Chapitre II

Sous un ciel gris et tempétueux, la Méditerranée commençait à s'agiter. Des vagues venaient s'écraser contre le port de Barcelone, alors qu'une fine pluie se déversait. L'heure n'était pas au rendez-vous pour les promenades en extérieur, et même naviguer pouvait s'annoncer compliqué au vus des vagues de plus en plus imposantes. Il était aux alentours de midi, et alors que la pluie redoublait d'intensité, plus personne ne se trouvait dehors ; sauf peut-être un capitaine de navire, qui n'allait pas tarder à rentrer dans sa cabine, ou encore une jeune femme, qui, suivie de quelques hommes, s'affairait à trouver son chemin dans les rues brumeuses de la ville.

Le capitaine, mentionné quelques lignes plus tôt, était le señor Ordoñez, un homme de carrure assez imposante qui savait se faire respecter de ses marins. Que se soient les vagues, le vent, la pluie ou même l'autorité royale, rien ne lui faisait peur. Sauf peut-être... la personne qui lui avait donné rendez-vous dans son propre navire, et qui n'allait sans doute pas tarder à arriver. Des pas se firent d'ailleurs bientôt entendre à l'extérieur. Plus ces derniers approchaient, plus le señor Ordoñez se sentait tendu. Le claquement léger des bottes était reconnaissable entre mille ; c'était elle, il en était certain.

Le capitaine tenta de se reprendre un peu, se promettant qu'elle ne lui ferait pas perdre la face aujourd'hui encore. La dernière fois, elle l'avait rabaissé devant ses hommes parce qu'il avait refusé de se soumettre aux ordres d'une femme ; il ressentait une haine profonde envers elle.

Soufflant, il s'assit derrière son grand bureau en chêne ; il allait l'accueillir comme il le devait, pour lui faire ravaler son égo, à cette espionne de malheur.

Les pas s'approchèrent encore, avant de s'arrêter devant la porte, et bientôt, la señorita Laguerra fit son apparition sur le seuil. Son regard laissait transpercer une détermination sans nom, qui faisait sentir à tous ceux qui l'approchaient que rien ne la ferait fléchir. Elle n'avait d'ailleurs pas toqué, et n'avait pas l'air de s'en soucier le moins du monde.

- Señorita Laguerra, salua le capitaine, crispé.

- Señor Ordoñez. J'espère pour vous que les nouvelles sont bonnes.

Sans flancher, l'homme rétorqua :

- Bonnes ? Je ne dirais pas ça. L'équipage est bien prêt pour le départ en Inde, mais comme vous l'avez sans doutes vous-même constaté, le temps ne nous permettra pas de partir aux heures prévues.

- Donc l'équipage est prêt ?

- Puisque je vous le dis !

Laguerra le fusilla du regard.

- Je vous interdis de me parler sur ce ton. Je suis votre supérieure, et il est de mon devoir que cette mission réussisse.

Le capitaine Ordoñez grommela dans sa barbe quelque chose sur les femmes et leurs bêtises, et Laguerra dû fermement serrer les poings pour se retenir de le frapper. Malheureusement, ils allaient devoir collaborer pendant de longs mois avant d'atteindre l'Inde. Mais à leur arrivée, elle n'allait cependant pas se retenir de le faire payer pour tout ses manques de respect. Elle se le jurait.

- Et sinon ? demanda la bretteuse, relançant la conversation.

- Et sinon quoi ?

- Il y a autre chose qui retardera notre départ, n'est-ce pas, capitaine ? Autre chose que vous ne m'avez pas dit, je le vois sur votre visage.

Ordoñez avala difficilement sa salive.

- Je n'y suis pour rien, je vous le jure...

- Avant de chercher à vous déculpabiliser, vous ne voudriez pas me dire ce que c'est ? dit Laguerra, un agacement non dissimulé dans sa voix.

- Ne le prenez pas mal, mais... Le prisonnier s'est échappé.

