| 𝐗 𝐗 𝐕 𝐈 𝐈 𝐈 |

DOUCEMENT, Nuage de Perle s'extirpa du trou où ils venaient de se réfugier. Trois monstres d'affilée, c'était beaucoup trop pour son nez et ses oreilles, qui en payaient encore les conséquences.
Devant sa truffe justement, les herbes commençaient doucement à se teinter de rose. Des gouttes fleurissaient sur les tiges encore plongées dans la pénombre.

Elle lâcha un énorme bâillement qui laissa tout le loisir à Nuage Vert d'apercevoir ses crocs minuscules et sa petite langue rose. Sa mine passa de dégoûtée à cause de la puanteur des monstres, à écœurée, ce qui revenait au même finalement.

J'ai sommeil, fit-t-elle d'une voix morne.

L'apprenti guérisseur leva bien haut les yeux au ciel avec une exagération qui hérissa les poils de l'apprentie fatiguée. Avec injustice, lui semblait en pleine forme

Je rêve, cracha-t-il froidement. C'est toi qui as insisté pour venir parce que, je cite : Madame « n'arrivait pas à dormir » !

Elle se renfrogna, réprimant un frisson dans le froid matinal.

Roh ça va...

Tu te souviens de ce que j'ai dit à propos des plaintes ?

Elle se tut. Il soupira profondément avec un air hargneux. Il regrettait déjà d'avoir accepté. Il n'aimait pas la compagnie, la solitude lui convenait comme seule amie. Visiblement certains ne le comprenaient pas puisqu'ils s'obstinaient malgré tous ses efforts pour paraître désagréable, à venir vers lui, tels Nervure d'Écorce, Carapace Rugueuse, Nuage de Pluie...

On y va ?

Nuage de Perle ne comprenait pas pourquoi Nuage Vert fixait le vide, d'un air soudain plus hébété. Qu'est-ce qui lui prenait, il avait avalé de travers ou quoi ?

Ouais ouais on y va.

Et il s'engagea sur les herbes, longeant la route noire et nauséabonde. Bizarre celui-là. La jeune chatte fronça les sourcils et le suivit, la queue constellée de gouttes d'eau qui attiraient la lumière de l'aurore. De loin, on aurait pu les prendre pour des chats du Clan des Étoiles avec toutes ces petites lumières autour de leur corps.

L'espace d'un instant, la petite encore apprentie songea à sa sœur. Guerrière qui verrait le Clan se lever ce matin, enfin libre. Et qui n'y verrait pas sa sœur.

Penserait-elle qu'elle se cachait par jalousie ?

N'importe quoi, j'suis pas jalouse.

Mais elle-même n'en était plus vraiment certaine. Pourquoi était-elle partie au juste ? A cause de ses cauchemars ou de son baptême ?

Ou juste de ton égoïsme.

Une fleur chatouilla le bout de son nez et elle laissa échapper un bruyant éternuement, profitant de cette diversion pour échapper à ses pensées accusatrices.

Silence, bougonna Nuage Vert.

Savait-il seulement dire autre chose que des reproches ?

Qui va nous entendre, hein ? répliqua-t-elle.

Nos ennemis d'en face ont des oreilles !

On n'est pas sur leur territoire, ils s'en fichent !

Deux apprentis seuls et qui ont pas l'air en patrouille alors que le soleil n'est même pas levé ? Crois-moi, ils se feront un plaisir de le rapporter au Clan !

Elle leva les yeux au ciel devant une paranoïa aussi forte. Elle restait persuadée que le Clan de la Terre n'en avait rien à cirer de ce que deux apprentis pouvaient bien faire, tant qu'ils ne venaient pas empiéter sur leur territoire nauséabond.

L'odeur de ce Clan de la forêt était si différente de la leur qu'elle était, pour les chats aquatiques, la plus mauvaise. Venait ensuite celle du Clan du Feu, qui avec ses résidus de cendres ne semblait pas plus agréable et enfin, du Clan de l'Air, plus légère et volatile.

Soudain, derrière l'esprit embrumé par la fatigue de la petite chatte, une idée survint.

Et la patrouille de nuit alors ?

