceur maternelle incomparable, une douceur qu'il avait déjà vu sans la connaître lui-même.
Il avait plutôt connu la haine.
Il frémit et serra les dents pour s'empêcher de reculer. Il n'aurait pas peut devant une simple chatte domestique, fut-elle celle qui l'avait mis au monde !
— Patte Verte, murmura-t-elle simplement.
Son ton était affirmatif. Elle savait qui il était et n'en exprimait aucune surprise, simplement une étrange sérénité, comme si elle avait toujours su quand il reviendrait.
Cela l'énervait.
Elle se recula, observant ses yeux avec attention et fit remarquer :
— Ton père avait raison, lorsqu'il a choisi ton nom.
— Pourquoi ? gronda-t-il, serrant les dents pour empêcher les souvenirs de remonter.
« Arrête de chialer pour rien, je t'ai à peine effleurer ! »
— Pour la couleur de tes yeux. Il pensait que tu tiendrais de moi plutôt que de lui.
Il était vrai que ses propres prunelles montraient un joli vert pomme, pâle et délicat, plus épuré que le vert clair presque agressif de son fils.
— Il a bien choisi ton nom.
— C'est Nuage Vert, maintenant.
« J'ai du mal à croire que tu sois son fils ! »
Elle haussa simplement les épaules, acceptant gracieusement un tel changement. Il avait du mal à voir ce qu'avait pu lui trouver son père.
Un frisson désagréable le traversa.
Elle était douce, toute innocente comme un chaton. Certes, elle était belle, mais paraissait endormie, détachée de tout. Comme si rien n'était grave.
Même le fait que tu m'ais abandonné aux griffes d'une chatte cruelle.
— Et elle ? demand-t-elle alors, regardant Nuage de Perle avec intérêt. C'est ton amie ?
— Non, c'est une enquiquineuse, lâcha-t-il avec un regard noir.
Regard qu'elle lui rendit en retroussant les lèvres.
— Je m'appelle Nuage de Perle, répondit-elle, inclinant légèrement la tête.
Comme si elle était capable d'éprouver un réel respect pour qui que ce soit.
— J'imagine que vous resterez pour la nuit. Je vais prévenir Poli, vous me suivez ?
C'est tout ?!
D'accord, il ne demandait pas des larmes, des cris, des retrouvailles déchirantes mais la chatte devant lui ne semblait absolument pas se soucier du retour de son fils ! Alors qu'ils ne s'étaient pas vus depuis des lunes.
Je comprends pourquoi elle m'a abandonné.
« Même lui ne veut pas de toi. »
Aucun de ses parents n'avait eu de réelle considération pour lui. Pour connaître l'identité de son père, il avait été contraint d'attendre sa mort, sans jamais entendre quoi que ce soit de sa bouche. Et sa mère se fichait simplement de son existence.
Un goût amer l'envahit, si intense qu'il crut un instant vomir.
Lorsque son regard se posa sur Nuage de Perle, une odeur encore plus sombre monta de ses entrailles. Le seul sentiment qui lui venait lorsqu'il l'a voyait était l'injustice.
C'était complètement injuste.
Pourquoi as-tu réussi à trouver une famille qui t'aime et pas moi ?
Pourquoi le mérites-tu plus que moi ?
Pourquoi ?!
Il serra les lèvres et suivit les deux chattes, la mine sombre et écœurée. Sa mère — dont il ne connaissait même pas le nom — s'engouffra dans un petit cabanon à l'écart de l'immense maison d'une blancheur égale à sa fourrure. A l'intérieur, une pénombre presque inquiétante régnait. De la paille était amassée dans un coin, recouverte à moitié par une forme sombre qui releva la tête à la vue des nouveaux arrivants.
— Poli ? glissa la petite chatte gracile.
— C'est toi, Luna ?
Contrairement à la femelle légèrement indolente, lorsque le mâle surgit à côté d'eux, il vibrait d'une énergie vive et palpitante. Ses yeux sombres s'écarquillèrent dans une surprise joyeuse et il poussa la porte du bout du nez pour laisser entrer la lumière.
Nuage Vert ne put s'empêcher de sursauter. L'une de ses oreilles était barrée par une immense entaille qui se prolongeait même au sommet de son crâne. L'apprenti guérisseur ne l'était pas pour rien.
Cette griffure ne provenait pas d'un chat mais d'un chien
D'un gros chien.
— Ne fais pas attention, lui souffla doucement celle qu'il connaissait désormais comme Luna. Il est bagarreur. C'est ton oncle.
— Mon quoi ?! s'étrangla le mâle blanc.
Sa mère crut simplement qu'il ne l'avait pas entendue.
— Ton oncle.
