Chapitre 1
Quel étrange spectacle dois-je donner aux autres. Une jeune fille qui fixe l'eau d'un étang depuis plus d'une heure. Ils pensent sûrement que je suis folle. Mais personne ne voit ce que je vois. Pour cela, il faudrait qu'ils regardent. Personne n'a le temps pour ça. S'arrêter quelques instants. Respirer. Observer. S'ils prenaient le temps, ils verraient. L'eau de l'étang n'est pas normale. Elle est noire. Pas noire comme lors d'une marée noire, plutôt aussi sombre que la nuit. Elle semble refléter l'obscurité en plein jour. Une forte odeur se dégage du liquide. Elle me fait penser à l'odeur de la terre juste après la pluie. Comment l'appelle-t-on ? Ah oui, pétrichor. Quel nom étrange, insolite. Plus j'observe l'étang, plus je remarque des détails incongrus. L'énigmatique calme de l'eau, aussi lisse qu'un miroir, parcourue d'aucune ride. Le manque de vie aux alentours. Il semble dépourvu de poissons, de grenouilles ou d'oiseaux. Si l'on regarde attentivement au centre, on peut voir la petite colline au sud se refléter dans ses eaux. Seulement, elle n'est pas identique. J'ai beau essayer de comprendre, je n'y parviens pas. Lorsque je lève la tête, je ne vois qu'une butte herbeuse. Mais quand je plonge mon regard dans l'obscurité des eaux, j'aperçois un petit chalet au sommet de la montagne. C'est pour ça que les passants doivent me trouver folle. Je tourne encore et encore autour de la marre, je l'étudie sous tous les angles. Rien à faire. Je ne comprends pas. Alors, je fais quelque chose d'insoupçonné, d'irréfléchi. Je touche l'eau. D'abord, c'est juste un effleurement. La surface du liquide ne réagit pas à mon contact. Ça ne lui procure aucune ondulation. En voyant ça, je plonge ma main entière. Et là, à cet instant précis, tout bascule. Je me sens aspirée par l'eau. J'ai juste le temps d'inspirer une grande goulée d'air avant de me retrouver submergée. Le ciel disparait et tout s'inverse. Le haut devient le bas, le bas devient le haut. Je sens la panique m'envahir. Je ne peux plus respirer. Plus rien n'a de sens. Je coule et personne ne me voit. Personne ne viendra m'aider. J'ai l'impression que quelque chose me tire vers le fond. Mais où est le fond ? Plus je sombre, plus la réalité m'échappe. Je me noie. J'étouffe. Puis, tout devient noir.
Quand je me réveille, je suis sur la terre ferme. Enfin, tout dépend de la définition de ferme. Je ne suis plus dans l'eau, mais j'ai l'impression de ne pas pouvoir toucher le sol, comme s'il était insaisissable, presque vaporeux. Je m'assieds et regarde autour de moi. Je suis au même endroit, et pourtant tout semble différent. Il n'y a plus personne, plus aucun passant. La lumière est plus tamisée, plus douce. J'ai une sensation bizarre au creux du ventre. La sensation qu'il manque quelque chose, que quelque chose n'est pas à sa place. L'étang est toujours là, toujours aussi sombre. La colline aussi est là. À son sommet, il y a le chalet. Celui qui avant n'était que dans le reflet de l'eau. Il doit y avoir quelqu'un là-bas. Je commence à me lever, mais je suis soudainement prise d'un vertige qui m'oblige à me rassoir. Ce n'est qu'à ce moment que je prends conscience de mon corps. Je ne ressens aucune douleur, aucun souffle de vent, aucune chaleur ou fraîcheur. Je ne ressens rien. J'essaie de me pincer, mais ce n'est qu'une vague sensation d'effleurement. C'est comme si tout était altéré. La lumière, la douleur, même ma peur. Je devrais paniquer, pourtant je suis calme. C'est ça qui m'effraie le plus. Je parviens enfin à me lever et marche en direction du chalet. En avançant, j'ai l'impression de flotter. Comme si je touchais à peine le sol. Tout à coup, je m'arrête. Je viens de comprendre ce qu'il manque. Le