☼ Chapitre 16 : Ma chair, mon sang ☼
Point de vue de Gigio
Quand elle est tombée, la nouvelle de l'accident d'Ester m'a beaucoup secoué. J'ai le sentiment de me trouver ces jours-ci dans une spirale infernale. Rien ne va. Ma famille me manque. Mon ex petite amie me trompait. Ester se retrouve renversée par un malade et finit dans le coma. Et pour couronner le tout, ma mère m'annonce qu'elle a une maladie grave.
Je ne loupe habituellement pas une occasion de rendre visite à la Madrilène d'adoption mais j'ai aujourd'hui un empêchement qui me contraint à annuler ma venue. Tous les deux jours, je vais à l'hôpital m'enquérir de son état qui me préoccupe beaucoup. Bien qu'elle ait compris les raisons qui m'obligent à reporter notre rituel, je ne peux m'empêcher de m'en vouloir. Je n'ai pas d'autre choix mais j'ai l'impression de la laisser tomber au profit de ma maman. Et inversement. Si j'avais dû privilégier mon amie à celle qui m'a donné la vie, j'aurais culpabilisé.
Lorsque je lui ai appris le cancer de ma génitrice et le traitement qui la secoue, Ester m'a tout de suite sommé de me rendre en Italie à son chevet pour lui apporter mon soutien. Je suis épaté par son empathie à toute épreuve. Il est de plus en plus difficile de trouver des personnes comme elle maintenant. J'ai de la chance d'avoir croisé son chemin. C'est une perle rare.
Le reflet que me renvoie l'immense miroir de mon jet privé me fait aussitôt revenir à la réalité. Je m'effraie moi-même. Mon teint mat a tourné au vinaigre et des poches ont élu domicile sous mes yeux exténués. Mes joues pleines se sont creusées, mes cheveux sont devenus ternes et une ridule prononcée entre mes sourcils témoigne de mon angoisse grandissante.
Les épaules affaissées, le dos voûté par les soucis, je ne donne pas cher de ma peau. On dirait que je vais à l'échafaud. Ce n'est pas complètement faux. J'appréhende tant de voir Maman.
Trois coups secs frappés à la porte m'empêchent de cogiter plus longtemps. Une des hôtesses de l'air m'informe de l'atterrissage à venir et me conseille de regagner mon siège rapidement.
Aussitôt dit, aussitôt fait, je rejoins ma place sans me faire prier et m'attache. Très vite, la descente est amorcée. Et, après un léger détour pour une meilleure trajectoire, les roues rebondissent sur la piste en asphalte puis se stabilisent. Le pilote freine jusqu'à ce que l'avion s'arrête.
Quel soulagement d'être arrivé à bon port. Chargé comme un mulet, je descends les marches. Le vent vif hivernal s'engouffre sous mon blouson et menace d'emporter mon écharpe. Suite à une rafale plus violente, je suis porté sur plusieurs mètres et atteins le véhicule en moins de deux. Un chauffeur se presse d'ouvrir le coffre et m'aide à disposer mes affaires à l'intérieur. Je fais ensuite le tour du SUV et m'installe côté passager.
Durant le trajet, la voiture tend à se déporter de temps à autre malgré les coups de volant pour la redresser et rester sur notre voie. Les nuages semblent quant à eux courir dans le ciel, s'amusent à se transformer en animaux, visages humains et objets atypiques.
Pour me changer les idées, je tente de les deviner dès qu'ils apparaissent.
Puis, lassé de cette occupation, je reporte mon attention sur les arbres dont les branches plient et se tordent au rythme de nombreuses bourrasques. Je croirais assister à un spectacle mettant en scène d'incroyables contorsionnistes. C'est superbe.
Quelques minutes plus tard, nous remontons l'allée de graviers menant à l'immense logement de mes parents. L'appréhension gagne chaque parcelle de mon corps. Je ne peux plus reculer. Sur le pas de la porte, Papa m'attend de pied ferme. Et, tandis que je m'extirpe de la Volvo, il me détaille du regard, le visage impassible. Aucune émotion ne transparaît. Strictement rien. Le néant.
D'une démarche peu assurée, je comble l'espace qui nous sépare, encombré de mes bagages. Ses bras s'ouvrent, il me serre contre lui exactement comme si sa vie en dépendait.
Je le connais. Je sais que lorsqu'il ne laisse rien paraître, c'est qu'il est en réalité effondré. Il s'agit de sa façon d'affronter les épreuves.
— Bonjour Papa, le salué-je. Tu arrives à tenir le coup ?
— C'est à toi qu'il faut demander ça. Ce n'est vraiment pas ta période. Après t'être rendu compte que ton ex petite amie n'était là que pour ton argent et qu'elle t'avait repéré uniquement lorsque tu es passé professionnel en Italie pour avoir un train de vie correct, voilà que tu apprends que ta maman a un cancer.
— Attends, quoi ? Alessia était avec moi uniquement pour ces raisons ?
— Ton frère a fait la connaissance de sa meilleure amie il y a quelques semaines. Elle lui a avoué toute l'histoire après avoir un peu trop abusé de l'alcool. Je pensais qu'il t'avait mis au courant.
Mon cœur loupe plusieurs battements. Ce n'est pas possible. Dites-moi que je rêve !
Pour être certain que je ne suis pas en plein cauchemar, je me pince discrètement le bras. Non, je ne rêve pas. Une larme, énorme, menace de rouler sur l'une de mes joues.
D'un geste rageur, je l'essuie et m'empresse d'aller à l'intérieur, mon père sur mes talons.
— Remarque, sans elle à tes côtés tu ne pourras te porter que mieux. Tu trouveras une jolie jeune femme aux intentions louables et bien sous tout rapport. Sa sincérité t'éblouira. Tu seras heureux et, tu le sais, c'est uniquement le meilleur que je veux pour mon fils.
— Papa... soupiré-je.
— Je peux te l'avouer maintenant, sa bouche piquée au Botox et ses ongles qui ressemblaient à des griffes ne me rassuraient pas.
— Ton père crache sur ton ex, je parie ? murmure dans un souffle Maman dans mon dos.
Dans un sursaut je fais volte-face. Bien qu'elle ait une mine de papier mâché, elle m'adresse un magnifique sourire. Mon cœur se retrouve malmené à nouveau et se serre.
Je prie chaque jour pour qu'elle s'en sorte dignement comme la battante qu'elle est.
Pourquoi devait-elle tomber malade ? Subir ce traitement qui l'épuise, lui provoque de nombreux effets secondaires ? Pourquoi la vie peut-elle se montrer si injuste ? Oui, pourquoi ?
Ses doigts fins caressent avec tendresse ma mâchoire contractée, mon visage émacié. Je donnerais tout pour elle. Sans réfléchir, je me jette dans ses bras. Aussitôt, je me sens retourner en enfance, à l'époque où j'ignorais ce que signifiait la crainte de perdre un proche. C'était une belle période. J'aime tellement Maman. Je refuse qu'il lui arrive quelque chose d'irréparable.
Je ne m'en remettrais pas, c'est certain.
Alors Maman, s'il te plaît, je t'en fais la demande. Je t'en supplie. Bats-toi. Pour toi. Pour nous. Ne laisse pas la maladie gagner. Remporte ce combat.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top