☼ Chapitre 4 : La fin d'une ère ☼
Point de vue de Sergio
Effondré, je raccroche. Je lutte difficilement pour ne pas lancer avec rage mon portable contre le mur de la cuisine. Je prends ma tête qui menace d'imploser entre mes mains. Le choc est tel que mes coudes restent contre le plan de travail dur et froid. Je ne me sens pas la force de me relever. Recroquevillé sur moi-même, je craque. Je hurle, extériorise toutes ces sensations qui me brûlent, me consument de l'intérieur. Des picotements désagréables font leur apparition. Ils se propagent dans mes joues, dans mes muscles et dans la pulpe de mes doigts.
Une boule d'angoisse grandit en moi, m'obstrue la gorge. Ma respiration se fait plus saccadée. J'ai le sentiment de ne plus avoir d'air dans les poumons. Mes jambes se transforment en coton.
Je ne parviens plus à rester debout. Je glisse au sol, telle une vulgaire poupée de chiffon. Secoué par les sanglots, je tente d'ouvrir la bouche pour inhaler de l'oxygène. En vain. La vue brouillée, je pianote fébrilement sur mon portable le numéro d'Ester. Entendre sa voix m'apaise aussitôt. Je place mon iPhone contre mon cœur malmené, soulagé de la savoir près de moi.
De l'eau perle sur mon front, coule le long de ma colonne vertébrale. Face à mon silence, elle crie, paniquée, qu'elle arrive tout de suite. Je n'ai pas eu besoin de parler, elle a compris que je ne vais pas bien, qu'elle doit venir. Je peux compter sur elle peu importe les situations et le contraire est réciproque.
Une dizaine de minutes plus tard, elle tambourine à ma porte. Signe qu'elle est très inquiète, elle pousse une bordée d'injures andalouses à l'obstacle qui lui barre la route.
Peu gaillard, je rampe jusqu'à l'entrée, tourne la clé dans la serrure et lui ouvre.
Aussitôt, elle se précipite vers moi, s'agenouille sur le carrelage gelé pour se mettre à ma hauteur et prend mon visage en coupe.
— ¡Hola osezno mío! (Salut mon ourson en espagnol) ¿Que pasa? ¡Estoy aquí! (« Qu'est-ce qui se passe ? Je suis là »).
Son parfum fruité et délicat me rassure. Ses grands yeux me sondent. Elle attend une réponse.
— Je suis là, répété-je dans notre langue maternelle, sonné.
Ses sourcils se froncent. Elle ne comprend pas pourquoi j'ai dit ça et pour être honnête, moi non plus. Ses lèvres recouvertes d'une teinte prune se pincent, ses ongles vernis se plantent dans ma peau. La mine préoccupée, elle reprend.
— Sergio, je suis sérieuse. Tu sais que tu peux tout me dire.
Une heure plus tôt
Sifflant gaiement à l'idée d'aller à l'entraînement cet après-midi, je sors de la cabine de douche.
Comme d'habitude, de la buée s'est invitée sur le miroir, formant un voile opaque. Je prends mon épaisse serviette en éponge anthracite et l'enroule autour de ma taille. Je passe ensuite un coup de peigne dans mes cheveux puis les sèche, travaille ma coiffure. Pour finir, j'enfile un t-shirt sous un bomber kaki que je fais venir par-dessus mon slim en toile beige clair.
Je dévale les escaliers et me sers un verre de jus de papaye. J'avale quelques gorgées avant d'être stoppé dans mon élan par la sonnerie de mon téléphone.
Surpris que le nouveau sélectionneur de l'équipe d'Espagne m'appelle, je décroche.
Ce doit être important.
— Bonjour Sergio, comment vas-tu ?
— Bonjour Luis, je vais bien et toi ?
— Bien aussi. Tu as dû être étonné de voir mon nom s'afficher. Je n'en ai pas pour longtemps.
— En effet. Que me vaut ce plaisir Monsieur De la Fuente ? plaisanté-je.
Le soupir que je perçois à l'autre bout du combiné me fait craindre le pire. Ma confiance en moi s'envole comme par enchantement. Je déglutis.