bruit. Tout est parfaitement silencieux. Je n'entends ni le chant des oiseaux, ni le bruissement du vent dans les arbres. Le lointain brouhaha de la ville que j'apercevais avant a maintenant disparu. Même mes pas dans l'herbe n'émettent aucun son. Je mets mes mains autour de ma bouche et je crie. Ce qui me reviens me parait n'être qu'un écho de ma propre voix. Je suis de plus en plus anxieuse, alors que mon corps reste calme, comme endormi. Je me mets à courir. Plus vite j'atteindrai le chalet, plus vite je trouverai quelqu'un qui m'expliquera ce qu'il se passe. En arrivant devant la porte, je m'arrête et regarde autour de moi. Étant légèrement surélevée, j'ai une vue panoramique sur les environs. Il n'y a rien. La ville n'est plus là. Il n'y a que très peu d'arbres. Pas une montagne. Aussi loin que porte mon regard, je ne vois qu'une vaste campagne étendue à l'infinie. Et l'étang. L'imperturbable étang. Toujours aussi dénué de vie. Tout parait dénué de vie. Je ne vois aucun animal, aucun mouvement. Je frappe à la porte. D'abord doucement, puis plus fort. Les bruits me reviennent comme un écho. Personne ne répond. J'ouvre la porte.
La première chose qui m'interpelle, c'est l'absence totale de poussière. C'est plutôt bon signe. Ça veut dire que quelqu'un habite ici. Du moins je crois. Ensuite, chose étrange pour un chalet de cet acabit, le parquet de bois ne craque pas. D'extérieur, il avait l'air vieux. Se pourrait-il qu'il soit en réalité récent ? Je pourrais ajouter cette question à la liste que j'ai dans ma tête. Je quitte l'entrée pour arriver dans un petit salon. C'est une petite salle ronde avec un vieux tapis au sol et un fauteuil tourné vers la cheminée. Cheminée totalement propre, sans la moindre trace de suie. Elle n'a probablement jamais servi. À chaque extrémité, on peut voir une porte. Je vais vers celle de droite. Elle mène à une cuisine très simple, avec un fourneau à l'ancienne et un vieux poêle à bois. Je sors et me dirige vers l'autre porte. Celle-ci me conduit à une minuscule chambre, meublée uniquement d'un lit rigoureusement fait et d'une table de chevet où est posé un livre. Je m'approche et regarde le titre. Il s'agit de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Je retourne au salon et m'assieds sur le fauteuil. J'ai besoin de réfléchir. Après un long moment les yeux fermés, je décide de retourner à l'entrée. Là, je remarque un escalier montant que je n'avais pas vu avant. Arrivée en haut, je me retrouve dans une immense bibliothèque. Les étagères sont tellement grandes que je n'en vois pas le bout, autant en hauteur qu'en largeur. Ces dimensions sont illogiques. Cette salle est bien plus vaste au sol que toutes les pièces réunies de l'étage du dessous. Elle est également beaucoup plus haute que la taille extérieure du chalet ne le permet. Je balade un instant mes mains sur les couvertures des livres. Il y a là les plus célèbres ouvrages que la Terre ait connue. De Baudelaire à George Orwell et passant par Shakespeare ou même des recueils plus anciens, écrits par Aristote ou Socrate eux-mêmes. Ces livres-là me paraissent extrêmement fragiles et je n'ose y toucher. Au centre de la pièce, il y a un vaste canapé avec une grande table recouverte d'écrits de toutes sortes. Sur le canapé, un vieil homme lit. Il m'est impossible de lui donner un âge. Ces cheveux sont gris, mais son visage dépourvu de rides. Ces gestes sont lents et précis. Ces yeux sont aussi bleus que la glace et brille d'une grande intelligence. J'ai comme l'impression qu'il pourrait n'avoir qu'une cinquantaine d'année et être là depuis plus de mille ans. Je fais un pas vers lui. Il lève les yeux et nos regards se croisent.
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