Chapitre 4 : Affront ou devoir ?


Le lendemain, ce sont les rayons du soleil qui me réveillent. J'ai laissé mes rideaux ouverts pour être réveillée à l'aube. Je me redresse dans mon lit bien trop grand pour moi et caresse les draps de soie du bout de mes doigts. Malgré la douceur de ce tissu, je n'ai pas spécialement bien dormi. J'ai du mal à considérer cet endroit comme mon nouveau chez moi. La nuit avait été si calme que ça m'angoissait. Je suis habituée à entendre le bétail et les animaux nocturnes. Ici, il n'y a rien de tout ça si ce ne sont les oiseaux diurnes qui ont élu domicile dans le jardin du château.

Enfin, ce n'est qu'une question d'habitude j'imagine... Je me lève et pars m'habiller et me coiffer comme à mon habitude. Je mets une tenue relativement similaire à celle de la veille. Elle est dans les tons bleutés. J'allais devoir investir dans des vêtements lors de ma première paie, au risque de me faire démasquer rapidement.

Alors que j'enfile la cape à l'effigie de ma compagnie, quelqu'un toque à ma porte. Je pars ouvrir, m'attendant à trouver Soul derrière mais il n'en fut rien. C'est le capitaine.

Respect de l'étiquette, respect de l'étiquette.

J'incline doucement ma tête en guise de bonjour et de politesse.

« Bonjour mon Capitaine. Que me vaut l'honneur de votre présence ici ?

- Je suis venu vous chercher, toi et l'autre recru. Si tu es prête, sors de ta chambre. »

Je me demande bien pourquoi il est aussi autoritaire. C'est le capitaine de la Compagnie, nous sommes censés obéir à ses ordres quoi qu'il arrive. Nul besoin de se montrer aussi sec. Je ferme la porte derrière moi, laissant ces remarques dans mes pensées.

Nozel toque à la porte de Soul qui met un certain temps à venir ouvrir la porte. Lorsqu'il ouvre en se frottant les yeux, les cheveux ébouriffés, je ne peux retenir de sourire. Nous venons clairement de le réveiller. Il panique en voyant l'ainé de la famille Silva et bégaye des paroles incompréhensibles.

« Tu as 5 minutes pour t'habiller, exige Nozel.

- O-Oui mon Capitaine ! »

Il referme la porte rapidement et Nozel s'adosse contre le mur à côté. J'en fais de même, de façon à me trouver en face de lui. Il a les yeux fermés, les bras croisés contre son torse visiblement agacé par la situation. Je prends le soin de le détailler une nouvelle et ne peux m'empêcher de me demander pourquoi il se coiffe de cette manière. Vraiment, il doit avoir une tonne de coiffure qui devait le mettre en valeur, alors pourquoi une tresse ? Et puis, avoir une tresse en plein milieu du visage ne doit pas être très pratique...

Soudain, je l'imagine en train de faire sa petite tresse tous les matins, concentré devant son miroir. Je détourne le regard pour éviter de rire. Je ne pense pas que ce soit dans l'étiquette de se moquer ouvertement de son supérieur.

« Quelque chose t'amuse ? »

Sa voix a résonné dans tout le couloir, m'arrachant un sursaut. En reportant mon regard sur lui, je vois que ses yeux mauves sont fixés dans les miens. D'ailleurs, ils ne sont pas tout à fait mauve. Je peux apercevoir quelques lueurs bleues.

Eh bien, je peux dire tout ce que je veux de lui, mais la façon dont il regarde les gens est unique, comme s'il essaye de sonder tous les aspects de ma personne. Je dois bien admettre qu'en plus de le rendre captivant, ça le rend également séduisant.

« Non. Je me demande simplement ce que nous allions faire aujourd'hui. Vous allez nous tester ?

- En quelque sorte. Vous allez réaliser votre première mission. Vous êtes de la même promotion, j'ai décidé que vous effectuerez vos missions ensemble dans un premier temps.

- Je vois. Vous allez nous accompagner ?

- Penses-tu réellement que je n'ai que ça à faire ?

- De toute évidence, non. »

Durant tout notre échange, il n'a pas quitté une seule fois mon regard. Et il continue de me fixer sans aucune émotion dans le regard. Qu'attend-il ? Que je détourne le regard la première ? C'est mal me connaître ça.

La porte s'ouvre brutalement et d'un même mouvement, nos regards se posent sur Soul.

