| 𝐗 𝐗 𝐕 |

LES MURMURES SE CONFONDAIENT dans son esprit, tant et si bien qu'il ne parvenait plus à les différencier. Étaient-ils réels ou illusoires ?
Nuage Vert rabattit ses oreilles contre son crâne et serra les dents et les paupières. Il ne pleurerait pas ce soir. Il détestait pleurer.
Il haïssait les larmes.

Après quelques minutes, il se rendit compte que les murmures existaient réellement et qu'ils frissonnaient dehors. Lentement, dans le noir complet de la tanière de Plume de Rose, il se leva, la mine aussi sombre que les ténèbres qui l'entouraient. Sa fourrure n'était plus qu'un amas de poils blanchâtres mais il s'en fichait profondément.
Une belle fourrure n'aidait en rien dans un Clan.

Lorsqu'il surgit dans la nuit, se fut pour faire face à une masse vibrante de chats qui s'échangeaient des paroles vaguement inquiètes. L'atmosphère ambiante était si angoissante qu'elle le percuta de plein fouet et qu'il dut se faire fureur pour ne pas reculer.
Qu'est-ce qui se passait ?

Eh Nuage d'Écorce ! miaula-t-il, grognon à cause de ceux qui avaient interrompu son sommeil.

L'apprenti brun sortait de la tanière lui aussi. D'ici, l'apprenti guérisseur pouvait voir qu'il était épuisé. Et qu'il avait des courbatures aux muscles de la patte droite. Avec un automatisme nonchalant, un diagnostique s'inscrivit dans son esprit avec une netteté qui ne l'étonnait jamais.

Oui ? répondit le mâle dont il voyait les prunelles vertes dans l'obscurité.

Qu'est-ce qu'ils disent ?

Il aperçut les épaules du novice se hausser dans un mouvement qu'il devina fatigué. Il faudra qu'il songe à régler ses problèmes de sommeil avant que cela n'impacte sérieusement la santé de Nuage d'Écorce.

Nuage de Roche ! appela alors le brun, apercevant la fourrure grise au détour des corps qui chuchotaient, paniqués.

Presque immédiatement, la femelle tourna la tête vers lui et même dans le noir, Nuage Vert pu voir ses joues rosir sous sa fourrure. Beurk, autant d'amour dans un seul être l'écœurait ! D'autant plus qu'il ne trouvait pas Nuage d'Écorce si exceptionnel que ça.
Juste à côté, son regard accrocha deux prunelles grises et un sentiment de lassitude l'envahit.

Revoilà l'enquiquineuse, elle et sa sœur étaient toujours fourrées ensembles.

Qu'est-ce qu'il s'est passé durant l'Assemblée ? lui glissa Nuage d'Écorce, tandis que Nuage Vert et Nuage de Perle s'approchaient.

Onyx est apparu, répondit précipitamment Nuage de Roche, son effroi se lisant dans ses yeux écarquillés. Elle a proféré des menaces sur les Clans et elle a... disparu !

Elle s'est juste enfuie, corrigea Nuage de Perle en levant les yeux au ciel. Elle est rapide, pas magique !

Mais même si elle semblait trouver la peur extrême de sa sœur exagérée, Nuage Vert vit nettement ses tremblements et le léger hérissement de sa fourrure.
Quelle crétine celle-là.

Je comprends pas, lâcha-t-il d'une voix qu'il savait désagréable. Pourquoi elle vous fait si peur ? C'est qu'une solitaire qui s'amuse à menacer des chats qui sont au moins une centaine. Elle a une gueule rouge et bave du sang ou quoi ?

Alors que tous le regardaient l'air effarouché par cette remarque, il sentit une présence dans son dos.

Arrête, tu ne l'as jamais vue. Lorsqu'elle a tué Étoile Blanche... elle était... effrayante ! Son sang-froid était impressionnant, je n'ai jamais vu quelqu'un se battre comme ça....

Il se tourna vers Carapace Rugueuse et croisa son regard sombre. Le mâle serrait les dents, des tremblements furieux parcourant son corps entier, tels des spasmes de panique.

Tu ne la connais pas, lâcha-t-il tout bas.

La désagréable humeur de Nuage Vert ne trouva rien à répliquer cette fois. Alors il haussa simplement les épaules et se retourna vers Nuage d'Écorce.
Il détestait avoir tort mais il détestait également les explications inutiles.

Bien qu'il pensait encore que cette peur était futile et excessive, il ne répliqua rien avec une certaine maturité, bien qu'il bouillonait de mécontentement à l'intérieur de lui.

Bon, vous permettez que j'aille me coucher ? lança le mâle brun tout en lâchant un splendide bâillement.

On t'accompagne, la marmotte, ricana Nuage de Roche avant de le suivre dans la tanière des apprentis.

