. cendres tièdes .




Maxime regardait la foule s'essouffler. Il y avait de moins en moins de corps debout, de moins en moins de verres levés en l'air et de plus en plus de bouteilles vides alignées sur le carrelage de la cuisine.

Il était passé à l'eau depuis une petite heure, mais rien n'y faisait. L'alcool était toujours bien là. Il le sentait à la façon dont son rire résonnait à travers la pièce. Il le sentait chaque fois qu'il se penchait un peu trop près de Sidjil. Lorsqu'il lui chuchotait quelques mots à l'oreille pour être sûr d'être entendu, la gravité s'inversait autour de lui. Son corps se retrouvait irrépressiblement attiré, il sentait son bras s'appuyer contre le sien, et ses lèvres effleurer la tempe de Sidjil, s'accrochant contre sa peau une ridicule seconde, malgré-lui. Il n'arrivait plus à jauger leur proximité. Chaque fois qu'il voulait lui chuchoter quelque chose, il estimait mal la distance, faisait une sortie de route et finissait par le toucher un peu trop à son gout.

Il avait peur que les autres le voit. Qu'ils comprennent ce qu'il c'était passé entre eux tout à l'heure. Mais la peur fluctuait. Dès qu'il essayait d'ignorer Sidjil pour se greffer a une autre discussion, il sentait son regard sur lui, ses yeux sombres lui bruler la peau, et aussitôt la peur s'évanouissait. Il avait tellement envie de se foutre des autres. De profiter. De se laisser sourire comme un fou en sentant les yeux de Sid le sonder à travers la pièce.

Les basses de la musique faisaient toujours trembler les murs. Quelqu'un venait d'augmenter le volume, Maxime en était persuadé. Les derniers danseurs se mirent à sauter sur place de plus belle, s'agrippant à leur verres à moitié vides. Près de lui, Manas et Élian se secouaient avec l'énergie du désespoir, se tordant de plus en plus bas vers le sol, jouant à celui qui tomberait le premier, vaincu par l'attraction terrestre. Chaque fois que l'un d'eux réussissait une figure ridicule, le cercle formé autour d'eux les acclamait, et ils repartaient de plus belle, se lançant dans un battle de danse improvisée.

Les spots multicolores balayaient le noir, illuminant les visages éméchés. Maxime lança un regard a Sidjil, croisant ses yeux brusquement incendiés par un rai de lumière bleue. Celui-ci leva son verre dans sa direction avec un sourire entendu, faisant mine de porter un toast à sa santé. Puis il mima quelque chose du bout des lèvres. Maxime fronça les sourcils :

— Hein? l'interrogea-t-il, la voix absorbée sous les basses.

Le grand brun s'approcha, son corps suivant le rythme de la musique alors qu'il venait poser une de ses grandes mains dans sa nuque. Maxime sentit un frisson descendre dans son dos. Il l'avait déjà vu faire avec les autres en soirée. Lorsqu'ils sortaient et que la musique était trop forte, Sidjil avait l'habitude de glisser ses doigts dans la nuque des autres, pour les stabiliser, les rapprocher de lui et pouvoir leur parler directement dans l'oreille sans avoir à se répéter. Maxime l'avait déjà vu à l'œuvre. Chaque fois qu'il voyait sa paume soutenir le visage d'un autre, il sentait quelque chose en lui enfler. Son attraction grandir.

Il ne pouvait s'empêcher de le trouver puissant, avec sa putain de façon de surplomber tout le monde de sa taille, de les maintenir d'une main près de lui, pour leur dire tout et n'importe quoi, avant de se fendre d'un immense sourire. Pour les achever.

Maintenant, c'était lui qu'il achevait. C'était son visage qu'il maintenait si proche du sien. Et son toucher avec quelque chose de grisant. Il sentait à la façon dont sa paume le tenait un peu plus fort qu'il n'était pas juste un gars en soirée à ses yeux. Ça le faisait tripper.

La main de Sidjil qui tenait son verre s'approcha de la taille de Maxime, libérant un seul de ses doigts qu'il enroula autour d'un passant du jean du plus petit. Comme s'il avait eu besoin de le retenir. Comme si Maxime avait même pensé à s'enfuir.

— Qu'est-ce-que tu disais? demanda Maxime, incapable de se concentrer.