« Soul Terra, prêt à en découdre ! crie-t-il. »

Mon sourire revient. Ce jeune homme est vraiment amusant, bien qu'un peu puéril. Réaliser mes missions avec lui ne me dérange absolument pas, au contraire. Nozel ne dit rien, se contentant de passer devant nous en nous incitant à le suivre. Je lui emboîte le pas avec Soul. Il nous guide dans la cour du jardin où deux hommes se tiennent. L'un deux semble plus jeune que moi et ressemble beaucoup à Nozel. Combien a-t-il de frères et soeurs au juste ?

En tout cas, lorsqu'il nous voit arriver, il me détaille de haut en bas avec un sale regard. C'est de famille on dirait... Le deuxième homme est un plus âgé, approchant de la cinquantaine. Il est un peu rondouillet, chauve et semble visiblement très agacé. Je me demande si les nobles sont capables de sourire et juste de profiter de la vie...

« Comte Kepper, je vous présente mes deux nouveaux Chevaliers-Mages. Ils vont escorteront jusqu'à Vicelle.

- Vous osez placer ma sécurité en deux enfants ? Novices en plus. Quelle irresponsabilité.

- Vous n'avez pas à vous en faire. Mon frère ici présent, Solid Silva, saura assurer votre sécurité si les deux venaient à échouer. N'ayez aucune crainte.

- J'espère bien ! »

Je dois prendre une profonde inspiration pour fermer ma bouche. En plus de nous avoir fait passer pour des faiblards, Nozel ne nous a même pas présentés à ce comte. Nous ne sommes pas des objets à ce que je sache...

Solid crée un aigle d'eau, plutôt impressionnant mais moins majestueux que celui de son frère. Il aide le comte à grimper dessus alors qu'il nous ordonne de prendre nos balais. Contrainte, j'obéis et m'assieds sur mon balai. Une fois prêts, nous décollons.

Solid manipule son aigle avec aisance, je dois bien l'admettre. Il ne vole pas très vite, sûrement pour le confort de monsieur le comte.

« Eh les deux novices ! Soyez concentré, je ne vous sauverai pas la peau s'il se passe quelque chose. »

Je préfère ignorer cette remarque, regardant l'environnement qui nous entoure. Je jette des coups d'oeil un peu partout, au cas où un danger surviendrait. De là où je suis, je peux sentir Soul tendu et stressé. Il semblerait que le dédain de Nozel et Solid l'ait plus atteint que moi.

Nous volons ainsi pendant plusieurs heures, dans le silence le plus complet. Soul est à deux doigts de s'endormir sur son balai ce qui déplaît fortement à Solid. Cependant, il n'a pas eu le temps de le réprimander qu'au loin, une explosion retentit. La fumée noire s'élève haut dans le ciel alors que je peux distinguer des maisons enflammées. Sans même concerté Solid ou Soul, je commence à me diriger vers le village mais le Silva me stoppe.

« Qu'est-ce que tu fous ?! Ta mission est de protéger le Comte Kepper !

- Pardon ? je m'offusque. Des personnes sont en danger et vous voulez que je les ignore ?

- Peux-tu m'expliquer en quoi la vie de ces pauvres paysans est plus importante que la mienne ? s'indigna le comte. Éloignons-nous de ce village et poursuivons la route. »

À ma plus grande stupéfaction, Solid redirige son aigle dans une position opposée. Alors c'est ainsi ? La vie d'un noble est plus importante que le sort d'un village entier ? Je ne m'attendais pas être livrée à cette cruauté dès lors de ma première mission. Soul ne sait plus quoi faire. Tantôt, il me regarde. Tantôt, il regarde Solid s'éloigner.

« Erin...

- Soul, désolée. Protège le comte, je n'en ai pas pour longtemps. »

Et sans attendre une quelconque réponse, je fonce vers le village aussi vite que je le pouvais.

J'entends les jurons de Solid mais je n'en ai rien à faire. Très rapidement, j'arrive sur les lieux. C'est la panique, les habitants courent dans tous les sens en espérant fuir les trois assaillants du village.

Je saute de mon balai pour atterrir devant eux et sans leur laisser le temps de faire quoi que ce soit, j'ouvre mon grimoire.

« Magie de glace : Monde gelé ! »

En une fraction de seconde, le village est recouvert de glace, étouffant les flammes qui dévoraient les bâtisses. La température chute brutalement, rendant mon souffle visible.

« Qu'est-ce que...

- Les Chevaliers-Mages sont venus nous sauver !

- Elle fait partie de l'Aigle d'Argent, nous sommes sauvés ! »

Les habitants crient leur soulagement alors que les trois hommes ricanent méchamment.

