| 𝐗 𝐗 𝐈 𝐈 |
NUAGE DE PERLE gémit doucement et se tordit, la gueule béante et les pattes crispées. Les paupières plissées, elle se replia sur elle-même, en proie à des souffrances imaginaires derrière ses yeux clos.
Un spasme la prit soudainement et elle lâcha un cri lugubre dans la nuit avant de se réveiller en sursaut, haletante.
Autour d'elle, tout semblait tourner. Les silhouettes des occupants de la tanière lui paraissaient flous et flottants, comme si une épaisse brume s'était levée. Elle ferma les yeux pour reprendre ses esprits et elle se leva sans trop savoir où elle allait.
Une étrange fièvre entêtante semblait avoir pris possession de son esprit.
Nuage Brumeux... pensa-t-elle au milieu des vapeurs qui l'animaient.
Mais le petit mâle gris demeurait toujours invisible depuis que le lieu qu'il avait créé s'était retrouvé détruit, enseveli sous son propre sable.
Elle fit quelques pas dans le silence du camp, assaillie par ces visions cauchemardesques qui la hantaient même éveillée.
Nuage de Roche avait raison, si cela continuait, tout cela allait vraiment finir par devenir dangereux.
Et pour la première fois depuis des lunes, elle regrettait, elle regrettait vraiment. Ce n'était plus tant par égoïsme, par peur des cauchemars qui l'assaillaient.
Elle comprenait que ce qu'elle avait fait était mal et que ce n'était sans doute qu'un petit prix à payer pour la faute qu'elle avait commise.
Les Lois Sacrées sont là pour être respectées.
Elle songea un instant à se rendre à Plume de Rose, à tout lui avouer, au milieu de la migraine qui transperçait son crâne. Nuage de Roche avait raison, sa sœur n'avait songé qu'à la protéger.
Je suis désolée, je suis désolée, pensa-t-elle, se donnant des coups de patte dans les oreilles.
Mais qu'est-ce que cela faisait mal bon sang ! Elle n'était encore qu'une petite apprentie, de quel droit pouvait-on lui infliger ça ?! Elle ne devait sans doute pas être la première à qui cela arrivait !
Et voilà, tu recommences ! Arrêtes de croire que tu n'es responsable de rien, tu n'es plus un chaton bon sang !
Elle s'effondra au sol, en proie à de véritables douleurs. Le monde entier autour d'elle se déformait.
Elle plongeait dans la folie.
— Nuage de Perle ? Eh oh !
Elle leva un regard larmoyant en direction de la silhouette fantomatique qui s'avançait vers elle. Ses contours étaient flous et tandis qu'elle se rapprochait, les ténèbres semblaient s'éloigner.
— Nuage Brumeux ? murmura-t-elle, soudain remplie d'espoir.
— Nuage quoi ? Je sais pas qui c'est mais moi c'est Nuage d'Éclair aux dernières nouvelles !
Quoi ?
Nuage de Perle agita vainement la tête, les lèvres crispés pour ne pas grogner et ouvrit plus grand les yeux.
Effectivement, la féline devant elle n'avait rien du petit mâle bedonnant. Ses contours n'étaient flous que pour son esprit et dans l'obscurité, son épaisse fourrure flamboyante semblait luir comme de la braise.
— Aïe ma tête, gémit Nuage de Perle tout en essayant de se redresser.
Sa cadette pencha la tête sur le côté, étonnée par son état. Elle la pensait juste un peu fatiguée, pas malade à ce point !
— Ça va ? Tu veux que j'en parle à Plume de Rose ?
— Non !
Nuage d'Éclair sursauta alors que l'écho du cri de la petite chatte résonnait encore. Nuage de Perle s'aperçut alors de sa position. Tendue, elle était en posture défensive, le poil gonflé et les griffes sorties.
Comme si on allait l'attaquer.
Ou qu'elle-même allait attaquer.
— Dé-désolé, balbutia-t-elle. C'est rien, ça... ça va passer !
Non ça ne va pas passer, tu te caches derrière cette excuse depuis trop longtemps ! Il est tant d'en finir ! Tu joues avec ta santé juste par peur d'être punie !
