| 𝐗 𝐈 𝐗 |

SA GUEULE ÉTAIT EMPRISONÉE dans une membrane visqueuse, noire et collante. Enfin, elle supposait qu'elle était noire puisque c'était la seule chose qu'elle voyait.
Elle agita vainement les pattes, comme si un miracle pouvait surgir et la libérer. Son souffle coupée, elle voyait de plus en plus flou dans les ténèbres.

Elle hoqueta en ouvrant la gueule dans un cri muet, étouffé par son étrange bâillon.
Son cœur pulsait entre ses côtes.
Elle avait mal.
Horriblement mal.

Elle se griffa le visage en espérant transpercer la matière mais elle ne faisait que se blesser. Elle se tortilla dans tous les sens, les yeux larmoyants et les poumons brûlants.
Elle avait mal.

Et puis d'un coup, toutes ses entraves la relachèrent et elle chuta. D'un coup, dans la pénombre qui l'accueillit de sa froideur immobile.

A l'aide ! hurla-t-elle alors que le vent sifflait à ses oreilles.

Que cela cesse, que cela cesse !
Elle avait mal !

était encore Nuage Brumeux lorsque l'on avait besoin de lui !?

« Le Clan des Étoiles n'en a rien à faire de toi, petite chatte. »

La voix déformée par les ténèbres glaçantes restait pourtant reconnaissable. C'était celle d'Onyx, que son esprit avait maltraitée et modifiée pour en donner un son lugubre sans pourtant réussir à l'effacer.

« Et dire que tes pauvres amies sont mortes pour le rejoindre... comme c'est mignon. »

A l'entente du mot mignon, un nouveau coup de griffe invisible vint la projeter sur le côté. Elle sentit son sang couler à flot et pourtant, lorsqu'elle tourna la tête, une faible lueur entourant sa poitrine haletante, elle aperçut ses flancs intacts.

Mais la douleur était bel et bien là.
Et ne la quitta pas jusqu'à ce que tout s'évanouissent.

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T'as des petits yeux aujourd'hui.

Elle cligna mollement ses paupières entrebaillées, l'échine courbée et la mine pâlichonne.

Roh ça va ! réussit-elle tout de même à répliquer avant de lâcher un énorme bâillement.

Le sourire de Nuage d'Écorce devint narquois tandis que les pupilles de Nuage de Roche s'amincissaient, réduites à deux fentes.
Elle avait compris.

L'air frais du matin était chargé de pluie et autres senteurs maritimes qui n'étaient certainement pas liées à la Rivière Tumultueuse, dont le niveau avait d'ailleurs légèrement augmenté. Tant mieux car qui disait eau abondante disait également poisson.

D'ailleurs, les apprentis s'en partageaient un énorme fraîchement attrapé par Cœur de Flamme, parti tôt à la pêche accompagné de Pelage de Miel.
Nuage de Perle ne pouvait s'empêcher de ressentir de la rancœur en voyant son ancien mentor. Un voile de culpabilité semblait envelopper son corps amaigri et son poil crème qui avait perdu de son éclat.

Je sens que je vais encore faire une patrouille, soupira le mâle brun, étonnant les deux femelles.

Pourquoi ? s'empressa de lui demander Nuage de Roche, avalant précipitamment sa bouchée.

Nuage de Perle se moqua silencieusement d'elle et avalant de travers, se mit à tousser furieusement sous le regard vexé et satisfait de sa sœur grise.

Cœur de Flamme est débordé avec ses activités de lieutenant. En plus des patrouilles de pêches et de frontières, il faut qu'il organise les des entraînements de combats des triplés, au cas où.

Justement, Nuage de Pluie sortait de la tanière des apprentis, l'échine basse. Son regard craintif n'osait se poser sur un autre félin et restait fixé sur le sol humide et froid.

En parlant d'eux, Nuage d'Orage a failli t'asséner un coup de pattes tellement tu criais cette nuit, se moqua gentiment Nuage d'Écorce.

Les joues de Nuage de Perle prirent une teinte écarlate sous leur duvet pâle. Encore et toujours ses cauchemars. Ça ne leur suffisait plus d'empoisonner ces nuits, il fallait en plus qu'ils lui mettent la honte en journée ?
Elle agita sa queue touffue et lourde d'humidité.

Oui bon ça va, maugréa-t-elle. Eh Nuage de Pluie ! s'écria-t-elle en changeant de sujet. Tu viens manger avec nous ?

Le petit mâle s'arrêta net, une musaraigne chétive à la gueule et considéra le petit groupe qui le fixait, avec de gentils sourires qui lui paraissaient plutôt effrayants.
Néanmoins, il hocha timidement la tête et se rapprocha des chats à petits pas.

Nuage de Perle s'écarta pour lui faire une petite place entre Nuage d'Écorce et elle et il s'y plaça la tête baissée et les joues rougissantes.

