NUAGE D'ÉCORCE ÉTAIT celui qui l'avait repérée le premier. Il faut dire qu'il avait rapidement prit de l'avance, fatigué par les cris de Nuage d'Orage qui se plaisait à vouloir débusquer chaque petit être vivant qui peuplaient les hautes herbes, clamant haut et fort qu'il avait un formidable odorat.
Les patrouilles lui étaient habituellement plutôt agréables, quoique, il en faisait beaucoup trop ces derniers temps, mais avec le rouquin dégoulinant de fierté, tout se transformait en calvaire.

Au moins, cela lui avait permis de repérer l'intruse.
Il avait d'abord senti son odeur étrangère puis sa silhouette était apparue dans son champ de vision, sombre et fine. Sur ses gardes, il s'approcha en montrant les crocs. Il ne se sentait pas vraiment menaçant, peut-être parce que ce masque lui écorchait le visage tant il ne lui ressemblait pas.

Elle se tourna vers lui alors que sa fourrure effleurait une herbe morte. Ils se détaillèrent avec méfiance d'abord, sans un bruit. Elle était fine, très fine, maigre en vérité. Par endroit, ses os ressortaient sous sa fourrure gris pommelé, qu'elle semblait soigner avec attention puisqu'elle restait propre et bien toilettée. Son visage fermé laissa paraître une surprise intense puis une agressivité haineuse, derrière ses grands yeux sombres.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui lança-t-il, d'un ton moins menaçant qu'il l'aurait voulu.

Ou pas d'ailleurs, il détestait grogner et feuler contre tout et n'importe quoi.

— Tu es sur notre territoire, ajouta-t-il voyant qu'elle ne réagissait pas, gardant seulement ses yeux plissés. Va-t-en !

— Encore des chats de ce Clan de mangeurs de poissons ! riposta-t-elle la fourrure hérissée.

Encore ?

— Oui et tu ferais mieux de t'en aller si tu ne veux pas découvrir notre force.

Nuage d'Écorce se retourna, surpris, pour voir Cœur de Flamme apparaître à ses côtés, sa mine calme malgré son poil épais et légèrement gonflé, comme un feu brûlant. Le lieutenant se plaça à ses côtés, les prunelles rivées sur la petite chatte grise.

— Pars avant que je ne cesse de le demander gentiment, gronda le mâle.

Nuage d'Écorce approuva plutôt mollement. Il savait que même alors qu'il jouait les durs, Cœur de Flamme ne pouvait s'empêcher d'être extrêmement indulgent.
La solitaire émit un nouveau grondement et eut un bref coup d'œil envers un bosquet, remarqué évidement par les deux mâles tant sa discrétion était inexistante.

— Ça va, j'y vais, j'y vais, feula-t-elle.

Pourtant, elle n'esquissa aucun geste.
S'attendait-elle vraiment à les voir tourner les talons en la laissant toute seule, sans attendre sa fuite ?

Elle veut récupérer quelque chose qu'elle a planqué dans le buisson, pensa Nuage d'Écorce en plissant ses yeux verts. Et elle ne veut pas qu'on le voit. Une proie volée peut-être ?

— Qu'attends-tu ? l'injectiva Cœur de Flamme mais il n'eut pas le temps de recevoir une réponse qu'un cri s'élevait.

— Une solitaire sur notre territoire ? Laissez-moi, je m'en charge !

— Nuage d'Orage, n'espère même pas bouger, espèce de...

Mais le rouquin ignora royalement son mentor noir et blanc pour foncer, bousculant Nuage d'Écorce au passage.

— Arrête, tu vas te faire tailler en pièces ! ne put s'empêcher de lui crier le mâle brun.

Le petit novice bondit, toute griffe dehors et la fourrure gonflée, crachant avec agressivité et menace avérée. La solitaire se contenta de lever un sourcil et feula à son tour lorsqu'il atterrit sur son dos.
Il lui lança un coup de patte, maladroit et faiblard qu'elle évita sans problème, tout comme les autres qui suivirent.

