| 𝐗 𝐗 𝐕 𝐈 𝐈 |
NUAGE DE PERLE SE RETOURNAIT dans sa litière, encore et encore. La tanière des apprentis lui semblait vide ce soir. Deux autres litières, inoccupées celles-ci, portaient encore l'odeur vive de leurs précédents hôtes, qu'elles apportaient dans des effluves mélancoliques.
Un profond sentiment de solitude l'envahit, accompagné de la douce amertume de la rancœur. Elle imaginait dehors, Nervure d'Écorce et Fragment de Roche qui veillaient à la lueur de la lune. Ces noms étaient tellement étranges à entendre, tellement inconnus. Elle avait encore du mal à réaliser qu'elle était seule dans la tanière et que ces deux amis étaient désormais des guerriers libres, sans plus de contrainte de mentor.
Et moi non.
Malgré tout, elle se sentait coupable pour ce qu'elle éprouvait. Un peu.
Elle devrait simplement être contente pour sa sœur et son ami, sans en devenir ainsi jalouse. Ils avaient travaillé dur, ils le méritaient bien plus qu'elle-même.
Ce n'était pas de la faute de Nuage... non, de Fragment de Roche si elle était guerrière, et pas elle.
Fragment de Roche... Nervure d'Écorce...
Elle n'aimait pas ses noms.
Elle se retourna dans sa litière et enroula sa queue touffue autour de son corps tremblant. Une angoisse la prit à la gorge. Sa sœur était déjà guerrière, sa sœur.
Elle était guerrière, au même titre que Pelage de Miel, au même titre que ses parents.
C'était effrayant.
Les yeux humides, elle remua encore, arrachant un grognement à Nuage d'Éclair. La peur des cauchemars si elle s'endormait et la peur des pensées si elle ne le faisait pas s'affrontaient dans son esprit.
Alors que faire ?
Perdue, elle se leva avec lenteur. Avec son pelage blanc qui luisait presque, elle apparaissait comme une présence fantomatique.
Je peux pas m'endormir, j'en ai déjà demandé trop à Nuage Brumeux.
Un nouveau sentiment de culpabilité la frappa en pensant au petit mâle bedonnant, frère de la guérisseuse.
Et s'il n'existait déjà plus ?
Non, ils lui ont sûrement laissé une deuxième chance... n'est-ce pas ?
Elle avait besoin d'y croire. Elle se glissa avec une discrétion qui l'étonna elle-même. Elle s'applatit avec légèreté dans l'ombre d'un buisson et observa les deux nouveaux guerriers qui veillaient.
Ils ne faut pas qu'ils me voient.
Hors de question, elle n'était pas d'humeur à les affronter. Son cœur était encore trop lourd, de rancœur et de remords.
Ils se trouvaient à l'autre bout du camp, silhouettes dressées qui peinaient visiblement à contenir leur sommeil, vu comme elles dodelinaient de la tête. La silhouette de droite — la femelle grise sans doute — s'affaissa soudain avant de se redresser aussitôt, les paupières papillonnantes.
Ils se trouvaient près de l'entrée, et c'était elle qu'ils surveillaient.
Donc si elle se glissait l'opposé...
Et tu feras quoi une fois dehors, grosse maligne ?
Je suis grande moi aussi ! Je peux me débrouiller !
Mais bien sûr... t'es grande ou tu veux juste le prouver ?
Elle ne se répondit pas, hargneuse. Ce n'était pas entièrement faux, elle devait l'admettre.
C'est sûrement Cœur de Pierre qui retarde mon baptême.
N'importe quoi, t'es juste une incapable !
N'importe quoi !
Si.
Roh la ferme !
Elle fit quelques pas, plaquée contre les buissons entourant la tanière des anciens. Les deux respirations qui s'échappaient de l'intérieur étaient calmes, s'élevant dans la nuit.
Tout était paisible.
Elle s'arrêta, réprimant une toux avant de reprendre sa marche, sans quitter des yeux les deux sentinelles qui n'étaient visiblement pas si efficaces que cela. Si sa petite taille avait un avantage, c'était bien la discrétion.
Cœur de Pierre le lui avait répété maintes et maintes fois.
Lorsqu'elle pensa à lui, elle se rendit compte qu'elle prenait exactement la pause qu'il lui avait montré avant de la pousser à la refaire encore et encore, jusqu'à ce que ses muscles lâchent. Sans s'en rendre compte, à répéter encore et encore, inlassablement, son corps l'avait parfaitement imprimée.
C'est ainsi que son entraînement marche, comprit-elle. Répéter jusqu'à ne plus y penser.
Bon elle comprenait un peu mieux, ce n'est pas pour autant qu'elle appréciait.