— Ne rends pas les choses plus difficiles, Sergio, me reproche-t-il d'un ton aussi tranchant que la lame d'une dague. Ce que je vais t'annoncer ne va pas t'enchanter mais nous n'avons pas d'autres choix.
Pris de court, je ne pipe mot.
— Tu ne peux pas continuer en tant qu'international.
— Quoi ? m'étranglé-je.
Une bouffée de chaleur m'oblige à retirer ma veste. Je me sens mal. Tellement mal.
Non. J'ai dû mal entendre.
— Durant de nombreuses années, tu as su porter l'équipe au sommet mais ce temps est révolu. Il est temps que tu raccroches les gants. J'ai prévenu ceux qui t'accompagnent, ils vont te contacter pour avoir ton avis sur un communiqué qui va exposer cette situation.
— C'est impossible !
— Écoute, Sergio... Tu devais bien te douter que ça allait arriver. Tu prends de l'âge, les jeunes se doivent de prendre la relève à partir de maintenant.
— Non. Tu n'as pas le droit ! Je suis encore capable ! Je peux toujours apporter à mes coéquipiers grâce à mon expérience, grâce aux titres remportés avec La Roja ! Luis, reviens sur ta décision !
— J'attends une annonce aujourd'hui, poursuit-il. C'est terminé, Sergio. Ton aventure s'arrête ici. Bonne continuation.
De retour dans le présent
La mâchoire contractée, Ester peine à se contenir.
— Lève-toi, il serait bien trop content de te voir dans cet état. On va réfléchir à quelque chose.
Obéissant, je me redresse et la serre contre moi.
— Gracias, guapa mía (« Merci, ma belle » en espagnol).
Avec vivacité, elle frictionne mon dos. Ce geste, cette proximité entre nous me réconforte. Je suis soulagé qu'elle soit là, soulagé de ne pas être seul à affronter tout ça.
En raison d'un énième appel, nous sommes contraints de mettre fin à notre étreinte. Cette fois-ci c'est le Community manager qui s'occupe de gérer mes réseaux sociaux. Au loin, j'entends la voix lugubre du responsable communication. Ester m'arrache mon portable des mains, me pousse sur le canapé chocolat du salon pour que je ne m'écroule pas à terre et ouvre une fenêtre.
— Ça suffit ! tonne-t-elle. Sergio a besoin de repos, laissez-le tranquille. Et ne vous avisez pas de publier quoi que ce soit tant que vous n'avez pas son accord.
Une fois la conversation terminée, elle court à l'étage. La porte d'un meuble claque violemment. Je sursaute. Elle descend les marches quatre à quatre comme une furie, galope jusqu'au robinet, laisse couler l'eau et finit par plaquer un gant de toilette frais sur mon front trempé de sueur. Les minutes défilent, les battements de mon cœur reprennent un rythme régulier. Les points qui apparaissaient devant mes yeux disparaissent. Les sons me parviennent à nouveau normalement.
— Je le hais ! explose-t-elle. Regarde dans quel état tu es à cause de lui !
— Tu veux bien m'aider à rédiger moi-même ce communiqué ? tenté-je de la calmer. Tu as assisté en direct à ce que je ressens et tu es en communication, tu sauras trouver les bons mots.
— Avec plaisir. Tu peux me faire confiance, ricane-t-elle, remontée comme une pendule.
Je lui expose mes idées tandis qu'elle les retranscrit en silence. J'ai hâte de découvrir son texte...
Une bonne demi-heure plus tard, elle revient vers moi, fière.
— Je crois que je tiens quelque chose. Tu peux me donner ton avis ?
— Bien sûr, je t'écoute.
