☼ Chapitre 15 : L'interrogatoire ☼

Point de vue d'Ilona

Pour notre plus grand soulagement, Ester a repris connaissance après trois jours dans le coma. Je me rends aujourd'hui à l'hôpital pour prendre de ses nouvelles.

Dès qu'il a appris le terrible accident, mon frère a remué ciel et terre pour savoir où elle avait été admise et s'est précipité à son chevet. Il était le premier après Sergio à veiller sur elle jour et nuit. Lui et Ester ont toujours eu un lien très fort. Encore plus suite à ce drame.

C'est lui qui a assisté à son réveil et qui a prévenu le personnel soignant avant de se précipiter en direction de Sergio qui ramenait de la cafétéria de quoi boire et se restaurer.

Malgré une immense fatigue, Ester a pris le temps de recevoir les garçons de l'équipe et la famille de Sergio dans sa chambre ces dernières semaines. Elle n'a jamais eu autant de soutien.

Même s'ils venaient par groupe de trois, je ne sais pas où elle puise toute sa force, son énergie. Je pénètre à mon tour dans les lieux peu accueillants, file à l'ascenseur et traverse le couloir une fois arrivée au troisième étage. Lorsque j'ouvre sa porte, sa mauvaise mine me saute aux yeux.

Elle n'est pas gaillarde. Les lumières blafardes n'arrangent rien non plus. Au-dessus de sa tête, le néon qui clignote fait ressortir son teint cadavérique. Les murs insipides, ternes me donnent une furieuse envie de m'enfuir à toutes jambes. Les traits tirés, Ester agite sa main avec lenteur avant de la laisser retomber mollement sur le lit. Je m'avance vers elle progressivement pour ne pas la brusquer et tire une chaise pour prendre place à ses côtés.

Je prends garde à ne rien renverser sur mon passage. La table sur laquelle est censée trôner son verre d'eau et son goûter est recouverte de bouquets de fleurs, de peluches, de dessins, de cartes lui souhaitant un bon et prompt rétablissement.

— Comment tu te sens ? m'enquiers-je, en serrant sa main doucement.

— Tant que le cocktail d'analgésiques et d'antalgiques injectés par intraveineuse fait effet, ça va à peu près. J'ai juste l'impression d'être shootée tellement c'est fort.

— Ma pauvre... On voit direct que tu n'es pas dans ton état normal.

— Mais quand la douleur se réveille, je fais moins la maligne. Dans ces moments, il est préférable de me laisser seule. ajoute-t-elle.

— Je t'ai fait une surprise, tu es prête ?

Dans un effort me paraissant surhumain, elle hoche la tête. Je me lève et lui explique, en allant à la porte, que j'ai demandé l'autorisation aux fonctionnaires du service dans lequel elle se trouve. Une aide-soignante entre et l'aide à se redresser. Désormais en position assise, Ester grimace. Ses cheveux en bataille la font ressembler à un épouvantail. Elle se tourne pour vérifier que la femme s'active à arranger comme il faut son oreiller et se fait aussitôt remonter les bretelles.

— Mademoiselle Ramos, combien de fois vais-je devoir vous répéter que vous ne devez pas vous contorsionner comme un ver ? Vous n'êtes pas possible ! Il en va de votre guérison !

Piteuse, Ester baisse le nez et attend tranquillement que la tempête passe. Amusée, la trentenaire lève les yeux au ciel et ressort aussi vite qu'elle est arrivée. L'esthéticienne que j'ai conviée avance alors avec timidité vers la Madrilène d'adoption et lui explique, qu'à ma demande, elle vient avec une collègue pour nous faire passer un agréable moment. Bien que méfiante, Ester, après l'avoir observée, sourit et finit par accepter.

Tandis que je reprends place près d'elle, les jeunes femmes sortent leurs affaires en silence. Ces vingt minutes nous seront bénéfiques, j'en suis certaine. Je laisserai ma meilleure amie se reposer ensuite. C'est important pour sa santé fragile.

Pendant qu'elles nous posent du vernis et qu'elles nous liment les ongles, j'interroge Ester, mine de rien, sur des sujets qu'elle a toujours refusé d'aborder avec moi. J'ai conscience que ce n'est pas correct de ma part mais j'ai besoin de savoir.

Le fait qu'elle soit sous médicaments va me permettre d'avoir enfin des réponses. L'occasion ne se représentera pas. C'est certain.