Sa tête tournait encore trop fort. Encore plus fort lorsqu'il inspirait l'air autour d'eux et que seule l'odeur de Sid lui parvenait, son parfum entêtant lui collant un nouveau frisson. Toutes les images de leur escapade sous la neige lui revinrent instantanément.

Elles ne s'étaient pas évanouies longtemps. Depuis qu'ils étaient revenu à l'intérieur, elles tournaient en boucle dans son esprit. Il sentait encore ses lèvres parcourir la peau tendre de son cou. Ses entrailles prendre feu.

— J'te demandais si tu voulais venir avec moi.

— Ça dépend c'que tu proposes, répondit Maxime, aussi fort que possible pour être entendu par-dessus la musique.

Pause clope, sourit-il, laissant volontairement ses lèvres étirées glisser contre la joue de Maxime alors qu'il s'écartait.

Maxime haussa un sourcil, faisant mine de considérer l'option avant d'être interrompu par Théodort. Il déboula de nulle part, s'élançant sur Sidjil à pleine vitesse, essayant de le tacler pour le faire tomber dans le cercle de danse de leurs amis. La tentative échoua lamentablement. Sid resta campé sur ses deux jambes. Impossible d'en dire autant pour leur cadet, étalé sur le carrelage, à deux doigts d'entrainer Manas dans sa chute. La foule trembla dans un même rire, alors que Sidjil venait appuyer le talon de ses baskets sur Théodort, le gardant plaqué au sol en finissant d'un trait le verre qu'il avait à la main avant de lever le poing en signe de victoire. Il considérait Théodort d'un regard faussement supérieur, un vilain sourire en coin sur le visage, visiblement très fier de maitriser l'imbécile qui se battait comme un beau diable pour se relever.

Fais le malin, toi, ouais, pensa Maxime en retenant un sourire. Sidjil ne tenait pas beaucoup mieux qu'eux sur ses jambes et là, il avait clairement un excès de confiance. Maxime et ses douze grammes dans le sang jugèrent bon de le lui rappeler. Il se saisit du verre d'eau avec lequel il dansait depuis tout à l'heure et lui en projeta le contenu au visage, arrachant à Sidjil un vieux cri peu glorieux alors qu'il tournait brusquement la tête dans sa direction.

— Maxime, gronda-t-il, sombre merde.

Le sourire qu'il lui décocha disait tout le contraire. La seconde suivante, il abandonnait le corps de Théodort sur le carrelage pour se lancer à la poursuite de Maxime qui prit ses jambes à son cou en riant. Il esquiva deux ou trois silhouettes non-identifiées et détala dans les escaliers à leur gauche. Il gravit les marches aussi vite que le lui permettait l'alcool, en manquant quelques-unes au passage, se rattrapant tant bien que mal et bifurquant dans le couloir de l'étage comme un dératé.

Il entendait le son des pas de Sidjil dans son dos se rapprocher de plus en plus. Son rire essoufflé et sa voix qui appelait son prénom.

— Arrête-toi putain, je vais vomir, je te jure, finit par supplier Sidjil entre deux rires.

Au même moment, Maxime enfonçait la porte d'une chambre d'ami et se jetait dessus pour la fermer au nez de Sidjil.

Le dos contre la paroi, le cœur battant, prêt à sortir de sa poitrine, Maxime tendit l'oreille, écoutant le rire de son ami derrière lui et son poing frapper faiblement la porte.

— Ouvre abruti, lui dit-il. Ou j'retourne voir si Theodort est toujours la gueule sur le carrelage.

Etrangement, l'argument convainquit tout de suite Maxime qui ouvrit la porte aussi vite. Bizarrement, il préférait que Sidjil vienne voir s'il n'avait pas plutôt encore un peu d'eau à lui jeter à la figure. Juste comme ça.

Sidjil se glissa à l'intérieur et referma la porte derrière lui doucement, le souffle court, mais toute l'adrénaline de leur course poursuite soudainement redescendue.

La musique était plus basse ici. Les rires moins denses. L'air plus frais. L'atmosphère plus douce.

Ici, la nuit avait le gout des secrets.

La lumière de la lune filtrait à travers la fenêtre, baignant la pièce d'une étrange lueur. Des nuées de flocons dansaient toujours au dehors, balayés par le vent. Leur vue ramena à Maxime la douce brulure de ses souvenirs.