— Je t'ai réveillée à gesticuler ? demanda-t-elle, crispée et peinant à se concentrer.
Nuage d'Éclair se tourna vers les étoiles. Lorsqu'elles se reflétèrent dans ses grandes pupilles ambrées, une peine immense sembla soudain l'envahir et elle ramena son regard vers le sol.
— Non, je dormais pas de toute façon.
Elle ne rajouta rien et les deux chattes restèrent l'une à côté de l'autre dans le silence du camp. Aucune n'osa plus rien dire, de peur de déranger l'autre, chacune semblant perdue dans ses réflexions.
Nuage de Perle dut cligner plusieurs fois des yeux pour apercevoir enfin les étoiles nettement. Enfin, le voile opaque qui semblait s'être abattu sur ses prunelles disparut et elle put observer le firmament au dessus d'elle.
Ici et là, elle apercevait quelques formes plus sombres, des nuages qui avaient décidé de dormir ici le temps d'une nuit. Au loin, une mince ligne délimitait l'horizon, la fin du ciel et le début des terres. Des milliers d'étoiles, des milliers de chats, dardaient leur regard sur les vivants avec une ténacité qui la faisait frémir.
Elle détestait le contrôle qu'ils semblaient avoir sur eux et dont tout le monde s'accomodait.
— Tu penses qu'elle nous regarde ? murmura soudain Nuage d'Éclair.
Ses grands yeux d'ambre restaient fixés, droit devant eux.
— Qui ? demanda bêtement Nuage de Perle.
Nuage d'Éclair leva les yeux au ciel. Elle était vraiment son aînée, celle-là ?
— Nuage de Tonnerre !
La mine de la petite chatte nacrée s'éclaira et elle haussa les épaules. Que se passait-il pour les chats lorsqu'ils rejoignaient le Clan des Étoiles ?
Est-ce que certain refusait la mort ?
— Peut-être, dit-elle avec un élan de compassion envers la rouquine, peinée à son tour à la pensée de la braillarde défunte.
Ce sentiment d'injustice qui l'accompagnait à chaque fois lui brûlait les entrailles tant il était tenace et profond.
— J'aurai bien aimé nagé avec elle pour la première fois, dans la rivière, lâcha tristement Nuage d'Éclair. On se l'était promis.
Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la féline aux yeux gris qui baissa les yeux. Elle songea à ces promesses, perdues dans la nuit, que l'on prononce sans savoir qu'on ne les tiendra jamais. Un nouvel éclat douloureux la traversa.
— Il te reste encore Nuage d'Orage et Nuage de Pluie, tenta-t-elle pitoyablement pour la consoler. Ils ont besoin de toi et...
— Des frères, c'est pas pareil qu'une sœur ! s'écria Nuage d'Éclair, les yeux brillants de larmes. Je les aime, d'accord, mais Nuage de Pluie ne parle jamais et Nuage d'Orage parle de lui-même ! Ils pourront jamais me comprendre !
— Et tes parents alors ?
— Arrivera un moment où ils ne pourront plus eux aussi.
Nuage de Perle ramena sa queue contre ses pattes, contrariée. Son esprit encore désorienté peinait à suivre la plus jeune.
— Peut-être qu'il te suffit juste de t'expliquer différemment, réfléchit-elle, sans grand succès puisque la rouquine rétorqua :
— Pfff, ça sert à rien.
— Y a toujours ton mentor alors ! souffla Nuage de Perle, qui commençait à être sérieusement agacée.
— Lui, tu rigoles ? La seule chose qu'il sait faire, c'est grommeler en me disant d'ajuster ma position !
J'avais oublié que Nuage d'Éclair adorait se plaindre...
Elles se ressemblaient plus qu'on ne pouvait le penser.
— Nuage de Roche et moi alors, on peut t'écouter non ? proposa-t-elle.
Du temps où elles étaient encore dans la pouponnière, elles s'entendaient bien toutes les trois.
Enfin, toutes les quatres...
— Je voudrais pas vous embêter, vous avez sans doute d'autres problèmes et puis vous êtes toutes les deux, soupira Nuage d'Éclair.