Et alors qu'elle réfléchissait, elle se figea soudain et son poil augmenta de volume. Ses battements de cœur s'accélèrent, résonnant dans ses oreilles dressées.
Là-bas, une ombre semblait jouer au même jeu qu'elle, c'est-à-dire sortir du camp sans se faire repérer.
C'est qui ?!
Elle se cacha dans un recoin entre la tanière de la guérisseuse et la tanière des anciens et jeta un coup d'œil à l'inconnu.
Clara ?
Mais ce n'était pas la solitaire responsable du bazar dans le Clan depuis des lunes. La silhouette était plus trapue et sa fourrure semblant épaisse. Un rayon de lune la frappa, entre deux nuages glissant dans le vent.
Le pelage était blanc et emmêlé.
Nuage Vert.
Avec surprise, elle observa de ses pupilles grises le parcours de l'apprenti grincheux qui se faufila entre la pouponnière et celle de la guérisseuse, en face d'elle. Sa queue blanche disparut.
Où allait-il ?
Sentant l'odeur de la curiosité lui picoter le nez, elle traversa devant l'antre béante aux senteurs de remèdes. Un froissement de fourrure retentit soudain et elle s'immobilisa. Nuage... Nervure d'Écorce bougeait. Elle se crispa et se fit le plus petite possible, masquée par une maigre feuille de fougère. Les yeux verts brillant dans l'obscurité sondèrent la pénombre mais ne trouvèrent rien puisqu'ils ne s'arrêtèrent pas.
Elle dut attendre encore de longues minutes avant de pouvoir respirer de nouveau normalement, par peur qu'ils l'entendent. Elle s'engouffra alors sur les traces de l'apprenti guérisseur et atterrit dans un coin entouré de buissons où fleurissaient des fleurs rouges, jaunes et bleues sous la lune laiteuse. La terre était fraîchement retournée par endroit, et un monticule légèrement plus haut que les autres était parsemé de l'unique fleur mauve de ce lieu et d'une plume.
Un bref souvenir, d'un monticule semblable à celui-ci refit surface. Une envie de vomir intense la surprit soudain, la faisait reculer précipitamment lorsqu'elle compris ce qu'était cet endroit.
Ce qu'il y avait dessous.
Son regard tomba une deuxième fois sur la fleur mauve déposée avec un soin délicat et visible.
Nuage Brumeux...
Elle reprima la pulsion morbide qui lui proposait de creuser et passa son chemin, les pattes tremblantes. Elle ne s'était jamais posée de question sur la possible existence de ce coin de fleurs mais désormais, sa présence lui semblait évidente.
Alors Eau Miraculeuse et Nuage de Tonnerre...
Stop !
On se concentre sur Nuage Vert.
La silhouette du petit mâle était déjà loin. Elle reprit sa filature en se faufilant entre les arbres jusqu'à atteindre, plutôt rapidement, la Rivière Tumultueuse, dont l'éclat lunaire lui rappelait l'Eau de Lune et son aspect envoûtant. Qui était d'ailleurs à l'origine de sa plus grosse bêtise.
Un bref éclat douloureux la traversa et elle s'arrêta un instant, le souffle coupé. Un son aigu envahit ses oreilles et s'en alla aussi vite qu'il était venu.
Encore sonnée par cet instant rapide, elle faillit bien tomber dans l'eau, ce qui n'aurait pas manqué de la faire repérer. Elle se rattrapa de justesse, les poils mouillés par des gouttelettes virevoltantes.
Ouille, c'était moins une.
Bon sang, il fallait qu'elle fasse attention !
A cet endroit l'eau était peu profonde mais rapide puisqu'elle provenait de l'endroit que traversait le tronc de l'arbre sans feuille, où la pente lui donnait une puissante poussée. Cependant, son niveau avait augmenté avec les récentes pluies et venait presque effleurer la berge.
Elle posa une patte prudente et fut transpercée par la froideur du liquide, tant et si bien qu'elle perdit l'équilibre pour y tomber tête la première dans un splash tonitruant. Entourée de vagues céruléennes, elle retint instinctivement sa respiration, sentant les bulles mousseuses danser autour d'elle. Elle attendit quelques secondes durant lesquelles elle nageait littéralement dans l'ignorance.
Nuage Vert l'avait-il entendue ?
Finalement, elle refit surface, la respiration rapide et ne vit aucune ombre au milieu de celle immense et implacable de la nuit.
Un sursaut de peur la prit, désorientée. Où était-il passé ? Elle grimpa avec difficulté, et quelques courbatures, sur la berge opposée et parcourut le territoire du regard.