Pendant un instant, ils n'entendirent plus rien. Plus que leurs souffles dans la nuit et les vibrations de la musique sous leurs pieds.

Sidjil passa finalement une main dans ses cheveux trempés, les yeux posés sur Maxime. L'eau qui s'était prise dans sa barbe gouttait dans son cou, imbibant son sweat. Maxime se surprit à regarder une perle translucide descendre le long de sa pomme d'Adam. C'est là que Sidjil posa un pas en avant, perçant sa bulle hypnotisé.

— Rien à dire pour ta défense? lui lança-t-il.

Maxime secoua la tête, un léger sourire sur les lèvres.

— Fallait que quelqu'un te fasse redescendre, frère, railla-t-il. J'sentais comme un abus de confiance de ta part là.

Sidjil ne broncha pas, se contentant de fixer le garçon en face de lui sans rien dire, une petite moue indescriptible sur le visage. Maxime l'entendit inspirer lentement avant de sentir son index soulever son menton avec une lenteur insoutenable :

— Avoue que c'était juste une excuse pour que je te course jusqu'ici, Max.

— Peut-être, parvint-t-il à articuler, déglutissant péniblement.

Sa peau était littéralement électrisée. Il sentait chacune de ses cellules palpiter là où Sidjil avait laissé le bord de sa phalange sous son visage, le forçant à river les yeux dans les siens. Maxime ne sentait même plus ses jambes. Il n'y avait plus que les yeux de Sid, sa main contre son putain de menton, et l'aura écrasante qu'il avait tout à coup, projetant son ombre sur son corps amorphe.

— Ca me déplait pas, conclut Sid après deux secondes interminables, se fendant d'un de ses foutus sourires solaires.

Maxime soutenait son regard tant bien que mal, le cerveau en ébullition, essayant à la fois de rester debout, de contrôler le sang qui lui montait aux joues, et de garder la face, cherchant en vain une phrase cinglante à lui envoyer pour qu'il le laisse enfin respirer. Faute de mieux, il demanda soudainement :

— Tu voulais pas faire une pause clope toi?

Sidjil hocha la tête, et s'écarta lentement, avisant la fenêtre de la chambre. Maxime en profita pour inspirer le plus silencieusement possible, enfonçant ses deux pieds dans le sol pour regagner contenance. Sidjil allait le tuer ce soir. Le moindre mouvement de ses cils sombres le rendait malade. Alors dès qu'il s'approchait de lui, frôlant les limites de l'acceptable, il se sentait vriller. Maxime aurait voulu lui dire tant de choses, mais aucune de ses pensées ne voulait s'échapper. Il ne trouvait aucun mot pour oser décrire à haute voix le chaos qui se déchainait en lui quand il regardait Sidjil. Pourtant, il aurait voulu tout avouer. Naïvement, il se rassurait en repensant à leur baiser sous la neige. Peut-être qu'il valait mieux que des mots. Il l'espérait.

Le répit ne dura pas longtemps. Visiblement, si Maxime ne trouvait pas ses mots, Sidjil lui n'avait pas ce problème.

— Je me retenais tout à l'heure, lui confia-t-il.

Il attira alors Maxime à lui, glissant de nouveau son index dans un passant de son jean. Il le maintint là, devant lui, plongeant dans son regard en silence, le souffle se bloquant dans sa gorge une demi-seconde.

Il se sentait pousser des ailes. Maxime était là. Ils étaient seuls, de nouveau. Personne ne semblait être venu les chercher. Ils avaient une conversation à continuer.

Maxime glissa une main contre le flanc de Sidjil, pénétrant dans sa zone, le regard toujours levé vers lui.

— Exprime le fond de ta pensée, vas-y, l'intima Maxime.

— Donne pas d'ordre.

Et il plaqua ses lèvres sur les siennes. Finalement, peut-être que Sidjil non plus n'avait pas les mots. Mais le message était clair.