Généralement, aucun apprenti n'y participait, leur laissant le loisir de se reposer. Enfin, pour ceux qui ne voyaient pas des cauchemars les hanter. Ou dans le cas de Nuage Vert, des interrogations sans réponse.

T'écoutes vraiment rien ou tu le fais exprès ? Cœur de Flamme a dit qu'il n'y en aurait pas cette nuit, pour laisser à nos nouveaux guerriers le soin d'être " totalement en charge de la sécurité du Clan".

Ça va, ça va ! gronda-t-elle. J'avais pas entendu.

Le fait qu'il soit son aîné ne l'obligeait pas à la rabaisser à chaque parole ! D'accord, son égo n'était pas des plus minces, mais elle allait sincèrement finir par être vexée et pas pour rien !

Elle le lorgna d'un regard plus sombre et décida de se concentrer sur le paysage, pour oublier la pénible compagnie qu'était le chat blanc. Le soleil venait d'apparaître au loin et elle dû détourner son regard gris pour ne pas le sentir brûler.

Les couleurs d'un rose pâle et d'un violacé estompé laissaient place à une palette plus chaude, de jaune et de orange sombres, toujours sillonnés de nuages filandreux. Les arbres s'accordaient à l'éther, perdant une à une leur feuille tournant au rougeâtre.

« Le Midi des Feuilles Rouges »

Génial, il ne manquait plus que la prophétie. En y songeant, Onyx la terrifiait bien plus que ce prétendu Traître et sa première apparition vide et nébuleuse.
Tout commençait à s'emmêler autour des Clans, perdant les félins et les poussant à se méfier de tout.

Comme pour mettre fin à ces pensées faisant naître un sentiment de peur et d'insécurité, son ventre grogna.

C'est pas vrai, gémit froidement Nuage Vert. Tu pouvais pas manger avant ?

Je pensais pas que tu m'entraînerais jusqu'à la Ville, protesta-t-elle, les joues rougies par une légère honte.

Débrouille-toi pour chasser et traîne pas ! lâcha-t-il.

Ni une ni deux, elle s'engagea entre les herbes avant de réaliser qu'elle venait d'obéir à un ordre de sa part.
Stupide Nuage Vert !

Elle leva la truffe au vent, tiraillée par la faim et la fatigue. Il lui fallut plusieurs minutes pour sentir la douce fragrance d'une proie trop matinale. Son estomac en gargouilla de plus belle. Elle se mit en posture de chasse, reconnaissant là une sourie.

Les conseils de Cœur de Pierre, prononcés avec sa voix morne, lui revinrent en mémoire avec une clarté qui l'étonna.
Elle n'était donc pas aussi tête en l'air qu'il le disait !

Bientôt, la fourrure brune du rongeur fut en vue, grignotant une quelconque graine que le vent avait déposée sur le sol.

Désolé.

Elle bondit, pattes et griffes en avant, atterrissant de justesse sur le petit corps. Elle avait sauté trop tôt. Elle réussi néanmoins à garder la souris gigotante entre ses pattes et l'acheva d'un coup de dents.

Aussitôt, l'odeur en devint si alléchante qu'elle ne put résister et entreprit de la dévorer en quelques coups de dents voraces. Le goût de la chair tendre et du sang eut raison de son appétit et elle put se rapprocher du Chemin Perdu où elle avait laissé Nuage Vert.

Il n'y avait aucune trace du félin blanc.

Nuage Vert ?

Jamais elle ne se sentit aussi stupide qu'en cet instant. Évidement qu'il allait l'abandonnée, il n'avait jamais voulu de sa présence ! Elle aurait dû s'en douter avant de la lui imposer !

Mais il va certainement pas se débarrasser de moi comme ça !

Qu'il était énervant ! Il ne faisait que lui crier dessus sans qu'elle n'ait le souvenir de lui avoir fait quoi que ce soit !
Quel était son problème à la fin ?!

Sentant une rage soudaine l'envahir, sans doute due à sa rancœur de la veille, pas tout à fait apaisée, elle s'élança sur les traces qu'il avait laissées. A un moment, elle le sentit s'éloigner du Chemin Perdu.
Il tentait de la semer.