Il n'avait évidement aucune chance. L'inconnue était visiblement habile au combat et bien entraînée. Seuls quelques coups parvinrent à la toucher et encore, ils ne firent que l'effleurer !
Lorsqu'elle commença à se lasser, elle passa enfin à l'attaque. L'apprenti n'eut le temps que de pousser un cri de surprise qu'elle lui assenait déjà une griffure magistrale qui marqua son flanc profondément.

— Va-t-en, sale solitaire ! cria-t-il en tentant de l'esquiver.

Mais une véritable bataille ne ressemblait en rien à une querelle de pouponnière. Tourmenté par le corps agile et les crocs meurtriés de la jeune chatte, Nuage d'Orage faiblissait à vue d'œil.

— Nuage d'Écorce, va les séparer ! s'exclama alors Cœur de Flamme.

Ni une ni deux, l'apprenti se lança à son tour dans la bagarre. Il attrapa le petit mâle roux par la peau du coup, alors que celui-ci gesticulait. La chatte poussa un cri énervé et lui assena un nouveau coup sur son ventre fragile, lui soutirant un énième hurlement de douleur.

Des gouttes de sang voltigèrent devant le museau de Nuage d'Écorce.

Ses pupilles s'étrécirent et un goût amer pénétra dans sa bouche, du fond de sa gorge. Des images apparurent sur sa rétine, rendant floue la scène qui se déroulait devant lui.

« Quoique tu fasses, mon petit, je serais toujours là, près de toi. »

Il manqua de lâcher Nuage d'Orage, assailli par d'horribles souvenirs qui ne devaient pas remonter.

Non, non !
Concentre-toi, concentre-toi, concentre-toi !

Il repoussa la solitaire jusqu'à l'envoyer bouler près de son précieux bosquet d'herbes. Au passage, un fumet étrange et fort émanant de sa fourrure le perturba, l'étourdissant presque un instant.
Qu'est-ce que c'était ?

— Nuage d'Écorce !

Il secoua la tête.
Ce n'était pas le moment.

Il entreprit alors de tirer le novice roux qui se débattait, tentant d'échapper à sa forte emprise.

— Je veux y retourner, je peux y retourner ! crachait-il.

Mais bien sûr... pensa le mâle avec un soupir.

Il était bienveillant avec les plus jeunes que lui habituellement mais Nuage d'Orage le mettait sincèrement à fleur de peau.
Il était plus doué pour cela que pour le combat sans aucun doute.

A bout de souffle, il le lâcha devant Rivière d'Ombre, furibonde. Ses pattes blanches fièrement plantées dans le sol, elle lui jeta un regard vénimeux qui fit frémir le brun bien qu'il ne lui était pas adressé.

— Qu'as-tu à dire pour ta défense, espèce de crétin écervelé ?! grogna-t-elle sans attendre qu'il ait reprit ses esprits.

— J'ai... j'ai défendu mon Clan ! rétorqua-t-il.

— Tu rigoles ?! Tu as foncé n'importe où sans même réfléchir à qu' t'y connaissais rien en combat, triple andouille !

Le petit se recroquevilla, les yeux flambant d'une colère intense.

— J'ai fais ce que j'avais à faire, c'est pas ma faute si t'es jamais contente !

Quelle merveilleuse idée, Étoile de Marbre a eut de les lier, ces deux-là... pensa Nuage d'Écorce avec ironie en se plaçant près de son mentor, qui observait son fils, les yeux plissés.

— Tout ce que t'avais à faire, c'était pas bouger !

— Mais c'est pas juste !

— Bon, on rentre ! les arrêta Cœur de Flamme, les oreilles sifflantes.

— Non, je veux...

— Nuage d'Orage, reprit son père d'un ton plus doux — il était toujours indulgent avec ces enfants, à fortiori depuis qu'il en avait perdu un. Tu saignes, je ne peux pas prendre le risque que tes blessures s'infectent.

Il émit un grognement mécontent mais ne protesta pas. Cœur de Flamme était bien le seul à avoir un semblant d'autorité sur le petit garnement.