Elle se tourna vers son frère sans plus se soucier de l'état perdu des deux visiteurs. Au moins, Nuage de Perle ne fit aucun commentaire, qui n'aurait pas manqué de réveiller la fureur qui sommeillait dans le cœur de Nuage Vert.
— Ils vont rester ici au moins cette nuit, indiqua-t-elle au mâle dont le pelage sale et ébourriffé n'était en rien semblable au sien, d'une propreté parfaite. Tu pourras lui expliquer... s'il te plaît.
Ce fut le seul moment où Nuage Vert décela un tremblement dans sa voix et sentit un certain trouble dans ses pensées, derrière cette apparence placide qu'elle s'efforçait visiblement de garder.
Peut-être que tout n'était pas perdu.
Bien sûr que si, arrête d'être optimiste, on dirait Nuage de Perle.
Il détestait la naïveté alors qu'on l'avait confronté dès son plus jeune âge à toutes les noirceurs félines.
— C'est lui ? s'étonna Poli.
Elle hocha tranquillement la tête et se détourna sans un regard pour son fils. Sa fourrure blanche disparut dans l'entrebaillement de l'immense mur décalé et ils se retrouvèrent seuls avec Poli.
Seuls avec son oncle.
Celui-ci leur fit signe de venir s'allonger sur la paille. Elle piquait les pattes de manière désagréable mais Nuage Vert n'était pas mécontent d'enfin s'allonger.
A l'extérieur, il crut voir la lumière du soleil baisser encore. Le soir était presque là.
— De quoi elle parlait ? maugréa-t-il.
Poli hocha énergiquement la tête et fit quelques tours sur la paille avant de s'asseoir, avec un grand contrôle de lui-même puisque ses pattes ne cessaient de pianoter nerveusement et avec ardeur.
— Avant, j'dois vous expliquer les modalités d'usage, fit-il avec un grand sourire. Luna est la chatte des grosses bêtes qui vivent à côté-là. Pas moi.
— Hein ?
Nuage Vert fusilla Nuage de Perle en réponse à la subtile remarque qu'elle venait d'émettre.
— Ouais, t'as bien entendu, s'esclaffa Poli avec une insouciante surprenante. Ils sont pas au courant que je squatte leur petite tanière. J'ai une cachette à l'arrière pour dormir, elle devrait être assez grande pour nous. Faites gaffe à pas vous faire repérer, ça m'est arrivé une fois et j'vous assure, c'est absolument pas agréable !
Un léger frisson le prit et il perdit son sourire l'espace d'un court instant. Dans ses yeux sombres, plus bleutés que ceux de sa sœur, se perdirent au lointain avant de se poser sur Nuage Vert.
Celui-ci soutint ce regard étrangement perçant avec une moue hargneuse.
Qu'est-ce qu'il voulait lui ?!
— Elle regrette, tu sais.
Décontenancé par le brusque changement de sujet, le mâle blanc oublia de froncer les sourcils, sans comprendre.
— Luna, précisa Poli avec un nouveau sourire, plus doux cependant. Elle a toujours regretté de t'avoir laissé à ton père. Mais elle avait pas le choix, ses maîtres ne voulaient pas d'un deuxième chat, encore moins d'un chaton. Tu as failli mourir à cause d'eux.
Le cœur de Nuage Vert rata un battement. Il n'en avait aucun souvenir. Même cette maison ne lui paraissait pas familière. Il n'y avait que l'odeur de sa mère... ses yeux... sa voix... sa douceur...
Il oublia la présence de Nuage de Perle à ses côtés et se rapprocha du mâle blanc avec une soudaine impatience presque fiévreuse.
— Raconte-moi, réclama-t-il, plus bas.
Poli ne se fit pas prier, cette histoire lui semblait plaisante à raconter. Il réfléchit un instant et se grattouilla le poitrail où pendait un mince brin de paille.
— C'était y a un petit moment l'air de rien ! Je me souviens de ton père qui s'était fait attaqué par un chien et était sérieusement amoché. Il revenait d'une eau bizarre...
— L'Eau de Lune ? l'interrompit Nuage de Perle.
Même si cette histoire ne la concernait aucunement, elle paraissait captivée.
— Oui, un truc comme ça. On l'a recueilli et comme ma sœur est tout à fait charmante — il s'esclaffa bruyamment — ils se sont très vite entendus si vous voyez ce que je veux dire...
Nuage Vert serra les dents et préféra passer outre l'air espiègle du frère de la chatte domestique.
— Et après ?
— Ben, tu es né. Ton père était déjà parti mais il est revenu très vite et en apprenant ta naissance, il était fou de joie ! Il nous a expliqué d'où il venait plus en détail, son Clan qu'il ne pouvait quitter... il nous a même proposé de le rejoindre !
Un bref éclat de regret envahit ses prunelles troublées. Nuage Vert comprit que le mâle, encore jeune, aurait souhaité les rejoindre.