« Et que penses-tu faire seule ?

- Simplement mon devoir. »

L'un des hommes me lance une boule de feu que j'annihile avec un mur de glace. L'autre voulu faire tomber la foudre sur moi que j'évite sans trop de difficultés. Et sans laisser le temps au troisième de m'attaquer, je lance mon sort d'entrave.

« Magie d'entrave de glace : Emprise gelée. »

Ma magie les frappe de plein fouet et en un instant, leur corps sont recouverts d'une particule de glace, les emprisonnant. Le combat est fini. Je fais partir la glace qui recouvre le village alors que les villageois m'acclament.

« Est-ce qu'il y a des blessés ? je demande, en inspectant les lieux du regard.

- Non ne vous inquiétez pas ! Quelques brûlures superficielles, nous saurons nous soigner. Merci beaucoup jeune femme !

- La vache, elle les a vaincu en à peine deux minutes... Les Chevaliers-Mages sont vraiment surpuissants.

- Ça suffit ! »

À ma grande surprise, je vois Solid arriver sur son aigle, Soul à ses trousses. Je pensais qu'ils m'auraient abandonnée. J'ai eu tort. Solid est absolument furieux. Il saute de son aigle et s'avance à grande enjambée vers moi. Alors que je m'apprête à me défendre, il lève sa main avant de l'abattre contre ma joue.

« Espèce de petite idiote ! Quel Chevalier-Mage digne de son nom fuit sa mission !? Tu es une véritable honte ! »

Je serre les poings, réalisant que cet imbécile venait tout juste de me gifler. Je relève les yeux vers lui, furieuse. Noble ou pas, il n'a aucun droit de lever la main sur moi.

« Je te demande pardon ? En mon sens, un Chevalier-Mage porte secours à la population de Clover. Titre de noblesse ou pas, j'en ai strictement rien à foutre ! Je n'ai strictement aucune réprimande à recevoir d'un sale gosse de ton genre !

- Pardon ?! Tu ne sais vraiment pas à qui tu parles, espèce d'insolente ! »

Contre toute attente, une petite fille se rue entre moi et Solid. Si elle ne s'était pas interposée, je crois que je l'aurais gelé sans scrupule.

« Vous êtes méchant m'sieur ! Elle nous a sauvés, vous avez pas l'droit de l'insulter !

- C'est vrai ça ! Comment pouvez-vous lui reprocher de nous avoir sauvés ?!

- Vous êtes injustes !

- Les nobles sont tous les mêmes... Ils nous voient comme des chiens ! »

Le village est désormais révolté, ce qui rend encore plus furieux Solid. Mais j'ai gagné. Peut-être que lever la main sur moi ne lui apporterait aucun problème. En revanche, s'il ose toucher à un villageois, il peut perdre son titre de Chevalier-Mage. Le risque est trop grand pour lui.

Il se retourne vers son aigle en jurant.

« J'appelle le QG de la capitale. Ils s'occuperont de ces bandits. Nous allons perdre beaucoup de temps.

- J'en prends la responsabilité, je déclare sûre de moi. »

Il ne répond rien d'autre. Soul courre alors vers moi, visiblement inquiet.

« Erin, tu vas bien ? Tu n'es pas blessée ?

- Non, ne t'inquiète pas. Et toi, ça va ? Je te trouve bien pâle. »

Il baisse la tête, alors que ses joues commencent à s'empourprer.

« J'ai vraiment honte, tu sais. J'aurais dû te suivre.

- Non, Solid a raison sur un point. Ma mission était de protéger le Comte Kepper. Tu te devais de rester pour assurer sa sécurité à ma place. Merci.

- Quand bien même... Tu n'as pas hésité à aller porter secours aux habitants ! Alors que moi... »

Je ne peux que comprendre le sentiment qui le ronge. C'est un bon garçon, bien qu'il soit un noble. J'ai envie de veiller sur lui car si je le laisse aux mains des Silva, il deviendra comme eux.

« Ne te compare pas à moi, dis-je en posant une main sur son épaule. J'ai 24 ans, à cet âge-là, les éloges m'importent peu. Je sais discerner ce qui est important de faire à l'instant T. Le seul conseil que je peux te donner, c'est de suivre ce que te dit ton coeur. »

Soul hoche vigoureusement la tête, son sourire revenu. Les éloges m'importent peu. Je veux simplement bouger les choses. Les villages ne doivent plus souffrir comme le mien à l'époque. 

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