| 𝐗 𝐗 𝐗 𝐈 |

LORSQUE POLI REVINT, ce fut la gueule pleine de rats qui pendaient allègrement, inertes, accompagné de sa sœur qui leur jetait des regards écœurés que l'on pouvait comprendre. Elle avait l'habitude de la délicate pâtée que lui servait ses maîtres, non de proies tout juste chassées.

Nuage de Perle devait avouer qu'elle était peu attirée par le dîner qui se profilait mais sa faim vorace eut raison d'elle : elle ne tiendrait jamais jusqu'au lendemain ! Alors ils finirent, avec Nuage Vert, par avaler ce qu'on leur avait servi.
Ce n'était finalement pas si mauvais, simplement filandreux et légèrement fade. Rien à voir avec leur goûteux poisson.

A travers la légère fente de l'immense tanière où ils se trouvaient, ils pouvaient apercevoir les derniers rayons du soleil. Nuage de Perle eut un goût amer en bouche en pensant aux siens, si loin.
Elle n'osait imaginer la dérouillée qu'ils allaient se prendre en rentrant...

Je dois retourner dans mon panier, dit finalement Luna, rompant le silence presque magistrale du repas. Bonne nuit.

Son regard s'arrêta un instant sur Nuage Vert. Ce dernier tourna la tête sur le côté. Un maigre soupir s'échappa de la gueule de la chatte à la blancheur divine et elle sortit avec cette légèreté qui ne la quittait jamais.

T'es un peu injuste non ? glissa Nuage de Perle.

Malgré elle, l'air mélancolique de la chatte domestique lui faisait de la peine.

Retrouve-toi face à tes parents qui t'ont abandonné aux griffes d'une imbécile violente, tu m'en diras des nouvelles, répliqua-t-il avant de s'ébrouer, les crocs serrés. Je vais me coucher.

Il disparut derrière le tas de paille, ne laissant derrière lui qu'un fumet de colère.

Laisse-lui du temps, intervint doucement Poli avant d'éternuer, faisant voltiger les restes de son rat.

Il est trop têtu !

Visiblement, il n'est pas le seul !

Un petit rire énergique s'échappa de la gorge du matou tandis que vexée, la petite ne lui rendit pas son sourire. Oui bon, elle était peut-être un peu bornée aussi, ça va, pas la peine d'exagérer.

Vous pensez repartir demain ? demanda-t-il soudain.

Elle haussa les épaules. Il fallait avouer qu'elle n'y avait pas pensé, elle s'était contentée de suivre Nuage Vert à la trace.

Je sais pas. Sans doute, lâcha-t-elle finalement. Il faut qu'on retrouve notre Clan.

Et ma sœur.
Et mon mentor.
Aïe aïe aïe

A l'entente du dernier mot, les pupilles sombres de Poli s'allumèrent, comme si une minuscule lueur avait pris vie à l'intérieur.

Vous en avez de la chance, laissa-t-il échapper.

La petite sursauta et resta un instant, la gueule béate. Qu'était-elle censée répondre face à cela ?

Tu... tu voudrais venir avec nous ?

Espèce de crétine, il a dit qu'il ne pouvait pas ! Et de toute façon, tu crois vraiment que ton Clan l'accepterait ?!

Je ne peux pas, soupire-t-il avec un sourire, comme s'il devinait ses pensées contradictoires. Mais j'avoue q'des fois, j'y pense... et ça me tente. D'avoir tant de personnes sur qui compter...

Tu as toujours ta sœur, tenta piteusement la jeune chatte nacrée.

Elle ne sait pas se battre. Si j'crie dans la nuit, personne ne viendra m'aider.

Son sourire énergique prit soudain un pli plus triste, presque crispé. Un frisson parcourut le corps de Nuage de Perle et elle secoua la tête.

On pourra t'aider avec Nuage Vert.

Vous partez bientôt. Vous ne pourrez pas toujours veiller sur nous, il faut que je le fasse seul.

Le chat blanc se releva, se léchant les babines comme si de rien n'était. Il promena son regard sur toute la scène, sans doute à la recherche de quelque chose susceptible d'aiguiller sa curiosité et de satisfaire son envie de jouer. Un bref instant, Nuage de Perle put sentir sa peine et sa sensation d'être piégé, flottant dans l'air en effluves presque palpables.

Puis elle bailla.

Toute cette journée et ces émotions l'avaient épuisée. Sa tête entière bourdonnait d'un trop plein d'informations. Elle se dirigea donc vers le tas où la forme pâle et sombre à la fois de Nuage Vert semblait déjà plongée dans le sommeil.