Nuage de Perle mit un certain temps avant de se mettre en marche elle aussi, ses yeux gris perdus dans d'étranges vagues. Un instant, elle sembla presque en transe, aucun de ses poils ne frémissant.
Mais lorsque ses yeux croisèrent ceux de Nuage Vert, ils étaient vifs et emplis de toute sa colère.

T'aurais pu être plus délicat, gronda-t-elle — comme si elle connaissait la délicatesse, songea le chat blanc avec un grincement de crocs. Carapace Rugueuse a un vrai traumatisme !

Je me passe des reproches, répliqua-t-il sauvagement. Surtout des tiens !

La mort d'Étoile Blanche était dure pour lui ! l'ignora-t-elle en montrant les crocs.

Les pupilles vertes eurent un sursaut qu'il s'empressa de camoufler.

C'est le seul peut-être ?

Elle se contenta d'un feulement énervé avant de s'enfoncer à son tour dans la tanière. Son pelage pâle disparut dans l'ombre, comme si elle ne s'était jamais tenue là, quelques instants plus tôt.

Mais le mal était fait.
Son cœur battait sourdement à ses oreilles tandis qu'il sentait sa respiration se bloquer dans sa poitrine.
La nuit promettait d'être de nouveau désagréable.

-ˋˏ ༻♣︎༺ ˎˊ-

« Pardonne-moi. »

Encore et encore, cette infime parole, faite de deux voix mêlées qu'il peinait à distinguer. Il plaqua durement ses pattes sur ses oreilles tandis que les volutes de sa fourrure s'enroulaient autour de son corps crispé.

Il y avait du blanc autour de lui. Beaucoup de blanc, une immensité de blanc. Le blanc était doux, d'une incroyable douceur alliée d'une chaleur rassurante.
Comme un pelage.

Non ! hurla-t-il sans savoir qui l'entendrait. Tu m'as abandonné !

Il ne savait plus à qui il s'adressait. Au deux peut-être.
Mais qui étaient-ils ?

Il sentit soudain une patte se plaquer durement contre son épaule. Il se débattit mais rien n'y fit, la poigne était trop forte. Pourtant la patte paraissait fine, si fine...

Il entendit une voix froide et loitaine mais il ne saisit que des bribes qu'il ne comprit pas. A travers ses paupières, il apercevait des formes floues. Des chats ?
Une extrême fatigue l'envahit alors, si épuisante qu'il laissa sa tête pendre sur le côté.

Puis soudain, une vive douleur lui transperça la gorge. Il ouvrit la gueule pour crier mais seul du sang en jaillit éclaboussant encore et encore son poil immaculé, d'une teinte qu'il trouva soudain effrayante.
Parce qu'elle était sienne.

Des hurlements retentirent autour de lui, de surprise, d'effroi et de tristesse mêlés.
Lorsqu'il se sentit doucement partir, il comprit qu'il mourait, qu'il mourait dans la souffrance et dans la peur de son cœur palpitant.
Que cette mort n'avait rien de reposant, rien de paisible. Qu'elle était un combat vain pour survivre.

Était-ce le Clan des Étoiles qui lui envoyait une vision ?
Allait-il mourir ainsi un jour ?

Seule une voix retentit cette fois.

« Tu ne pourras pas toujours la fuir. Un jour, il te faudra l'affronter. »

-ˋˏ ༻♣︎༺ ˎˊ-

Il se réveilla avec la lenteur de celui qui ne veut pas quitter ses songes. Il lâcha un grognement aussitôt emplifié par les paroles qui se rapprochaient jusqu'à se toucher en léger arc de cercle derrière lui. Ses yeux verts étaient encore brumeux de fatigue, les contours lui apparaissaient flous.
C'était désagréable !

Il se leva, les articulations craquantes, et fit quelques pas, l'esprit encore occupé par ce singulier rêve. Il était certain qu'il venait du Clan des Étoiles mais pourquoi ?

La discussion qu'ils avaient eu quelques instants avant qu'il ne parte se coucher y était-elle pour quelque chose ?

Œil de Lynx ! entendit-il quelque part à sa droite. Emmène Nuage de Roche et Nuage d'Écorce en patrouille près du Clan du Feu et de la Clairière de Lune, je vous rejoins dès que j'ai fini.

Plus loin, dressé dans l'aube qui rendait sa fourrure rousse ardente, Cœur de Flamme s'occupait du petit attroupement devant lui, avec une droiture et un calme exemplaire. Chacune de ses consignes étaient claires et il prenait bien garde à ne pas attribuer deux tâches au même chat.

Pelage de Miel, avec Ouragan Nocturne et Nuage d'Éclair, vous partirez des Terres Neutres avant de longer le Chemin Perdu.

Il fit une petite pause tandis que les concernés hochaient studieusement la tête.

Pour les autres apprentis, je laisse le soin à vos mentors de s'occuper de vous.