Maxime sentit son dos s'écraser contre la porte, le visage enserré entre les deux mains de Sid. Il essayait de trouver un point d'ancrage, serrant dans son poing le sweat qu'il avait sous les doigts, sentant les angles du corps de Sid sous le tissu. D'une pression du pouce contre son menton, Sidjil lui entrouvrit les lèvres un peu plus, venant gouter sa langue avec avidité.
Maxime plongea ses doigts dans les cheveux humides de l'autre, s'y accrochant alors qu'il devait se mettre sur la pointe des pieds pour approfondir leur échange. Ils ne purent s'empêcher de sourire en sentant leurs nez respectifs s'écraser sur la joue de l'autre, leurs lèvres déraper et leurs corps tomber à moitié. Ils s'écartèrent une seconde pour mieux se retrouver, leurs deux corps se cognant l'un à l'autre. Maxime sentit la jambe de Sidjil se glisser entre les siennes, pour se rapprocher encore plus, pour le soutenir, pour percer complètement son atmosphère. Il y avait quelque chose d'incroyablement tendre dans la façon dont les grandes main de Sidjil prenait son visage en coupe. Et quelque chose d'horriblement excitant dans la courbe de ses hanches pressées contre les siennes.

Un hurlement de joie venu du rez-de-chaussée les fit sursauter. C'est vrai qu'ils n'était pas si seuls que ça. Ils s'écartèrent en riant comme deux imbéciles.

— Excuse, c'était trop tentant, se justifia Sidjil en fouillant dans sa poche pour en sortir son briquet.

— Nan mais, jt'en prie, s'amusa Maxime, essayant de remettre de l'ordre dans son apparence.

Sid releva les yeux vers lui alors qu'il allumait une cigarette, les flammes dansant sur son sourire en coin. Puis il se traina jusqu'à la fenêtre qu'il ouvrit en grand, s'appuyant sur le rebord en soupirant.

Maxime, toujours bloqué contre le mur, l'observait en silence. Il irradiait d'un truc incompréhensible. La courbe de son dos, ses cheveux repoussés en arrière, son menton fier, le petit sourire qui se fendait sur ses lèvres; tout déstabilisait Maxime. Il le regardait fumer, et il sentait des nuées de frissons remonter le long de son dos. Il avait quelque chose d'irréel. Un truc dans son regard qui venait d'un autre monde. Ou alors, peut-être que Maxime le trouvait juste beau et qu'admettre ce simple fait lui retournait les entrailles.

Il secoua la tête et vint s'asseoir sur le lit, regardant par la fenêtre, cherchant des yeux ce que Sidjil pouvait bien observer. On ne voyait rien, que la neige qui virevoltait dans tous les sens. Maxime se laissa tomber en arrière en soupirant, sa tête tournait toujours. Lorsqu'il fermait les yeux, ils continuaient de divaguer sous ses paupières.

— Sid? demanda-t-il, les yeux clos.

— Mmh?

— Qu'est-ce-qu'on fait si les autres l'apprennent?

Sidjil se mit à tousser. Il venait de s'étouffer avec une bouffée de fumée.

— Apprennent quoi? lui lança-t-il après avoir repris ses esprits. Qu'on s'est embrassé? Ils le savent déjà ça. C'est rien qu'ils n'aient pas déjà vu.

Maxime poussa un long soupir :
— C'est quand même pas exactement la même chose.

— Dans ce cas, qu'ils l'apprennent. Je m'en fous, Max. Ça concerne que nous.

Maxime ne répondit rien. L'alcool leur donnait une confiance qu'ils n'auraient jamais demain matin. Il le savait. Il refusait de se faire des illusions. Mais les mots de Sidjil étaient prononcés avec tant de poids, tant d'impact, qu'il ne pouvait qu'y croire. Mais sa petite voix intérieure lui assurait que demain, Sidjil aurait tout oublié de leur discussion et de leurs promesses.

— Si j'ai envie d'te chopper, c'est mon problème. Ils ont rien à dire.

Maxime écarquilla les yeux face à l'audace du fumeur, qui l'observait depuis un moment, le visage légèrement incliné vers l'extérieur pour pouvoir souffler sa fumée en paix. Ils échangèrent un regard, qui se suspendit dans le temps jusqu'à ce que le sourire de Sidjil s'étire en coin :

— Quoi?

— Écoute-toi parler, Sid, s'étouffa Maxime. Espèce de malade.

— C'est toi le malade. C'est toi qui a commencé.

Bon. Maxime soupira en retenant un sourire. Peut-être qu'il l'avait embrassé en premier tout à l'heure. Peut-être. Mais ça ne faisait pas de lui un malade. En revanche...