Bonne nuit l'enquiquineur.

Elle se glissa dans un recoin entre la paille et le mur. Sa litière lui manqua un instant, face à l'inconfort de sa positon. Puis la solitude de la tanière lui revint, sans les deux formes de ses amis qui avaient atteint des sommets plus hauts qu'elle. Elle serra les dents.
Non, elle n'était pas jalouse.

Elle jeta un dernier regard à Poli. Le mâle lui sourit gentiment avant de disparaître dans l'ouverture.
Elle se roula en boule, mélancolique.

Un bref instant, sa pensée se tourna vers ses cauchemars et un frisson de peur l'envahit. Nuage Brumeux ne pouvait plus l'aider, peut-être même était-il...
Non, il était au Clan des Étoiles, en sécurité.
Cela ne pouvait être autrement.

Le goût âcre de la culpabilité perça sur sa langue.
Et avant qu'elle ne puisse s'en empêcher, elle sombra dans un sommeil profond.

-ˋˏ ༻♣︎༺ ˎˊ-

C'était le calme plat.
Lentement, la petite chatte se redressa, crispée à l'idée de retomber encore une fois dans l'affreux gouffre des cauchemars.
Mais il n'y avait rien.

Rien à part une immense étendue d'eau, sombre et plate, parfaitement immobile. Elle ressemblait à l'Eau de Lune par certains aspects mais en différait pourtant. Contrairement à l'Eau Sacrée, elle était infinie. Aucun arbre ne venait la border, aucune limite ne semblait l'arrêter.

Les pupilles déjà grandes de l'apprentie s'écarquillèrent. Ce n'était ni un cauchemar, ni un rêve. Rien ne se produisait.

Lentement, elle leva l'une de ses pattes pour l'observer. L'eau étrange et noire qu'elle avait déjà pu voir dans ses précédents songes marquait sa fourrure, engloutissait sa blancheur.
Cette fois, elle resta immaculée. Le liquide était normal.

Dans ce cas, que faisait-elle ici ?

Un grondement la fit soudain sursauter et elle sentit sa fourrure se hérisser sur toute sa longueur. Quelque chose approchait, quelque chose d'énorme !
Le cœur battant, elle balaya l'étendue vide du regard et aperçut au loin, une forme sombre.

Qui arrivait à grand pas.

Non pas encore !

Éperdue, elle se détourna pour courir en sens inverse, tout en sachant que cela serait vain. Ses pattes, auparavant si légères, lui semblaient aussi lourdes que des troncs. L'eau autour d'elle s'agitait à son tour, parcourue d'ondulations violentes.

Une vague.
Elle était poursuivie par une immense vague.

Le grondement s'intensifia et sa respiration, de même. Elle accéléra, encore et encore, sentant le vent étirer les pans de son visage, froisser sa fourrure encore et encore, sans que ce ne soit assez.

Elle jeta un regard apeuré en arrière.
Et malgré elle, un nom retentit dans son esprit.

Nuage Brumeux !

Elle se reprit en serrant les dents. Non, elle devait cesser de l'appeler à l'aide ! Il risquait sa peau à chaque fois qu'il venait, elle ne pouvait lui prendre ce qu'il avait de plus précieux !
Sa deuxième vie.

Il était temps qu'elle se débrouille seule.

Dans un brusque élan de courage — ou de stupidité — elle se retourna face à la vague. Celle-ci était plus haute que n'importe quel arbre autour du camp. Elle était effrayante, d'un bleu sombre et perfide, ricanant presque dans les ténèbres.

Elle serra les dents et tint bon, malgré les brusques tremblements qui s'emparaient de son corps.
Ce n'était qu'un cauchemar. Un simple tour de son esprit. Tout était imaginé.

Le Clan des Étoiles n'y était pour rien, peut-être était-elle la seule à les avoir créer.

Elle observa la vague. La terreur la submergea totalement mais elle se força à ne pas bouger, à rester en face de l'immense phénomène.

Une expression d'effroi intense se peignit sur ses traits.

La vague la percuta et elle hurla de peur en sentant ses pattes perdre pied. Cependant, contrairement aux autres, elle ne ressentit aucune douleur, étrangement.

Le calme absolue, malgré la peur qui battait dans son cœur.

Elle se sentait presque comme dans la Rivière Tumultueuse, avec ses doux remous et les sons sourds tout autour de ses oreilles dressées. Elle avait la sensation d'être dans l'eau tout en pouvant respirer.