— Il s'était passé quoi en fait quand on avait fêté l'anniversaire de Presnel et de Renato ? Tu étais partie super tôt avec Gigio.

— C'est normal. J'ai été agressée par un garçon au bar, me répond-elle, comme si elle n'avait plus de garde-fou.

Ses confidences me font l'effet d'un électrochoc. J'aurais dû garder un œil sur elle, la surveiller.

Secouée, je mets un peu de temps avant de parvenir à reprendre une certaine contenance. Je n'ai qu'une envie : revenir en arrière et briser les genoux de ce connard. Quoique, j'hésite. Empêcher que cette immondice se produise en retournant dans le passé me va aussi.

— Il t'a dit ce qu'il voulait ?

— Oui. Il était persuadé que j'étais intéressée et voulais m'amuser avec lui. Il m'aurait violée sans aucun remords. Il était tellement insistant. J'ai eu très peur. Personne n'est intervenu avant que Gigio lui fiche la trouille de sa vie. C'est une chance qu'il ait été là.

— Je suis désolée mon chat. Si j'avais assisté à ça, je t'aurais défendue.

— Je le sais, Ilo'. Ne t'en fais pas. Tu n'as rien à te reprocher. tente-t-elle de m'apaiser.

Pauvre Ester. Elle n'a vraiment pas de chance. C'est comme si elle attirait les catastrophes comme des aimants. Un misogyne en Espagne. Un xénophobe. Un prédateur. Et puis quoi, maintenant ?

Il ne manquerait plus que la voiture qui l'a renversée ne soit pas un simple accident... Il me reste à lui faire cracher le morceau pour cette histoire. J'ai hâte de savoir.

— Dis-moi, je me demandais, qu'est-ce qu'il s'est passé quand tu rentrais de l'anniversaire du fils de Sergio ?

— Je venais de coucher Alejandro. Je suis descendue récupérer mes affaires, j'ai salué la femme de mon frère, ses enfants un peu plus âgés et puis j'ai prévenu Sergio que je partais.

— Il n'a pas proposé de te raccompagner ?

— Si, mais j'ai refusé. Je n'étais qu'à quelques pâtés de maisons, ce n'était pas bien méchant. Les rues étaient désertes mais bien éclairées par les réverbères.

— Jusqu'ici, tout est normal.

— C'est quand j'ai voulu traverser que tout a basculé. Les phares d'une voiture m'ont aveuglée et j'ai été incapable de réagir. J'aurais dû faire un bond en arrière sur le trottoir mais je ne sais pas si ça aurait changé grand chose. C'était comme si mes pieds restaient cramponnés au sol. Tout est allé très vite. Le conducteur a accéléré encore et m'a fait valser sur le bitume.

L'empathie me tiraille le ventre. Je n'imagine pas ce qu'elle doit supporter niveau douleurs. Leur travail terminé, les jeunes femmes s'éclipsent après avoir entendu notre pleine satisfaction.

— Tu dois tellement souffrir. Qu'est-ce que tu as exactement ? reprends-je.

— Le bilan ? soupire-t-elle. Trois côtes cassées qui m'empêchent de respirer convenablement, un traumatisme crânien, une fracture du poignet et des hématomes sur tout le corps. Les médecins m'ont dit que j'avais été chanceuse malgré tout dans mon malheur. Ça aurait pu être bien pire. Si ce monstre avait roulé... Enfin bref.

— C'est affreux... Tu te rappelles de ce qui s'est passé après ?

— Hormis son visage qui revient en boucle dans ma tête, je n'ai strictement aucun souvenir de la suite.

— Tu le connaissais ?

— Je l'ai reconnu immédiatement, m'assure-t-elle, la mâchoire contractée. J'en ai parlé aux forces de l'ordre. J'espère qu'ils le retrouveront rapidement. Je m'excuse, Ilona, mais je suis fatiguée. Je continuerai à te raconter une autre fois peut-être. murmure-t-elle en bâillant.

Ses cils papillonnent légèrement, ses paupières se ferment. Ne se souvenant plus qu'elle m'a déjà félicitée, elle me répète, ensommeillée, qu'elle est ravie que je sorte avec Kylian et me souhaite tout le bonheur du monde.

Elle se laisse ensuite glisser contre son matelas légèrement surélevé. La voilà emportée en moins de deux dans les bras de Morphée.

Sans un bruit, je me relève alors, remets le siège à sa place initiale et quitte la chambre à pas de loup. 

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