Elle avait raison. Nuage de Perle savait que malgré tout, elle pouvait compter sur Nuage de Roche et inversement. Alors, elle ne dit rien, incapable de trouver une réponse adéquate aux gémissements de l'apprentie à la toison de flammes.
— C'était qui Nuage Brumeux ? demanda soudain Nuage d'Éclair, ses jolis sourcils froncés.
Aïe aïe aïe, elle était loin d'être stupide ! Nuage de Perle pensait qu'elle n'avait pas entendu, que les syllabes s'étaient trop emmêlées dans sa gueule mais elles étaient apparemment parvenues aux oreilles de son interlocutrice.
— Ton amoureux secret ? ricana la rouquine avec un entêtement dans la voix qui montrait qu'elle n'en démordrait pas.
— N'importe quoi ! s'écria Nuage de Perle, piquée au vif. J'ai juste fais un rêve avec... des nuages... et de la brume et t'as entendu Nuage Brumeux c'est tout !
La moue de la fille de Cœur de Flamme montra que ses piètres mensonges n'étaient absolument pas crédibles mais elle haussa les épaules en levant les yeux au ciel.
Nuage de Perle souffla discrètement. Son secret n'allait pas être éventé aujourd'hui non plus.
Mais peut-être est-il temps qu'il le soit...
Non, hors de question.
— J'espère que Nuage de Tonnerre va bien.
Elle changeait de discussion comme de proie celle-là.
— Je sais pas, fit simplement Nuage de Perle.
Elle se crispa sous un soudain assaut douloureux mais la rouquine ne parut pas le remarquer.
— Encore heureux, se moqua-t-elle, tout bas, d'un ton narquois où perçaient cependant des sons tristes.
Elles restèrent là, dans le silence et le froid, au milieu du camp, leur fourrure agitée par le vent qui se levait. La présence invisible de Nuage de Tonnerre, le sourire aux lèvres, semblait presque les entourer, mais ce n'était qu'un effet de leur imagination, puisant dans leur désir muet.
Et chacune murée dans le mutisme de leurs secrets et de leurs souffrances singulières, elles virent le jour se lever et les arbres s'enflammer.
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— Tu nages de ces rochers jusqu'à l'arbre près de l'eau et tu reviens.
Nuage de Perle plissa les yeux, le crâne toujours assailli par des maux de tête, bien qu'ils aient perdu de leur intensité depuis son réveil. Enfin pour parfaire le tout, ses orbes piquaient, ensommeillées, et elle sentait ses muscles la tirailler alors même qu'elle n'avait pas commencé.
L'entraînement du jour promettait d'être — encore — un calvaire.
— C'est loin ! ne put-elle s'empêcher de s'écrier.
— C'est le but, gronda Cœur de Pierre qui paraissait avoir de plus en plus de mal à garder son grand calme en présence de la petite geignarde. Bien évidement, j'attends de toi que tu ailles au maximum de ta vitesse.
Évidement, pensa la novice, amère. Cœur de Pierre ne se satisfaisait que du meilleur, et encore, seule la perfection semblait avoir un semblant d'attrait à ses yeux.
Et Nuage de Perle était bien loin de l'atteindre...
— Tu as compris ou tu as encore quelque chose à redire ?
Elle hocha la tête en baissant les yeux, bougonne. Depuis l'échec de la Montagne de l'Espoir, ses piques se faisaient plus régulières et plus acides. Nuage de Perle devait se faire fureur pour ne pas répliquer — plus parce qu'elle savait qu'elle était en tort que par réelle maturité.
Il lui laissa la place et elle s'approcha de la Rivière. Le niveau de celle-ci lui semblait avoir augmenté avec les dernières pluies. Elle croisa son reflet et ne put étouffer un bâillement. Un souvenir fugace passa devant ses prunelles. Celui d'un autre reflet, une brève image d'elle-même, plus âgée, plus belle, plus parfaite.
Qu'avait voulu lui communiquer l'Eau de Lune ?
— Alors ?
La patience du mâle gris et musculeux s'amenuisait vraiment ces derniers jours. C'était l'arrivée imminente de la saison des neiges qui le mettait en rogne ou quoi ?
Non c'est le fait que son apprentie joue les effrontées et soit nulle comme une patte.
Roh, la ferme !
