La première fois que Charles a vu Célia, il l’a trouvé pénible.

C’était à une soirée avec des amis, en 2016. Il ne se souvenait plus pourquoi ils s’étaient réunis ce soir-là, mais il se rappelait qu’il avait hésité à y aller. Ça ne lui disait rien, de se retrouver encore sur une terrasse monégasque à boire des coups avec des inconnus qui allaient lui poser des questions sur son futur. 

 Il était occupé avec la GP3 series, et il n’aimait pas trop le dire en public parce qu’il devenait le centre de la conversation et ça le dérangeait. Il voulait pouvoir discuter d’autres choses, parfois, de lui, parce que même si c’était sa passion, il ne se résumait pas simplement à ça.

Pourtant, il s’est retrouvé avec un gobelet en plastique dans les mains, comme tout le monde, à hésiter devant les boissons.

C’est là qu’il a vu Célia pour la première fois. Il n’a pas eu de coup de foudre ni même d’intérêt pour elle : il ne l’aurait pas regardé si elle n’avait pas renversé l'entièreté d’une bouteille sur la table.

-Oh mais non, souffla-t-elle, et évidemment, Charles l’entendit, mais il n’y prêta aucune attention jusqu’au moment où il sentit du liquide couler depuis la table sur ses chaussures.

-Qu’est-ce qui… marmonna-t-il avant de relever la tête et de voir une Célia complètement affolée, en train d’utiliser toutes les serviettes disponibles pour éponger la table.

-C’est rien, c’est rien, c’est du jus de pomme ! s’exclama-t-elle en remarquant le regard noir de Charles posé sur elle.

-J’avais senti, oui. Putain, mais c’est pas possible…

-J’suis désolée. Elle m’a échappé des mains.

-T’as du beurre dans les mains, ou quoi ? C’est pas si compliqué de se servir un verre proprement.

-J’ai dit que j’étais désolée ! Est-ce que tu pourrais m’aider au lieu de me faire mon procès ?

Charles soupira avant d’attraper une serviette pour essuyer ses chaussures. Il sourit, satisfait, avant de sentir quelque chose couler sur sa tête. Il releva la tête et réalisa qu’elle était en train, au lieu d’essorer, de repousser le liquide vers les extrémités de la table.

-Mais ça va pas ! J’en ai plein les cheveux ! Là, c’est la goutte de trop.

-C'est le cas de le dire, rétorqua-elle en retenant un sourire, et soudain, Charles n’avait plus aucune patience.

-T’as déjà eu du jus de pomme dans tes cheveux ? Tu sais à quel point ça va s’étaler si j’essaie d’essuyer ? Tu sais à quel point ça va coller en séchant ? A quel moment tu as pensé que c’était une bonne technique de tout renverser par terre ?

Elle haussa les épaules pour toute réponse, et ça n’arrangea pas l'agacement de Charles.

-Ça se voit que ce ne sont pas tes cheveux qui sont plein de jus de pomme, ajouta–t-il, et Célia soupira, ramassant les nombreuses serviettes humides pour les jeter dans le sac poubelle le plus proche.

-Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Tu veux qu’on monte et que je te lave les cheveux ? Ou peut-être que le shampooing qu’il y a ici ne te convient pas ?

-Mais t’es complètement malade, t’es en train de me faire des avances, là ?

-Je te touche pas même avec un bâton, mais visiblement avoir une goutte de jus de pomme sur la tête est la fin du monde alors je te cherche des solutions.

Charles secoua la tête avant de souffler bruyamment.

-Je vais me rincer la tête, amuse-toi bien à faire ton ménage et évite d’en mettre sur la tête d’autres gens.

Sur ces mots, il tourna les talons pour rejoindre la salle de bains la plus proche. En se mouillant les cheveux devant le lavabo, il regretta d’être venu. Il était trop en colère à ce moment-là pour se rendre compte de l’absurdité de la chose. en y repensant dans son lit, ce soir-là, il réalisa à quelle point la scène avait dû être drôle vu de l’extérieur. Il était tellement obnubilé par le jus de pomme qu’il ne s’était même pas demandé s’il n’était pas un peu dramatique. Il aurait aimé s’excuser, avec le recul. Ses cheveux étaient propres, rien n’avait collé, et sinon, sa mère aurait pu arranger le tout.

Il ne savait pas à quel point elle allait avoir de l'importance dans son monde et dans son cœur. Il ne savait pas non plus qu'il finirait par tout gâcher entre eux. À ce moment-là, il n'imaginait même pas qu'elle puisse avant une place dans sa vie après cette soirée.