C'est cool la vie d'apprenti hein ? s'exclama-t-elle face au mutisme du petit chat écaille.

Il hocha la tête et croqua une petite bouchée hésitante, comme s'il n'osait pas manger devant eux.
Nuage de Roche lui adressa un sourire amical et reprit un morceau de chair, le poil ondulé par la brise.

Du coin de l'œil, Nuage de Perle aperçut Nuage Vert sortant de la tanière de la guérisseuse, le pelage encore emmêlé et empli de fortes odeurs d'herbes qu'elle sentait d'ici. Elle fronça le nez et croisant son regard, baissant les yeux. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que ce n'était pas elle qu'il regardait mais Nuage de Pluie.

Nuage de Pluie ! lança-t-il d'ailleurs au loin de sa voix désagréable. Ta patte va mieux ?

Surpris, le concerné manqua de sursauter et se frotta les pattes, mal à l'aise. Il y avait de quoi, avec les prunelles vertes et brûlantes de Nuage Vert plantées sur lui.

Euh... ou-oui, répondit-il tout bas. Me-merci !

L'apprenti blanc les considéra un instant, les sourcils froncés, comme attendant quelque chose. Puis il disparut à l'intérieur de l'amas de rochers avec un battement de queue rageur. Nuage de Perle leva un sourcil.

Il est bizarre, c'lui-là.

Mais elle n'eut pas le temps de s'interroger davantage car un miaulement de Cœur de Flamme leur fit lever la tête.
Il était temps pour les apprentis de commencer leur journée. Avec une petite moue déçue, elle jeta un dernier coup d'œil à son repas avant de se diriger à pas lourd vers son mentor qui patientait à l'écart.

Ce ne fut que lorsqu'elle croisa ses iris hargneuses qu'elle prit conscience des pulsations lourdes et rapides dans sa poitrine.

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Grimpe.

Évidement, le contraire l'eut étonnée.

Elle ne répondit rien et observa la Montagne de l'Espoir, imposante comme toujours.

L'espoir d'en finir, ouais...

Bonne nouvelle, ses flancs et son museau ne la faisaient plus souffrir, il ne pleuvait et elle venait juste de manger. Restait à ne pas vomir son poisson qui pesait dangereusement dans son estomac.

Mais au moins, elle savait comment faire.
Elle allait clouer le bec à cette montagne de muscles et d'os stupide !

Merci Nuage d'Écorce.

Elle s'approcha pour évaluer le premier roche qui s'élevait devant elle avec une prestance et une majesté que peu pouvaient égaler.
Ici et là, elle pouvait apercevoir de minuscules failles ainsi que des creux, loin d'être invisibles, bien qu'infimes.

Pourquoi ne les avait-elle pas vus avant, sérieusement ?
Cela lui aurait évité toute cette galère...

Elle banda ses muscles et bondit en visant un endroit où l'une de ces failles était particulièrement large. Elle aggripa ses petites griffes à celle-ci et miracle ! elle tint bon. A partir de maintenant, elle ne pourrait plus compter que sur sa maigre force.

Juste en dessous, Cœur de Pierre la regardait.
L'évaluait.

Oublie cette souris grincheuse un instant !

Elle poussa sur ses pattes arrières pour attraper le haut du rocher et s'y hisser. Cela risquait d'être sa dernière pause alors elle respira profondément, ragaillardie par cette petite victoire.

Lentement, elle entreprit de poser ses pattes avant sur la roche du haut et se plaqua contre la paroi pour continuer son ascension. Lentement, mais sûrement, elle montait

Ses muscles se mirent bientôt à protester alors qu'elle arrivait à peu près à la hauteur atteinte déjà la dernière fois. Un véritable feu vivant se propagea dans tout son être.

Continue, continue !

La respiration haletante et avec d'infimes précautions qu'elle ne prenait jamais d'habitude, elle gagnait le sommet doucement, sous les nuages de la saison des feuilles mortes.
Mais chaque corps a ses limites et elle atteint bientôt les siennes.

Tremblante de fatigue, elle s'arrêta à une telle hauteur qu'elle sut que si elle regardait en bas, elle ne parviendrait pas à detourner les yeux.

Continue, continue.

Elle serra les dents, crispée contre la paroi pour ne pas tomber. Il fallait qu'elle tienne, encore, juste pour pouvoir contempler l'expression de surprise sur la face neutre de Cœur de Pierre.
C'était une mauvaise raison mais c'était ce qui l'a poussait à y arriver.

Elle recommença donc, toujours plus haut, toujours plus dur. Chaque parcelle de son corps hurlait à l'agonie et elle devait se faire fureur pour ne pas l'accompagner en chœur.

Continue, continue !