Elle inspira, ignora avec quelques difficultés son mal de tête et l'appréhension qui lui nouait le ventre — désagréable souvenir familier de sa chute remontant à des centaines de lunes lui semblait-il.
Elle plongea dans l'eau et sa froideur l'envahit tout entière. La noirceur qui l'entourait ne lui faisait plus peur désormais, elle savait la dompter.
Et elle était décidée à montrer à son grincheux de mentor qu'elle n'était pas qu'une incapable !
Elle remonta à la surface où elle inspira une goulée d'air avant de plonger à nouveau et de battre des pattes, laissant glisser son corps sous les flots. Tout allait bien pour l'instant, jusqu'au moment où elle percuta par mégarde un rocher et se vida de son souffle. Paniquée, elle commit la plus grosse erreur de tout bon nageur et inspira alors que ses narines se trouvaient encore dans l'eau.
Le liquide envahit ses poumons et brûla sa gorge et sa poitrine. Perdue et désorientée, elle tenta de battre des pattes pour remonter et sa tête perça enfin la surface. Toussant et crachotant, il lui fallut plusieurs inspiration pour se calmer enfin. La douleur dans son esprit enfla tant qu'elle crut ne pas parvenir à se reconcentrer.
— Continue...
Elle crut un instant que Cœur de Pierre l'injectivait — pour changer — avant de s'apercevoir qu'il s'agissait de sa propre voix, marmonnant d'une façon tout juste audible.
Continue, se répéta-t-elle, la bouche crispée.
Elle replongea alors, avec une prudence plus accrue. Son cœur s'était accéléré, noyant sa respiration sous ses battements rapides. Mais il n'y avait aucune raison d'avoir peur, il fallait juste faire attention.
Aucune raison, aucune.
Elle se força à accélérer, copiant inconsciemment la façon de se mouvoir de Museau Tigré et Nuage de Roche, glissant son corps alourdi par sa fourrure entre les courants. Un énorme poisson la frôla et elle déglutit mais se força à continuer.
Continuer, continuer, toujours vers l'avant.
Toujours.
Lorsqu'elle sortit la tête de l'eau pour reprendre son souffle, elle aperçut le petit saule pleureur, l'arbre qui marquait la fin de son trajet. La partie la plus facile, dans le sens de la rivière, allait être achevée. Elle se dépêcha encore pour y arriver et s'agrippa à ses racines, essoufflée et épuisée.
Et bon sang, sa tête lui faisait un mal de chien !
Elle chercha son mentor du regard. Il n'était plus qu'une petite tâche sombre au loin. Elle aurait aimé en voir une plus clair, plus douce, plus mielleuse, mais il était temps de se faire une raison. C'était fini, elle ne connaîtrait plus que les durs entraînements du compagnon de Brise Glacée.
Et ça aussi ça fait mal...
D'ici, elle voyait le regard ardent qu'il lui retournait, un regard qui manqua de la faire frissonner. Mais elle serra les dents et s'obligea à lui retourner le même regard, les mêmes pupilles flamboyantes, même s'il ne les apercevait sans doute pas.
Et elle repartit, et cela plusieurs fois, encore et encore, jusqu'à ce que la douleur emplisse toutes ses pensées et les annihilient, jusqu'à ce que ses muscles crient fureur et que le gris de ses yeux ne soient plus qu'orage.
Peut-être l'ignorait-elle mais ces entraînements, aussi durs et pénibles soient-ils, étaient en train de forger son corps et son esprit.
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J'ai l'impression que les chapitres en ce moment sont de plus en plus courts...
Je me rattraperai pour la suite !
Bon que pensez-vous de ce petit entraînement ? :0
Accrochez-vous parce qu'on va passer à la vitesse supérieur et sauter plusieurs jours parce que je vais avoir besoin d'arriver rapidement aux évènements dans les chapitres qui suivent sinon ce tome va faire 3km de long.
J'espère que cela ne vous dérangera pas trop, j'essaierai de pas faire ça à l'arrache quand même, ici on respecte les ellipses !
En tout cas, je prépare déjà le tome 3, donc Nuage de Perle n'est pas prête de vous lâcher 😉
~Kiss ❤️
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