Il s'approcha de sa patrouille alors que Nuage de Roche glissait un murmure excité à l'oreille de Nuage d'Écorce dont Nuage Vert sentait l'aura fatiguée jusqu'ici.

Du côté de la tanière des apprentis, Nuage d'Orage et Nuage de Perle émergeaient. Si le jeune mâle roux semblait bouillonner d'énergie à l'idée d'apprendre, la petite chatte fixait son mentor du coin de l'œil l'air maussade.

A l'autre bout du camp, ledit mentor rendait visite à sa compagne dans la pouponnière, des cris aigus accompagnant sa venue. Gelée d'Aurore écoutait d'une oreille discrète les plaintes de Rivière d'Ombre au sujet du temps, de son apprenti, des proies, des remèdes, de son apprenti, de la Rivière, des cailloux, de son apprenti... ah ! et de son apprenti aussi !

Les patrouilles s'égrénaient les unes après les autres, tels les nuages qui s'éparpillaient doucement pour laisser apparaître toute la splendeur rougeoyante du soleil.

Une journée tout à fait normale entre autres.
Pourtant, Nuage Vert s'y sentait totalement étranger.

Parfois, il en avait plus qu'assez de ce Clan où chacun s'amusait à cacher des choses, où la vie ne tournait qu'autour de leur personne, où chacun faisait semblant que tout allait bien alors que rien n'avançait dans le bon sens.

Avec un battement de queue rageur, il rentra dans la tanière, préférant rester seul plutôt que de faire semblant d'apprécier ceux qui l'entouraient.

Nuage Vert ? entendit-il.

Quoi ? lâcha-t-il froidement.

Plume de Rose venait de rentrer à sa suite, son pelage gris et bien toiletté éparpillant quelques reflets sur le plafond de la petite caverne.
Il regretta un instant d'avoir été aussi agressif. Son mentor était bien la seule qui le comprenait un minimum et ne lui en voulait pas pour son humeur toujours mauvaise.

Peut-être parce qu'il lui arrivait d'être en colère et de le montrer elle aussi.

Trie les remèdes, indiqua-t-elle avec un simple souffle fatigué. Je vais en cueillir, il nous manque encore de l'herbe à chat.

Encore ?

Oui, notre voleur a sans doute frappé durant l'Assemblée lorsque nous étions encore dehors, soupira-t-elle.

Et sans plus de mots, elle sortit.
Nuage Vert n'avait pas besoin d'humer son odeur pour savoir qu'elle aussi avait besoin de repos. Ses épaules étaient voûtées et ses yeux semblaient injectés de sang.

Sans commentaires, il s'attela à sa tâche en grommelant. Une pile fraîchement cueillie par son mentor la nuit dernière n'attendait que ses pattes pour travailler.

Avec un soin qu'il ne réservait qu'aux remèdes, il entreprit de les séparer, pour certains d'en retirer les racines encore embourbées ou de jeter les feuilles abîmées.

Peu à peu, ses gestes devinrent monotones, uniquement guidés par l'instinct. Et pourtant, il savait apprécier leur facilité.
A chaque nouvelle plante, son cerveau mettait un nom précis tandis que son odeur l'emplissait de sa suavité.

Sa respiration se calma, comme s'il entrait dans une sorte de transe qui ne le prenait que lorsqu'il était seul.
Elle lui était si agréable qu'il ne vit pas le temps s'écouler autour de lui. Il ne vit pas les rayons du soleil frapper son dos courber en le réchauffant.

Sa queue d'une blancheur opaline cessa de s'agiter nerveusement sur le sol de terre et conserva une immobilité paisible.
Si ses sourcils étaient froncés, c'était uniquement par concentration plutôt que par réelle colère.

Alors que tout devenait flou autour de son corps, il entendit le cri de Plume de Rose.

Nuage Vert !

Elle déboula dans la tanière, complètement essoufflée. Dans sa gueule haletante, pendaient des pousses de soucis et d'herbes à chat. L'apprenti secoua la tête, reconsidérant toute la tanière autour de lui. Sa vision lui paraissait étrange, son corps également.

Tout lui semblait différent et en même temps parfaitement habituel.

Qu'est-ce qui se passe encore ? grogna-t-il, avec cependant plus de calme qu'auparavant.

La guérisseuse déposa sa trouvaille près des tas qu'il avait triés et inspira pour retrouver son souffle.
Elle se tourna vers lui et la vue de son œil aveugle le frappa soudain.

Comme si l'orbe blanc le voyait.

C'est Nuage de Roche et Nuage d'Écorce, articula-t-elle en faisant quelques pas pour récupérer de sa course.

Qu'est-ce qu'ils ont fait ces imbéciles ?

Ils ont trouvé le voleur de remèdes ! Enfin, la voleuse.

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