Il aurait pu avoir quelqu'un de sa famille avec lui...
Non mais tu le vois ? Il connaît rien aux Lois Sacrées, il a l'air niais comme tout et incapable de faire preuve de sérieux !
Il chassa l'idée d'un Poli gambadant gaiement dans le camp — idée qu'il détestait pour son aspect alléchant — et se reconcentra sur le mâle.
— Mais Luna a une santé fragile. Alors elle a refusé et je suis resté près d'elle pour la protéger. Il a également expliqué qu'il avait un autre fils, là-bas, qu'il était désolé, mais qu'il l'aimait beaucoup quand même. Luna est très compréhensive vous savez ! Elle se doutait que cet amour ne durerait pas, elle n'était qu'une chatte domestique qui avait eu de la chance qu'un chat de cette trempe s'intéresse à elle !
Il soupira un instant, agitant la queue. Une légère tension régnait désormais, dans l'atmosphère du lieu presque clos.
— Enfin bon. Un jour, t'étais encore tout minuscule, t'es sorti jouer et les bêtes à deux pattes t'ont vu. Ils ont cherché à te chasser, à t'éloigner de ta mère. Tu étais si faible qu'ils t'ont presque tué !
Un frisson d'horreur parcourut le corps maigre du mâle vif.
— Quand ton père est revenu, Luna t'a confié à lui, en pleurs. Elle voulait t'avoir près d'elle mais cela lui était impossible. L'évidence était là, tu serais plus en sécurité auprès de ton père, apprenant à te battre comme lui. Mais crois-moi, elle l'a fait à contrecœur. Si elle paraît si impassible, c'est parce qu'elle barre toutes ces émotions depuis ce jour pour s'empêcher de souffrir. Ses maîtres l'ont emmené chez le coupeur peu de temps après. Tu es le seul fils qu'elle ait eu et qu'elle n'aura jamais.
Le seul...
Il serra les dents. Il ne pouvait empêcher son habituel méfiance de se manifester. Qu'est-ce qui lui prouvait que Poli disait bien la vérité ?
Comment pouvait-il lui faire confiance ?
Ils ignorent qu'ils sont responsables des malheurs que j'ai subis...
C'est de leur faute, leur faute !
Sa rancœur était là, prête à l'étouffer, prête à le noyer. Il se sentit à l'étroit entre ces quatre murs, écrasé par ces découvertes dont il ne savait plus s'il souhaitait qu'elles soient vraies ou non.
Mais au moins, il avait rencontré sa mère.
Et elle est partie, super...
Il ne savait même plus comment réagir, derrière les barricades de ses émotions que Luna elle aussi avait su ériger.
— Reposez-vous, dit soudain Poli en se relevant et s'ébrouillant, à peine engourdi par cet instant d'immobilité. Je vais chasser avant qu'il fasse totalement nuit.
— Qu'est-ce que tu vas chasser ? s'enquit Nuage de Perle avec curiosité.
Étonnamment, elle avait réussi à se taire durant le récit du mâle blanc et énergique. Et heureusement, Nuage Vert n'était pas sûr de la supporter le cas échéant.
— Des rats essentiellement. Je vous assure que c'est bon !
Et il bondit sur une étrange branche plate et constellée d'objets aux reflets grisâtres avant de se lancer en avant pour rebondir sur d'autres objets Bipèdes avec une étrange agilité.
L'apprenti guérisseur était certain qu'il n'avait pas pris le chemin le plus facile délibérément.
— A tout à l'heure !
Il disparut aussi vite que sa sœur quelques instant plus tôt. On pourrait croire qu'ils les fuyaient.
— Ben voilà, tu l'as trouvée, ta famille, s'écria alors Nuage de Perle.
Dans sa voix, percèrent un instant quelques éclats mélancoliques. Nuage Vert soupira. Rien n'était comme il se l'était imaginé, c'était d'ailleurs rarement le cas.
La réalité n'avait rien de quelque chose de simple à concevoir.
C'était différent, il n'y avait eu ni larmes, ni cris, seulement des regards échangés.
Mais Nuage de Perle avait raison, il avait retrouvé cette famille qu'il avait tant convoitée.
« Que tu sois son fils n'y change rien, tu ne seras jamais le mien ! »
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Poli est parfois un peu difficile à suivre, son cerveau fourmille de pensées et il passe du coq à l'âne sans s'en rendre compte.
J'ai eu un peu de mal à terminer ce chapitre j'avoue donc désolé si la fin paraît abrupte :0
Petit pdv Nuage Vert et discussion avec Poli ! On voit peu Luna parce que malgré elle, elle reste sensible 😮
J'espère que ça vous aura plu <3
Kiss ! 💋
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