— Ton comportement sera rapporté à  Étoile de Marbre, sois-en sûr ! feula Rivière d'Ombre, visiblement pas prête à lâcher l'affaire.

Et la chamaillerie reprit.
Nuage d'Écorce et Cœur de Flamme s'échangèrent un regard épuisé.
Le retour promettait d'être bien long...

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L'odeur âcre du sang était de celles que l'on oublie pas, Nuage d'Écorce le savait. Il avait toujours l'impression que sa truffe en était imprégnée alors qu'elle n'était qu'un souvenir persistant qui ne voulait pas s'effacer.

Il lui suffisait parfois de fermer les yeux pour voir ses paupières se teinter de rouge. Il n'avait pas peur du sang, loin de là. Pourtant, des tremblements le prenaient parfois lorsqu'il voyait ses griffes ainsi tâchées.

« Mais que deviennent les félins perdus dans la nuit ? »

Nuage d'Écorce ne le savait pas. Sa soif de réponses virait à l'obsession comme s'il retenait son souffle et qu'il ne pourrait le relâcher que lorsqu'il aurait trouvé.
Et de ce désir profond, il n'y en avait qu'une au courant. Enfin deux maintenant, alors qu'il avait fait l'erreur de laisser sortir ces pulsions qui sommeillaient en lui et troublaient son sommeil.

Au détour d'une Assemblée, il avait rencontré Puits de Sagesse et jamais son nom n'avait été si bien porté. Elle avait vu cet éclat sombre que portaient ses yeux et avait compris sans même qu'il ne lui explique.

« Que cherches-tu, jeune chat ?

— Qu'est-ce qui vous fais dire que je chercher quelque chose ?!

— Tu as le regard trouble des âmes qui n'ont rien trouvé. »

Bien sûr, elle n'avait pas deviné précisément de quoi il en retournait, à ce niveau, cela devenait de la télépathie, mais elle avait promis de ne rien dire aux autres — et puis, qu'est-ce que cela lui apporterait ?
Et depuis, elle demandait inlassablement, s'il avait trouvé le but de sa quête.

Et sa réponse était toujours la même.

« Non, encore une fois. »

La deuxième était Nuage de Perle qui l'avait surpris alors qu'il était encore dans cet état de transe qui le gagnait parfois et qu'il haïssait plus que lui-même, cet état qu'il tentait de contrer par tous les moyens.
Il se maudissait encore de s'être laissé dompter.

Malgré tout, son amie n'avait rien dit et lui avait même proposé de l'aider en échange de son soutien à lui aussi.
Quelque part, elle était un peu dans le même cas que lui.

Mais pas totalement.
Elle n'a pas vu sa mère baignant dans une mare de sang. Elle n'a pas perdu sa sœur, disparue sans savoir pourquoi, au moment où elle avait le plus besoin d'aide.

Elle a toute une famille autour d'elle mais elle chercher à s'égarer autour .

Elle ne se rend pas compte de la chance qu'elle a.

Mais il savait que ce bonheur, il pouvait encore le retrouver.
Nuage de Plume était vivante, il en était certain. Il la retrouverait un jour et ils seraient de nouveau réunis.

« Quand je serai grande, je changerai toutes ces règles stupides ! Je veux que ce monde soit juste pour tout le monde, même les solitaires, même les chats domestiques, même les méchants, même les gentils ! »

Il sentit une boule se former dans sa gorge sèche alors qu'il s'imaginait sa petite voix, juste là, à côté de lui, avec son pelage doux, blanc et brun.

— Eh oh, Nuage d'Écorce ?

Il s'empressa de relever la tête surpris. Devant lui, deux yeux vert clair hargneux le regardaient, l'air visiblement mécontents.

— Pardon, tu... tu disais ?

Nuage Vert leva les yeux au ciel avant de donner un bref coup de langue à sa fourrure emmêlé. Au sommet de son crâne, quelques poils rebiquaient vers le haut, lui donnant une curieuse allure.