Puis un brusque mouvement la fit partir sur le côté, emportée par des courants bien trop forts pour y résister. Elle battit follement des pattes, comme pour s'aider à se diriger mais ses efforts étaient parfaitement inutiles.

Alors l'eau l'emmena au loin, la trimballant d'un côté puis de l'autre sans ménagement. Tantôt sa vue s'éclaircissait tantôt elle s'assombrissait de nouveau, comme des flash intermittents qui lui donnaient le tournis.
Elle finit par fermer les yeux, sentant son estomac tanguer au beau milieu de son ventre.

Pouvait-on vomir dans un rêve ?

Et soudain, comme une gorgée que l'on recrache, l'eau la projeta sur une berge dure où elle atterrit dans un bruit tonitruant de fourrure mouillée.
Elle se releva doucement, les membres endoloris.

Mais qu'est-ce qui se passe ? lâcha-t-elle faiblement.

Ce rêve ne ressemblait à aucun autre.
Et pour cause.

Salut !

Elle releva la tête, prise d'un espoir fou et soudain. Face à elle, de son étrange démarche sautillante, son éternel ventre gigotant entre ses pattes, Nuage Brumeux lui fit un petit sourire, avançant tranquillement dans ce nouveau lieu qu'il avait sans doute créé lui-même.

Nuage Brumeux ! s'exclama-t-elle, les yeux brillants de joie. T'es vivant !

Le sourire du mâle se fit plus crispé. Il se gratouilla le ventre avant de se râcler la gorge et de s'asseoir d'une manière qu'il voulait digne.
Elle pencha la tête sur le côté, étonnée.

Je serai bref, Nuage de Perle, soupira-t-il finalement. Je ne t'aiderai plus.

Elle hocha simplement la tête, plus compréhensive qu'elle n'aurait pu l'être autrefois. Elle ne pouvait plus lui demander de risquer sa vie. Bon cela l'attristait un peu quand même mais pour une fois, elle tint sa langue.

Ils ont été... plutôt indulgents, grimaça-t-il. J'ai le droit à une deuxième chance. Mais pas une troisième.

Alors qu'est-ce que tu fais là ?

Disons que j'ai eu le droit de venir t'avertir.

Sa grimace s'accentua mais il finit par la balayer pour retrouver son petit sourire léger, quoique sérieux.

Il faut que tu ailles voir ma sœur, Nuage de Perle. C'est la seule qui puisse t'aider.

Un frisson la traversa, encore une fois. Elle n'était pas prête à assumer. Elle rétorqua :

Je risque de me faire punir et...

Et alors ?! Nuage de Perle, c'est plus ta santé mentale que tu risques, mais ta vie ! cria-t-il.

Elle sursauta. Une sueur froide se déversa sur son corps et sa respiration s'accéléra.
La mort. Encore.

J'ai peur, j'ai peur...

Pardon, soupira-t-il en inspirant. Mais l'heure devient grave. On s'en fiche des punitions, tu aurais dû y penser avant ! Maintenant, il est temps pour toi de l'assumer et d'aller tout raconter à Plume de Rose. Avant qu'il ne soit trop tard.

Elle secoua la tête, frissonnante de la tête aux pattes. Les orbes furibondes de Cœur de Pierre lui apparaissaient, entourées de celles de Fragment de Roche et de Brise Glacée.
Accusateurs.

Je peux pas, je peux pas, bredouilla-t-elle.

T'as pas le choix, dit tristement le petit mâle, frère de la guérisseuse.

Il leva les yeux, vers la voûte où quelques étoiles commençaient à apparaître. Comme s'ils les surveillaient.

Je peux me débrouiller ! gronda-t-elle, presque désespérée.

Non, Fragment de Roche avait raison !
Seule, tu n'y peux rien.

Va voir Plume de Rose, assena finalement le chat grisâtre. Ce sera mon dernier conseil. Adieu.




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Le retouuur :0

Et aussi les adieux

Je dirai pas que je suis fière de ce chapitre, sincèrement, on approche de la fin et il me paraît mou x)
Je pense que celui qui vient après sera bien plus riche en émotions 👀

Et oui Nuage Brumeux n'est pas mort ! Seulement, les rêves avec Nuage de Perle, c'est terminé !

Elle semble bien obligée d'aller voir Plume de Rose...

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Ben la suite dans les prochains chapitres hein

Kiss <3

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