— Ha llegado la hora, la hora de decir adiós a la Selección, nuestra querida y emocionante Roja. En la mañana de hoy he recibido la llamada del actual Seleccionador que me ha comunicado que no cuenta y que no va a contar conmigo, independientemente del nivel que pueda mostrar o de cómo continúe mi carrera deportiva. Con mucho pesar, es el final de un recorrido que esperaba que fuera más largo y que terminara con un mejor sabor de boca, a la altura de todos los éxitos que hemos logrado con nuestra Roja. Humildemente, creo que esa trayectoria merecía terminar por una decisión personal o porque mi rendimiento no estuviera a la altura de lo que merece nuestra Selección, pero no por cuestión de la edad u otras razones que, sin haberlas oído, he sentido. Porque ser joven o menos joven no es una virtud o un defecto, es solo una característica temporal que no necesariamente está relacionada con el rendimiento o la capacidad. Miro con admiración y envidia a Modric, a Messi, a Pepe... la esencia, la tradición, los valores, la meritocracia y la justicia en el fútbol.Lamentablemente no será así para mí, porque el fútbol no siempre es justo y el fútbol nunca es solo fútbol. Por todo ello lo asumo con esta tristeza que quiero compartir con vosotros, pero también con la cabeza muy alta y muy agradecido por todos estos años y por todo vuestro apoyo. Me llevo recuerdos imborrables, todos los títulos que hemos peleado y celebrado todos juntos y el tremendo orgullo de ser el jugador español con más internacionalidades. Este escudo, esta camiseta y esta afición, todos vosotros, me habéis hecho feliz. Seguiré animando a mi país desde casa con la emoción del privilegiado que ha podido representarlo orgulloso 180 veces. ¡Gracias de corazón a todos los que siempre creísteis en mí!* (traduction : Le moment est venu. C'est l'heure pour moi de dire au revoir à l'équipe nationale d'Espagne, notre chère et passionnante Roja. Ce matin j'ai reçu un appel du Coach actuel qui me dit qu'il ne compte pas et qu'il ne comptera pas sur moi, indépendamment du niveau que je peux montrer ou de la façon dont je poursuis ma carrière sportive. À grand regret, c'est la fin d'un voyage que j'espérais plus long et qui se terminerait par un meilleur goût en bouche, à la hauteur de tous les succès que nous avons obtenus avec notre Roja. Je crois humblement que ce voyage méritait de se terminer en raison d'une décision personnelle ou parce que ma performance n'était pas à la hauteur de ce que mérite notre équipe nationale, et pas en raison de l'âge ou d'autres raisons que, sans les avoir entendues, j'ai ressenties. Parce que l'âge en soi n'est pas une vertu ou un défaut, c'est juste un chiffre qui n'est pas nécessairement lié aux performances ou aux capacités. J'admire et j'envie des joueurs comme Modric, Messi et Pepe. Ils représentent l'essence, la tradition, les valeurs, la méritocratie et la justice dans le football. Malheureusement, ce ne sera pas comme cela pour moi car le football n'est pas toujours juste et le football n'est jamais que du football. Pour toutes ces raisons, je l'assume avec cette tristesse que je veux partager avec vous, mais aussi avec la tête haute et une immense reconnaissance pour toutes ces années et pour votre soutien sans faille. J'emporte avec moi des souvenirs indélébiles, tous les titres pour lesquels nous nous sommes battus et que nous avons célébrés ensemble, et l'immense fierté d'être le joueur espagnol avec le plus de sélections. Ce blason, ce maillot et ces fans, vous tous, m'avez rendu heureux. Je continuerai d'encourager mon pays depuis chez moi avec l'émotion du privilégié qui a pu le représenter fièrement 180 fois. Merci du fond du cœur à vous tous qui avez toujours cru en moi !)
— C'est parfait. Tu as réussi à coucher sur papier ce que je ressens. J'ai choisi les photos.
— Merci capitaine !*
* NB : Il s'agit du discours officiel communiqué par Sergio Ramos et son équipe sur son compte Instagram. J'ai mis la version espagnole en avant dans un souci de réalisme. La version française n'est jamais sortie. Si vous voyez des améliorations à apporter à cette traduction, n'hésitez pas à m'en faire part. Mes cours d'espagnol remontent à quelques années maintenant.
* Sergio a été le capitaine de l'équipe d'Espagne à partir de 2009.
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