— Je disais, répéta le petit apprenti guérisseur avec une impatience exagérée. Que j'avais fini avec Nuage d'Orage et qu'à part quelques coupures, pas la peine de s'inquiéter. A ton tour maintenant !

— J'ai rien Nuage Vert, tout va bien.

— Mon œil ouais. Tu sens peut-être rien mais t'as une vilaine morsure à l'épaule donc suis-moi au lieu de jouer les pénibles récalcitrants !

Le bun se tordit dans tous les sens pour apercevoir son épaule apparemment blessée et constater qu'effectivement, sur les poils brun clair, une morsure profonde se détachait accompagnée — et il déglutit avec difficulté — d'un peu de sang.

Il s'approcha donc docilement du novice blanc qui farfouillait dans ses remèdes en grommelant.
Il revint avec quelques feuilles de souci, fraîchement cueilli vu la terre humide qui pendaient encore aux racines de celles qui en possédaient.

— Tu les as carrément arrachées ? s'étonna-t-il d'un ton plus léger que son humeur intérieur.

— Ouais, répondit Nuage Vert en haussant les épaules. Elle commençait à envahir les plantes d'à côté.

— Il reste des pieds ?

— Évidement, tu me prends pour qui !

Il retint un sourire doux et moqueur et fit une grimace à la place lorsque le suc se posa sur son épaule. Un picotement désagréable envahit la zone et il dut se retenir de sortir les griffes.

— Bon, ça ira normalement, grommela le blanc à voix basse. Reviens-moi si jamais ça s'infecte.

— Merci, Nuage Vert, sourit l'autre.

Même si l'on pouvait en douter par leurs échanges peu nombreux et quelque peu sarcastiques, ils étaient bien amis et ce depuis quelques temps déjà.
C'est ce qui fit que Nuage d'Écorce ne le prit pas mal lorsque Nuage Vert lui lança :

— Au fait, t'es toujours pas guerrier toi ?

Un grognement moqueur s'échappa de la gorge du mâle brun.

— Faut croire, soupira-t-il en souriant.

Malgré lui, ce simple geste lui coûtait.

— Cœur de Flamme dit qu'il me reste encore des choses à apprendre qu'il ne peut lui-même m'apprendre.

— Il sert à rien quoi.

Un discret soupir sortit de la gueule de l'apprenti guerrier.

— Si, ce sont simplement des choses que je dois... trouver tout seul. Et puis, je dois encore accomplir mon exploit, ajouta-t-il en songeant qu'il ne viendrait sans doute pas de sitôt.

Nuage Vert leva les yeux au ciel en grommelant une nouvelle fois dans sa barbe. Nuage d'Écorce le salua et s'apprêtait à s'éclipser lorsque quelque chose d'étrange vint titiller son nom.

Il s'approcha des plantes pour les humer mais chaque odeur s'entremêlait et il ne parvenait à en distinguer aucune.

— Nuage Vert ! l'appela-t-il. Qu'est-ce qui sent si fort ?

Le petit s'approcha et renifla à son tour.

— Ah ça ? C'est de l'herbe à chat. Si elle est si forte c'est parce qu'elle vient d'être cueillie.

Les sourcils du mâle aux pupilles vert forêt se froncèrent. Une odeur forte ?
Venant d'être cueillie ?

— Quoi, tu sais même pas reconnaître l'herbe à chat ? se moqua Nuage Vert. Même les petits de Brise Glacée sauraient la reconnaître !

Il exagérait bien sûr, les concernés n'avaient même pas ouvert les yeux encore.
Mais il avait tort.

Nuage d'Écorce avait parfaitement reconnu l'odeur.

C'était celle qui imprégnait le pelage de la solitaire.

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Et ouais, un petit pdv Nuage d'Écorce !

Ce personnage n'a, j'espère, pas fini de vous surprendre, d'autant qu'il commence à comprendre d'où viennent les remèdes disparus !

C'est aussi le premier pdv d'un mâle je crois mdrr :')

En espérant que ça vous plaît toujours jusque là !

💕👋