Rien à part quelques herbes voguant au vent qu'elle apercevait à travers sa vision nocturne. Sans trop savoir ce qu'elle faisait, elle s'y élança sans plus vraiment de direction maintenant qu'elle ne voyait plus sa cible, seul le désir de mettre de la distance entre le Clan et elle subsistant. Un souffle puissant s'engouffra entre ses poils, courut sur ses joues et elle poussa un cri de détresse.
L'écho disparut, avalé par la nuit qui l'entourait avec une pression angoissante. Elle se sentait seule et atrocement entourée comme si tout le Clan des Étoiles, l'observait, la jugeait.
Et puis quelque chose lui tomba dessus.
Quelqu'un.
Elle sentit une patte s'appuyer durement sur son épaule et des griffes s'y enfoncer, peu profondément mais suffisament pour que la douleur irradie de la blessure. Elle se débattit, face à moitié contre terre et écrasée par un poids soudain surgi de nul part.
— Qu'est-ce que tu faisais, espèce d'idiote ?
Elle reconnut la voix morne et énervante de Nuage Vert ainsi que quelques poils vaguement blanchâtres dans le coin de sa vision.
— C'est moi Nuage Vert ! cracha-t-elle.
— Merci j'avais remarqué !
— Alors pourquoi tu me lâches pas ?!
— Pour te faire comprendre la stupidité de ce que tu viens de faire !
Mais il finit tout de même par la relâcher, non sans un reniflement dédaigneux. Elle se releva en crachotant et inspecta son épaule encore douloureuse au souvenir des petites griffes du mâle blanc.
— T'étais obligé de mettre les griffes ? feula-t-elle.
— Ouais, répondit-il en fronçant les sourcils. Mais je les ai pas enfoncées suffisament pour te faire saigner, t'as pas à t'inquiéter.
Elle lui fit une grimace avant de passer un rapide coup de langue sur ses poils nacrées dont l'aspect devenait argenté.
— Qu'est-ce que tu fais là ? finit-elle par demander.
— Et toi, pourquoi tu me suis ? cingla-t-il.
— J'arrivais pas à dormir !
— Super excuse. C'est parce que t'étais fatiguée que ta filature était aussi nulle ?
Piquée au vif, les oreilles rougissantes, elle répliqua en criant presque :
— Elle était pas si nulle d'abord !
— Tu rigoles ? Tu prends à peine le temps de te cacher, t'as même pas remarqué que le vent avait tourné dans ton dos et je ne parle même pas de ton plongeon de tout à l'heure ! C'est discret ça tu penses ? Tu m'étonnes que tu sois pas guerrière en même temps que ta sœur.
Elle reçut l'insulte comme un coup dans la poitrine, et montra les crocs avec une agressivité impulsive. Maintenant qu'elle y réfléchissait, c'est vrai que son espionnage manquait de grâce. Peut-être pensait-elle de manière inconsciente, que Nuage Vert étant apprenti guérisseur, il aurait plus de mal à la repérer.
Grossière erreur visiblement.
Elle remballa finalement les insultes brûlantes qui lui calcinaient les cordes vocales devant la vérité contenue dans ces paroles.
— Ça va ça va, grommela-t-elle. Pourquoi t'es parti ?
Il la jaugea de manière désagréable avant de tourner son visage vers l'horizon, son regard exprimant un bref instant de mélancolie. Mais lorsqu'il revint sur elle, il était de nouveau dur et implacable, comme si la simple vue de la jeune chatte suffisait à l'énerver.
— Parce que j'étouffais dans ce Clan de menteurs, finit-il par cracher. T'es contente ?!
Elle recula sous la force soudaine dans sa voix. Elle n'en demandait pas tant non plus !
— Clan de menteurs ?
— Ouais. T'es pas celle qui peut le nier.
Elle frémit en comprenant à quoi il faisait référence. Et elle ne pouvait effectivement pas le contredire, tous lui cachait sa en véritable naissance sans savoir qu'elle connaissait suffisament pour discerner leur mensonge.
— Calme-toi ! répliqua-t-elle, les poils hérissés.
— Dit celle qui m'a suivi en douce et, se faisant, m'a énervé.
— Je voulais juste savoir où tu allais !
— A la Ville des Bipèdes ! feula-t-il. A la Ville des Bipèdes, voilà où je vais ! Ça te va ? Dégage maintenant et retourne au camp !
Un grognement jaillit de la gorge de la féline et elle hocha la tête avec virulence.
— Non, maintenant que je suis là je viens avec toi !
Le jeune mâle qui avait déjà fait quelques pas sursauta. Il se retourna, les pupilles étincelantes de colère mais aussi — et cela la surprit — de crainte.
De quoi avait-il si peur ?