— ... c'est vrai que je suis peut-être un malade en fait.

Sidjil haussa un sourcil, écrasant sa cigarette dans les flocons amoncelés sur le rebord de la fenêtre.

— T'as vu ta gueule? continua Maxime. J'suis un fou en fait a vouloir te-

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que le corps du plus grand s'écrasait dans les draps près de lui, les envoyant dans des éclats de rires éméchés. Allongé sur le côté, tout près de Maxime, Sidjil tendit une main vers son visage pour lui attraper les joues entre deux doigts et tourner son regard vers le sien:

— Retire c'que tu viens de dire, parce que sinon on peut commencer à parler de ta gueule à toi un peu, avec ton énorme nez d'con là.

— Wow, wow, le calma Maxime, les lèvres déformées par la prise de Sid sur son visage. Ton égo est tellement gros qu'il cache ton putain de pif, nan? Parce que je trouve que t'as une sacré grande bouche pour parler d'un sujet comme ça. Arrête-moi si j'me trompe hein-

— Bah j'vais t'arrêter tout de suite.

— Ah, t'es un nerveux toi, non? le coupa Maxime, les lèvres de plus en plus plissées à mesure que Sidjil pressait ses joues.

Ils échangèrent un regard, se retenant tous les deux de pouffer comme des imbéciles. La situation était ridicule : la forme hilarante de son visage tordu entre deux doigts possessifs, la référence nulle à une de ses propres vannes, sa voix étouffée par ses lèvres déformées, et en contraste, leur proximité alarmante, la tension entre eux, le creux du matelas sous leur poids. Rien n'allait ensemble. Il y avait trop d'informations contradictoires. C'était un peu toujours comme ça avec eux. Leur amitié contre leurs vraies émotions. Leurs petits jeux d'enfants contre leurs vraies intentions. Leurs chamailleries innocentes contre leur envie de se toucher.

— Par contre, si tu pouvais me lâcher, marmonna Maxime, qui ne sentait plus ses joues.

— Oh putain, pardon, j'étais parti loin là.

Maxime fit mine de se masser la mâchoire lorsque Sidjil ôta enfin sa main, suivant des yeux la lumière qui s'accrochait dans les bagues ornant chacun de ses doigts.

— J'crois que je suis bien, bien, arraché, commenta le toulousain pour lui-même.

— C'est pas tu crois, c'est sur même.

— Ferme-là.

— Nan, mec.

Puis il y eut un très long blanc, durant lequel leurs deux regards ne cessèrent de s'accrocher, virant parfois un peu ailleurs. Maxime avait tendance à marquer une horrible pause sur les lèvres de Sidjil entre deux battements de paupières. Sidjil lui, sentait ses yeux dévier un peu trop bas, à l'exact endroit où la peau laiteuse de Maxime apparaissait sur sa hanche, découverte depuis qu'il s'était jeté sur le lit. Sidjil ne pouvait s'empêcher de penser que le pull de Maxime était de mèche avec le diable. Il faisait tout pour lui donner envie de balader ses doigts sur la peau nue. Putain de pull qui aurait pu ne pas se retrousser là, juste sur sa foutue hanche.

— Tu dis plus rien là du coup, constata Sidjil en se retenant de rire.

— Rien à voir avec le fait que tu m'ait dit de la fermer. Prends pas trop la confiance, essaya de répliquer Maxime, complètement démasqué.

— Si tu le dis, chef.

En toute transparence avec lui-même, Maxime avait voulu faire le gars pas docile mais il était toujours physiquement incapable d'aligner deux mots qui faisaient sens. Il sentait l'énergie qui brillait dans les yeux de Sidjil irradier tout son corps. Ils ne se touchaient même pas, mais il sentait ses mains sur lui. Il le sentait enlever toutes ses couches. Il avait l'impression d'être complètement nu en face de lui. Pourtant, sauf preuve du contraire, il avait toujours son jean bien en place et deux-trois couches de fringues sur le dos.

— Tu permets? murmura soudainement Sidjil.

— De..? commença Maxime, avant de suivre ses doigts des yeux.

Lorsqu'il vit la main de Sidjil soulever avec prudence le pli de son pull qui dévoilait sa hanche, Maxime fit mine de rouler des yeux en secouant la tête, luttant contre son propre sourire.