Le capitaine s'attendait à voir l'espionne se mettre en colère, balancer des objets, hurler qu'ils sont tous des incapables, mais rien. Absolument rien. Laguerra n'avait eut aucune réaction, son visage restait de marbre ; c'est à peine si elle avait cillé. C'était à se demander si elle était réellement dotée de sentiments humains.

- Je vais en informer le roi, déclara la bretteuse. Quant à vous, interdiction formelle de bouger avant nouvel ordre.

Le señor Ordoñez esquissa une rapide courbette de salut, que Laguerra ignora royalement en tournant le dos vers la porte de la cabine.

"Ainsi donc, tu t'es échappé Mendoza", songea la bretteuse en descendant du navire, avant de s'engager dans les rues de Barcelone, escortée de ses hommes."J'ignore comment tu t'y es pris, mais je crois que mon voyage aux côtés du capitaine Ordoñez sera compromit."


***


La nuit venait de tomber sur la ville. La mer scintillait sous les rayons de lune, les vagues s'étaient calmée ; cependant, la pluie n'avait pas cessé de tomber, bien au contraire.

Observant ce mauvais temps, bien au chaud à l'intérieur de son auberge, le tavernier Rico était occupé à se ressasser de vieux souvenirs alors qu'il servait des bières à ses clients. Sa vie était paisible, son fils grandissait à vue d'œil et le remplissait de joie chaque jour ; tout se passait pour le mieux.

Après avoir servit une nouvelle tournée à des marins qui n'avaient déjà plus leurs esprits très clairs, Rico s'en alla chercher dans la réserve de la pièce d'à côté un peu de saucisson. Et alors qu'il revint dans la salle, il vit qu'un homme encapuchonné de la tête aux pieds venait de faire son apparition à l'entrée. Soudain, cet inconnu lui empoigna l'épaule et le fit s'avancer jusqu'à la réserve.

- Mais qu'est-ce que... bredouilla le tavernier.

- Chut, souffla l'individu en retirant sa capuche.

- Mendoza ?! Mais qu'est-ce que tu fais là ?

- J'aurai besoin de ton aide pour sortir de la ville, chuchota Mendoza.

- Sortir de la ville ?

- Oui, je suis recherché parce que...

- Je ne veux pas le savoir, le coupa Rico. Tu veux sortir de la ville, alors je t'aiderai.

Mendoza sourit.

- Merci beaucoup Rico. Je peux toujours compter sur toi.

Le tavernier alla ouvrir le passage secret dans le tonneau, ce même passage que les enfants avaient emprunté environ deux ans plus tôt.

- Allez, file !

- Merci infiniment.

Mendoza remit sa capuche et s'engagea dans le couloir étroit. Rico referma le passage en soupirant ; il espérait que rien ne lui arriverait de fâcheux.

De son côté, le capitaine ne tarda pas à ressortir de l'autre côté du mur qui entourait Barcelone. Profitant de la pénombre, il se glissa dans la forêt, et se mit à courir, conscient qu'il avait certainement plusieurs gardes à ses trousses. Il n'avait plus qu'un but à présent ; arriver en Inde avant les troupes envoyées par Charles Quint. Il devait protéger les enfants à tout prix, et ce même si le voyage allait être très long, périlleux. Contrairement aux hommes de Charles Quint qui allaient contourner le continent africain, lui allait traverser la Méditerranée, avant de s'aventurer dans les terres sèches de l'Asie mineure, puis de traverser une partie de l'océan Indien.

Ce voyage pouvait paraitre insensé ; et pourtant, il était près à le faire. Pour les enfants, il pourrait donner sa vie.

Et alors qu'un espoir radieux gonflait dans son cœur, le capitaine ignorait malheureusement qu'une certaine espionne bien connue de tous avait été chargée par le roi de le suivre, et qu'elle l'avait, à ce moment là, parfaitement à l'œil...

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