Elle reprit sa course, plus effrénée, laissant ses muscles travaillés durant des lunes gagner sur ceux de l'apprenti guérisseur.
Elle le rattraperait et elle saurait tous ses secrets, il n'avait qu'à pas la tenter de cette manière !

Enfin entre deux herbes, un bref éclat de fourrure blanche la fit accélérer.
Elle percuta le jeune mâle avec toute la force engrangée par sa vitesse et son ardeur. Peu endurante, elle était déjà essoufflée.

Déjà revenue ? cracha-t-il en se relevant.

Ça t'étonne hein ! répliqua-t-elle les poils gonflés.

Elle pouvait se montrer agaçante mais elle ne lui demandait pas de devenir amical, simplement de la laisser voir la Ville des Bipèdes !

Pourquoi tu me détestes autant à la fin, je t'ai rien fait !

Il se crispa et ferma les yeux, les griffes sorties. Est-ce qu'il allait... pleurer ?
Mais non. Lorsqu'il les rouvrit, ce fut pour laisser éclore une rage mêlée à une haine si intenses qu'elles la firent reculer de surprise.

Non tu m'as rien fait en apparence ! C'est sans doute juste moi qui me suis monté la tête pour rien ! feula-t-il. Mais comme tu ne t'en rends pas compte, laisse-moi te dire à quel point tu es énervante !

Il se releva, le poil plus emmêlé que jamais et les pupilles furibondes. Le vert tendre les avait délaissées, préférant se réfugier plus loin, dans les douces prairies arrosées par la brume.

L'air de rien, on se ressemble tous les deux, cracha-t-il. T'as jamais connu tes parents ? Et bien moi non plus ! Ou plutôt si mais qu'après, une fois qu'il était trop tard ! Sans doute ont-ils eu honte de moi !

Mais de quoi tu parles ?! cria-t-elle, complètement perdue dans autant de fureur.

Laisse-moi finir !

Elle sursauta et montra les crocs.
A l'agressivité, répondre par l'agressivité.

Tu les as jamais connus, lâcha-t-il, perdant son souffle. Mais t'as le droit d'être heureuse, d'avoir une nouvelle famille, des parents qui te considèrent comme leur propre fille alors que tu n'es qu'une étrangère !

Brise Glacée, Cœur de Pierre, Fragment de Roche...

Étrangère.

Elle rabattit les oreilles et sortit les griffes.

Tu veux que je te dise ? cracha-t-il avec un soudain mépris. Moi aussi lorsqu'on m'a ramené au camp, j'ai été accueilli ! Mais pas aussi bien que toi. Toute mon enfance à la pouponnière, on n'a fait que me rabaisser ! Rabaisser parce que je réclamait de boire du lait, rabaisser par que je voulais sortir avec les autres, rabaisser parce que... parce que... parce que je pleurais ! Je pleurais la perte de ma vraie mère, séparée de moi trop rapidement ! Et regarde ce que ça m'a coûté !

D'une patte rageuse, il écarta l'épaisse fourrure qui recouvrait une portion de son flanc. Une longue griffure maculait sa peau laissée à nue. Nuage de Perle sentit un frisson d'horreur parcourir sa nuque.

La griffure n'avait rien de celle d'un chaton minuscule. Elle appartenait à un adulte. Inconsciemment, elle se radoucit, sentant au fond d'elle, naître une touche d'empathie.

Mais alors qui...

La mère de Carapace Rugueuse !

Les yeux gris déjà grands de la petite chatte s'agrandirent encore. Ses griffes se rétractèrent et sa mâchoire tomba, béate.

Tu sais pourquoi ? gronda-t-il, les yeux luisant de larmes de rage. Parce que lui et moi, on a le même père. Le même père mais pas la même mère !

Attends quoi ?!

Elle m'a toujours haïe parce qu'il ne l'a jamais reconnue comme sa compagne alors qu'il allait fricoter avec une autre ! Une chatte domestique qui plus est ! Alors elle me l'a fait payé à sa manière, avec une jalousie maladive devant les yeux innocents de son fils qui m'a toujours prit en pitié.