« Petite chatte... »

Et puis d'un coup, sans crier gare, un mal de tête la transperça de part en part. Elle rejeta la tête en arrière et la gorge en avant, tout son être tremblant sous le choc de la douleur. Dans sa vision floutée, le visage d'Onyx apparaissait, toujours plus effrayant.

Continue...

Elle vit le plus haut rocher juste au dessus d'elle. Elle avait presque réussi, elle y était ! Vibrante de souffrance, elle tendit la patte pour en effleurer la surface.
Puis elle se sentit partir en arrière.

Nuage de Perle ne sentit pas vraiment sa chute. D'abord, le vent sifflant à ses oreilles et s'engouffrant dans sa fourrure. Et la douleur, la douleur, la douleur, entêtante et lugubre.
Ce n'est que lorsqu'elle heurta un rocher qu'elle en prit conscience. Ses yeux se rouvrirent aussitôt paniqués et elle tenta de se raccrocher à la roche, s'écorchant les coussinets mais ralentissant sa chute de quelques secondes.

Puis elle percuta le sol avec une puissance qui lui coupa le souffle. Elle mit un moment à réaliser que Cœur de Pierre avait amorti sa chute en l'attrapant au vol. Malgré cela, il n'était pas parvenu à éviter l'impact final.
Elle poussa un maigre gémissement tandis que la brève douleur commençait à s'estomper, la faisant retrouver ses esprits.

Tu t'es déconcentrée, fit-il remarquer d'une voix caverneuse. C'est dommage.

Essaie de grimper avec la voix d'une solitaire folle dans la tête et un mal de crâne épouvantable, tu m'en diras des nouvelles ! cracha-t-elle dans sa tête en se relevant lentement, chancelante.

Encore et toujours des reproches.

Elle soutint son regard fixe et neutre qui prenait des teintes orageuses.

J'ai réussi ! articula-t-elle d'une voix qu'elle tentait de montrer assurée, se persuadant elle-même de sa victoire contre la roche.

Il se contenta d'abord de l'observer.
Lorsque sa voix grave retentit, un frisson parcourut l'échine de la petite chatte.

Qui t'a indiqué comment grimper ?

Quoi ?!

Pe-personne ! mentit-elle, déstabilisée.

Elle était haletante, ses muscles la tiraillaient autant voire plus que la dernière fois, elle venait de faire une immense chute, et c'était la seule chose qu'il trouvait à lui dire ?!

Il leva les yeux au ciel face à sa réponse bancale.

Mais bien sûr. Tu veux me faire croire qu'en quelques jours, toi qui n'a fait que foncer avec ta stratégie pitoyable en tête la dernière fois a eut un soudain éclair de génie et a trouvé la seule technique pour la gravir du premier coup ?

Il poussa un soupir et enroula sa fine queue autour de ses pattes épaisses.

Je t'ai vue rester en retrait avec Nuage d'Écorce après l'Assemblée. J'ai mon coupable, il me semble.

Elle plongea son regard dans le sol, les joues écarlates. Comme un coup dans son cœur, elle entendait ce seul mot tournant en boucle : "pitoyable, pitoyable, pitoyable".

Tu n'as donc rien compris à la leçon. Le but de cet exercice n'était pas que tu parviennes à gravir la Montagne toute seule comme une grande, gronda-t-il. Mais que tu trouves une stratégie à adopter, ce dont tu es visiblement incapable. Tu n'as pas progressé, tu as encore choisi la voie de la facilité.

Des larmes de rage lui brûlant les yeux, elle répliqua soudain, sous le coup de l'émotion.

Mais tu ne m'as rien expliqué aussi ! Je suis encore apprentie et tu es censé m'apprendre ! Comment je peux deviner toute seule si tu ne me dis rien ?!

Son regard la transperça avec une telle intensité, qu'elle se ratatina aussitôt.

C'était justement le but de l'exercice, feula-t-il tout bas, d'un ton perdant un instant de sa neutralité. Tu as toujours cru en la facilité mais c'est elle ta plus grande ennemie, et non la difficulté !

Chaque reproche meurtrissant son cœur, elle n'osa pas lever les yeux, épuisée physiquement et mentalement.
Et la journée venait à peine de commencer.

Néanmoins tu as réussi, c'est vrai. Alors nous passerons à autre chose. Rentrons. Tu as le coussinnet droit qui saigne.

Elle leva sa patte brûlante à laquelle elle n'avait même pas prêter attention. Et c'était vrai, un liquide rouge se mêlait à la terre pour former une couleur sombre et pourpre.
Elle fronça le nez, le cœur lourd.

Malgré sa prétendue victoire, elle se sentait toujours aussi faible et impuissante face à l'implacabilité de fer de son mentor.

Et encore une fois, elle avait le sentiment bien connu d'avoir misérablement échouer.

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