— Non, lui chuchota-t-il.

Mais à la manière dont il se jeta sur les lèvres du plus grand, il n'y avait pas de doute sur la vraie nature de sa réponse. Oui. Oui, mille fois, oui. Maxime sentit Sidjil sourire contre lui avant de répondre à son baiser, laissant la hanche de Maxime trouver sa place d'elle-même dans le creux de sa paume brûlante. Sidjil raffermit sa prise sur lui, le rapprochant un peu plus, caressant sa peau du pouce alors qu'il inspirait son odeur, se pressant contre ses lèvres, s'écrasant parfois trop dangereusement contre elles, à la recherche de plus.

Maxime laissa un faible soupir lui échapper alors que la langue de Sidjil abandonnait la sienne pour venir gouter la peau de son cou, la parcourant de baisers humides, plus proche de le dévorer que de l'embrasser à ce stade. Maxime se surprit à rire, le cerveau complètement embrumé:

— T'es un putain de malade, pouffa-t-il, coupé par un autre soupir.

Pris dans leur danse folle, le corps incandescent, à la merci de Sidjil qui refusait de quitter son cou, Maxime se lança dans sa propre exploration. Il abandonna l'idée de s'accrocher au sweat de Sidjil pour venir effleurer la peau qu'il cachait, sentant l'os de sa hanche bouillante, puis la dureté des muscles de son dos qui se contractait lorsqu'il se rapprochait de lui, cherchant des doigts les petits creux entre chacun des muscles tendus contre les côtes de Sidjil. En étendant les doigts, il sentait la naissance de son torse, le renflement de ses pectoraux, et le frisson qui lui parcourut la peau. Chaque fois que le corps de Sidjil réagissait à ses caresses, les entrailles de Maxime se tordaient dans une explosion de chaleur.

Sidjil finit par émerger de son cou, une expression d'idiot fini sur le visage.

— J'me retiens de faire un truc de golmon là, avoua-t-il, le souffle court.

Maxime lu aussitôt dans ses pensées, et l'écarta de quelques centimètres pour river ses yeux dans les siens:

— Garde tes idées de merde pour tes vidéos de con, Sid, je te jure, rit-il, les joues brûlantes.

— Juste un, allez, insista l'autre. Si je le cache bien sous ton pull, personne va capter.

Nique ta mère. Non.

Maxime n'avait jamais insulté quelqu'un avec autant de pensées contraires en tête. Il n'avait pas envie de lui refuser quoi que ce soit. Il voulait même balancer son foutu pull à travers la pièce et le laisser faire n'importe quoi, le griffer, le mordre, lui faire autant de marques qu'il en avait envie. Juste pour pouvoir les regarder lorsqu'il serait tout seul chez lui comme un abruti. Mais son bon sens, et les verres d'eau qu'ils avaient bu jusque là lui soufflaient que c'était une vraie idée de merde.

Mais les yeux de Sidjil parlaient avec son âme. Il ne disait plus rien mais il sentait ses mains invisibles se refermer sur son cœur et le serrer, fort. Il allait s'autodétruire.

— Arrête de me fixer comme ça, soupira Maxime. Je t'entends penser carrément.

— Et je pense à quoi?

Maxime ravala un nouveau sourire en se mordant les lèvres:

— J'veux pas dire, c'est trop sale c'qui se passe dans ta tête.

Sidjil explosa de rire, un éclair lui parcourant le corps. Maxime le rendait fou. L'alcool ne l'aidait pas à contrôler ses envies ni ses pensées. Et il devait bien admettre que Maxime avait peut-être raison. Il lisait dans ses prunelles comme dans un livre ouvert.

— T'en pense pas moins, railla Sidjil pour lui renvoyer la balle.

— Mais moi j'ai du self-control.

Sidjil s'étouffa, faisant mine d'être outré par les paroles du plus petit, avant de se conformer exactement à ce qu'il venait de dire, roulant sur le côté pour venir se placer au-dessus de lui, encadrant son corps de ses genoux, en glissant ses mains sur les flancs de Maxime avec envie. Celui-ci se cambra doucement sous le toucher de l'homme au-dessus de lui, son corps se contractant malgré-lui. Là, il était dans la merde. Et dans deux secondes et demi, il allait perdre le contrôle lui aussi. Déjà que tous ses démons lui hurlaient de se laisser tenter.