Il cracha le dernier mot, qui alla s'éclater au sol avec une violence inouïe, tâche de bave si acide qu'elle en dissolvait presque le sol.

Mais qui était votre père ?! s'écria Nuage de Perle dont la tête bourdonnait dangereusement.

T'as toujours pas deviné ? se moqua cruellement le petit chat. T'as toujours pas deviné de qui Carapace Rugueuse tient sa grande stature, ses pattes épaisses, son côté solide ?! Ni pourquoi il a été tant traumatisé lorsque Onyx a tué notre chef ?! Ni pourquoi celui-ci a tenté de le sauver ?!

Arrête, arrête, supplia silencieusement l'apprentie, revoyant dans ses yeux écarquillés le corps blanc et immobile.

Étoile Blanche était notre père à tous les deux ! Et Toison de Galet m'a toujours fait regretté d'avoir hérité du blanc de sa fourrure !

Essoufflé devant sa soudain crise, il se rassit, les nerfs à vif. Mais sa rage était encore trop forte lorsqu'il releva les yeux avant de lâcher d'une voix caverneuse :

Il a juste eu le temps de lui avouer avant de mourir. Lorsque je le soignais et qu'il était perdu, il me parlait. Un jour il a fini par me le dire. Quant à moi... je n'ai compris notre filiation que grâce à mes rêves et encore, sans qu'il ne vienne jamais me parler en face. Il avait sans doute honte, honte de voir le fruit de ses aventures avec une chatte domestique !

« Pardonne-moi. »

Comme si tu voulais te faire pardonner, pensa amèrement Nuage Vert, l'espace d'un instant.

Alors voilà pourquoi je te déteste comme je déteste ce Clan de menteurs ! cingla-t-il. Parce qu'on me cache toujours tout, parce que vous m'affichez devant les yeux un bonheur auquel je n'ai pas eu droit, parce que chacun se concentre sur ses petits problèmes sans se douter de ceux des autres !

Il se laissa tomber sur ses pattes, le souffle court et les poumons agités de spasmes presque douloureux tant la colère qui avait éclaté les avait mis à rude épreuve.

La crise était passée. Il l'avait dit.

Personne n'a jamais su tout ça, personne n'a jamais su ce qu'elle m'a fait subir.

Il s'arrêta net, relevant la tête vers la figure tremblante de celle qui l'accompagnait, soudain envahi d'une crainte démente.

Si t'en parles à quiconque, murmura-t-il tout bas, emplie de cette honte dont il ne parvenait à se débarrasser. Même à Fragment de Roche, je te jure Nuage de Perle...

Il haleta, la langue pendante, les yeux mi-clos, les muscles crispés.

Je te jure que je te tue.






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Et bam dans la face !👊

Vous pensez être les seuls à vous être pris une claque dans ce chapitre ?
Je vous rassure, moi aussi

Jamais j'aurai pensé à aller aussi loin avec ce personnage énigmatique qu'est Nuage Vert mais je suis plutôt contente du résultat

(Bon une rapide correction est prévue à la fin de ce tome donc j'irai à la pêche aux incohérences puisque ce n'était pas prévu à la base, que Carapace Rugueuse soit AUSSI le fils d'Étoile Blanche.

Pour la petite histoire, Toison de Galet est morte du mal vert un peu après le baptême de son fils biologique, plus vieux que notre petit mâle maigrichon.

Voilà aussi pourquoi il n'aime pas pleurer, il a toujours peur qu'on le lui reproche :'(

Autre info > vous vous en souvenez sans doute pas mais lors d'une petite séance de le saviez-vous sur mon Babillard, j'ai laissé cette info, au hasard 👀 :

« Étoile Blanche a toujours été sensible au charme des femelles. »

Eh oui !
Mais il est vrai que, craignant de ne pouvoir lui rester fidèle (ça partait d'une bonne intention à la base), il n'a jamais pris de compagne.
Désolé Toison de Galet.

J'espère que ces révélations vous auront plu, tout comme le chapitre

Merci de continuer à suivre cette histoire <3 🥰
A dimanche !

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