Maintenant qu'elle y repensait, il lui paraissait sacrément agressif. Bon d'accord, il s'était fait prendre en train de fuguer. Mais il aurait simplement pu adopter une posture nonchalante et grincheuse comme d'habitude, pas besoin de la tacler et lui hurler dessus.
— Tu veux pas que je vienne avec toi ?
— A ton avis ? On est pas meilleurs amis tous les deux !
Non, elle ne pouvait dire le contraire.
— S'il te plaît ! le supplia-t-elle alors. J'ai jamais vu la Ville des Bipèdes !
— Va-t-en !
Il cachait quelque chose maintenant, elle en était certaine. Sa curiosité légendaire refit surface aussitôt et aiguisa son flair. Elle devait découvrir le secret de l'apprenti blanc.
Il allait peut-être retrouver quelqu'un ?
« Fouineuse ! »
— Si je rentre au camp, je dis tout !
— Mais bien sûr.
— C'est vrai !
Il montra les crocs à son tour.
— Et bien dis-leur. Je m'en tape.
Et il s'enfonça entre les herbes. Son aura sombre et colérique flottait autour de lui comme un nuage de soie et d'orage. Hors de question de le laisser repartir.
Nuage de Perle ne voulait plus des cauchemars et de la monotonie du camp. Elle ne pourrait pas se rendormir si elle ne savait pas.
Ainsi, elle se précipita à sa poursuite, tout en sachant que ce qu'elle faisait était totalement stupide et très certainement pénible pour le blanc.
Tu le sais et tu ne fais rien pour le changer ?
Quitte à être une enquiquineuse, autant l'être jusqu'au bout !
— Nuage Vert !
Les herbes hautes la giflaient et ses moustaches frémissaient tant elle craignait de se retrouver de nouveau toute seule dans la nuit.
— Attends !
Elle aperçut enfin la fourrure blanche et emmêlée, où s'entrelaçaient quelques brins d'herbes et des pétales de fleurs. Il plissa ses pupilles vertes et claires, brillantes dans l'ambiance nocturne.
— Je te suivrai de toute façon, dit-elle finalement, butée. Qu'est-ce que tu caches ?
Il la lorgna, les babines retroussées.
— Tu ne diras rien ? Rien à personne sans que je te l'autorise ?
Son secret promettait d'être sérieux. S'il lui avouait qu'il était allergique à l'herbe à chat ou qu'il était végétarien, elle se promit de lui asséner un coup de griffe.
Elle hocha la tête, plus sérieuse.
— A personne ? cracha-t-il. Même à Fragment de Roche ?
A l'entente de ce nouveau nom empreint de signification et d'histoire, un frisson la prit mais elle hocha tout de même la tête. Ce ne serait pas le premier secret qu'elle cacherait à sa sœur, ni le dernier.
Un frémissement d'excitation à l'idée de savoir quelque chose que la grise ne saurait pas parcourut sa colonne vertébrale.
— T'as intérêt ! Écoute...
Il hésita et elle le pressa du regard.
Allez crache le morceau !
— Je sais maintenant qui est mon père, lâcha-t-il. Et je dois retrouver ma mère.
C'est tout ?
— Tu veux dire que ta mère ne fait pas partie du Clan ?
Il serra les lèvres et hocha négativement le museau, visiblement rouge de honte à cette idée. Elle ne le trouvait pas si terrible ce secret, mais peut-être était-ce parce qu'elle-même était sans doute une étrangère.
— Et ton père alors ? C'est qui ?
Ses iris devinrent tranchantes, autant que n'importe quelle griffe.
— Ça je te le dirai peut-être si tu parviens jusqu'au bout du voyage, gronda-t-il.
— Je tiendrai !
— Ça m'étonnerai. T'as même pas pris d'herbes fortifiantes.
— Je m'attendais pas à devoir aller aussi loin !
— Dernière chose...
Il fit encore quelques pas et elle crut un instant qu'il allait lui fausser compagnie mais il se retourna finalement.
La lune tombait sur son corps comme un voile autour d'un défunt.
— Si tu te plains, je t'abandonne dans ton sommeil.
▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬
Waaaa il est exigeant le Vertou.
L'épopée de Nuage Vert et Nuage de Perle peut ainsi commencer ! Mais quelles révélations les attendent au bout du voyage ?
Mystère et boule de bardane 🧐
N'hésitez pas à me donner des idées quant à la famille de notre petit apprenti guérisseur (évidemment je ne dirai rien ;)), je pense que si le père peut être plutôt facile, la mère peut donner quelques difficultés !
(Après j'avoue que les deux restent évidents pour qui sait où chercher héhé)
En tout cas, si j'ai bien calculé, il ne nous reste plus que 7 chapitres pour voir la fin de ce tome ! (+ l'épilogue)
😗<3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top