— Moi aussi, souffla Sidjil en se penchant dans le cou de Maxime. J'ai beaucoup de self-control.

Maxime frissonna en sentant son souffle glisser sur sa peau.

— Juste, je pense que tu te rends pas compte que je l'utilise depuis trop longtemps.

Sidjil resserra sa main sur la hanche de Maxime, venant glisser l'autre contre sa mâchoire, basculant le visage de Maxime en arrière pour venir capturer ses lèvres, leurs deux corps se percutant une nouvelle fois dans un soupir partagé. Sidjil ne put s'empêcher de sourire encore une fois en sentant des doigts s'accrocher à ses cheveux, et les hanches de Maxime chercher les siennes. Le feu dans son corps grandissait toujours plus. Son putain de self-control faisait retentir toutes les alarmes dans son corps, essayant tant bien que mal de retenir ses gestes. S'il n'avait écouté que son envie, il aurait enfoncé ses dents dans la peau de Maxime depuis bien longtemps. Il l'aurait dévoré entièrement. Il s'était contenté de trop peu depuis trop longtemps. Maintenant qu'ils pouvaient se toucher vraiment, sans prétendre blaguer devant les caméra, il en voulait plus. C'était une vilaine tare qu'il avait. Il n'était jamais satisfait. Il voulait toujours aller plus haut, plus fort, plus loin. Avec Maxime, il ne faisait pas exception.

Il laissa glisser son pouce sur les lèvres légèrement enflées de Maxime, l'observant respirer sous ses mains, maintenu contre le matelas d'une simple pression du poignet contre sa taille. Ils se jaugèrent une seconde, leurs côtes se soulevant trop vite, leurs souffles se joignant dans la nuit. 

En bas, la musique venait de s'éteindre.

Maxime entrouvrit les lèvres, un air de "oups" dans les yeux. Ils se retinrent de rire une fois de plus, réalisant qu'ils étaient cachés tous les deux dans cette chambre depuis bien trop longtemps.

Sidjil tendit l'oreille, entendant des pas dans les escaliers, des bruits de course qui se rapprochaient dangereusement dans leur direction.

Il échangea un regard avec Maxime et d'un seul coup se pencha en arrière, attrapant un coin des draps en tirant dessus comme un beau diable. Maxime comprit ce qui venait de lui passer par la tête, et se mit en mouvement, se glissant le plus vite possible sous les couvertures, se retenant de rire.

— Est-ce-qu'on est vraiment en train de se cacher dans un putain de lit? pouffa-t-il.

— Ferme ta gueule, rit Sidjil, sa voix étranglée pour ne pas être entendu depuis le couloir.

— Je te jure que s'ils entrent je-

Sidjil plaqua sa main sur la bouche de Maxime, le tirant contre lui au passage, leurs deux corps serrés l'un contre l'autre, complètement cachés sous les couvertures.

La porte venait de s'ouvrir.

Maxime sentait que Sid se retenait de rire, son nez plaqué dans son cou, ses lèvres pressées contre son épaule, alors qu'il resserrait ses doigts contre sa bouche. Le coeur de Maxime battait à tout rompre. Il espérait secrètement qu'ils étaient assez bien cachés pour que la personne qui venait d'entrer pense qu'il s'agissait de n'importe qui d'autre qu'eux dans ce foutu lit. Mais même s'il avait peur, il était largement dépassé par toutes ses autres émotions. L'envie de rire. L'adrénaline de la situation. Le coeur de Sidjil qui battait contre son dos, sa paume contre ses lèvres, leurs jambes emmêlées.

— Weshhh Grim', c'était sur que ça allait être occupé ta chambre de merde, se plaignit la voix qui venait d'entrer. Tu me trouves une autre piaule, je dors pas dans ta caisse. C'est mort.

Un rire que Maxime reconnaissait bien résonna dans le couloir. Grim était trop loin pour qu'il ne comprenne sa réplique, mais il restait attentif, les yeux grands ouverts, observant la lumière du couloir à travers l'épaisseur des couvertures.

Combien de temps est-ce-qu'ils allaient rester devant la porte ouverte?

— Vas-y je veux même pas savoir c'est qui, c'est a-bu-sé. Et qui dort à cette heure? La vie de ma mère, continuait la voix alcoolisée.

Sidjil enfonça un peu plus son nez dans le cou de Maxime, embrassant doucement la peau derrière son oreille, alors qu'il relâchait doucement la pression de sa paume sur sa bouche. Maxime le sentit se blottir contre lui, lui envoyant un nouveau frisson dans le corps.

Le temps s'éternisait carrément. Le type bourré qui attendait dans l'encadrement de la porte était tellement déchiré que Grim, qui c'était visiblement barré, dû revenir le chercher pour le tirer de sa contemplation de la chambre:

— Gros viens-là, t'es intrusif de zinzin.

— J'crois que je vais vomir, marmonna la voix.

— Oh mais frèreee, geignit Grim. Bouge de là si tu veux bégèr-

Grim mit un moment avant de déloger leur ami de là, refermant finalement la porte après une éternité. La scène avait duré tellement longtemps que Maxime avait eu le temps de mourir deux ou trois fois de gêne, d'être ressuscité par la chaleur du corps de Sidjil contre lui, puis de mourir une dernière fois en se rendant compte dans quelle position ils se trouvaient.

Lorsqu'il fut certain qu'il n'y avait plus personne dans le couloir pour l'entendre, il s'autorisa à souffler, un petit rire lui échappant.

— J'aurais dû parier, s'amusa-t-il à voix basse.

Mais Sidjil ne lui répondit pas.

Et Maxime compris aussitôt pourquoi son abruti de toulousain s'était fait étrangement discret pendant l'irruption de Grim et de leur pote.

Ils avaient dû rester immobiles pendant tellement longtemps qu'il c'était endormi comme une énorme merde. Rien de surprenant avec la quantité de verres qu'il s'était enfilé, le peu d'eau qu'il avait bu, la fatigue qu'il avait emmagasiné après leur journée de tournage et toute l'énergie qu'il avait dû utiliser pour se retenir d'aller trop loin avec Maxime.

Maxime sourit pour lui-même, sentant les doigts endormis de Sidjil contre son visage, là où sa main avait glissé de ses lèvres lorsqu'il avait commencer à s'assoupir contre lui. Il y déposa un baiser discret, n'osant plus bouger de peur de le réveiller.

Il sentait son souffle régulier s'écraser dans son cou, ses lèvres entrouvertes glisser contre sa peau lorsqu'il avait le malheur de bouger dans son sommeil, le bras enroulé autour de sa taille le serrer doucement, de plus en plus faiblement à mesure qu'il s'enfonçait dans sa torpeur.

— T'es une putain de vanne Sidjil, murmura Maxime, tout seul dans la nuit, un sourire attendri plaqué sur les lèvres.

Il se repositionna très lentement, essayant de s'envelopper comme il pouvait dans la couverture sans quitter les bras du toulousain, se délectant du bonheur simple que lui procurait la sensation de son corps contre le sien.

Ils étaient bien là.

Il penserait au reste demain.

Enfin, peut-être qu'il allait penser au reste un tout petit peu avant de dormir quand même.

Juste quelques minutes. Histoire de se repasser tous les événements en boucle et d'être bien certain de comprendre la situation.

Mais finalement, il sentit le bras de Sidjil le rapprocher de lui dans son sommeil. Et il en oublia de se torturer l'esprit. Il ferma les paupières, se concentra sur ses sensations. Sur le putain d'instant présent irréel qui s'offrait à lui, sur la pulpe des doigts de Sid contre sa joue, sur les battements de son cœur, sur le goût de ses lèvres qui lui picotait encore la langue, sur la douceur de leur étreinte, et sur le noir qui cessa bientôt de tourner sous ses paupières closes.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il faisait jour.

Il avait le vague souvenir d'un baiser qu'on dépose sous sa mâchoire. D'une tendre caresse sur le visage. Et d'une voix grave un peu enrouée qui lui murmure quelque chose à l'oreille.

Impossible de dire s'il l'avait rêvé.

Car quand il se redressa dans les draps, il était seul.

Le lit était froid. 

Mais sur le rebord de la fenêtre, parsemées dans la neige, les cendres étaient encore tièdes.


*

jme suis gavé là, j'avoue.

[ oui, à chaque fois je vais laisser une énorme ouverture à la fin de chaque partie. oui.]




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