Prologue

13 juin 2015

J'attache mes longs cheveux bruns en une queue-de-cheval haute et, après m'être correctement échauffée, je chausse mes patins à glace. Je noue soigneusement les lacets et enfonce mes écouteurs sans fil dans mes oreilles avant de rejoindre le centre de la patinoire.

Du bout des doigts, je frôle le sol verglacé, un frisson me parcourt la colonne. Je souris, nostalgique, et commence à faire quelques allers-retours sur la glace, renouant avec mes vieilles habitudes. Inconsciemment, je chantonne Demons, du groupe Imagine Dragons, et lorsque le refrain éclate, j'exécute un double-loop sans vaciller et, tout en gardant l'équilibre, je retombe sur la glace, fière de moi.

Ma mère aimait le patinage artistique. C'est la seule chose dont je me souviens réellement. Elle passait tout son temps libre à la patinoire et elle m'emmenait souvent voir des compétitions lorsque j'avais à peine trois ou quatre ans. Je ne saurai jamais pourquoi, mais elle n'a pas partagé cette passion avec Hayden, ma grande sœur. C'était entre nous, juste elle et moi. Puis elle a été percutée par une voiture et ma vie a été bouleversée. Mon père était déjà parti alors, seules, Hayden et moi avons été séparées, adoptées par des familles différentes. En quelques semaines, j'ai perdu tous mes repères : ma famille, mes amis, ma maison, mon lieu de vie. Mon quotidien a changé, personne ne m'a montré la bonne direction à suivre et à force de faire les mauvais choix, j'ai chuté au fond d'un abysse qui semblait sans fin, jusqu'à ce que je vois la lumière au bout du tunnel, le phare au loin, l'espoir au milieu du chaos.

Au détour d'un couloir, Jordan a fait irruption dans ma vie et depuis, je remonte doucement à la surface. Il est ma thérapie, mon baume au cœur, celui qui panse mes plaies et soigne mes maux comme il le peut. C'est lui qui m'a poussée à chausser de nouveau mes patins afin de m'évader un peu et j'ai enfin sauté le pas, ce que je ne regrette pas d'avoir fait.

Plus jeune, j'ai passé des heures entières à patiner et à me perfectionner dans cette discipline qui était la passion de celle qui me manque tant. Je me suis battue pour elle, pour faire perdurer sa mémoire dans mon cœur aussi longtemps que je l'ai pu, mais j'ai décroché. J'ai déraillé et j'ai foutu ma vie en l'air. J'étais seule, j'étais perdue. Toute mon existence a été anéantie et brisée par des événements qui ont marqué mon âme au fer rouge. Et ça, je ne l'ai jamais vraiment dit.

Lorsque j'ai retrouvé ma sœur, le 10 juillet, je lui ai souri. Je lui ai confié à quel point mes parents adoptifs étaient adorables, je lui ai dit que j'étais heureuse et que tout allait bien, mais je n'ai pas été capable de lui raconter ce que j'avais traversé, ni de lui montrer mes failles et mes cicatrices encore entrouvertes. Je n'en ai pas eu le courage alors j'ai fait la seule chose que je sais réellement faire : mentir. Elle n'est qu'une personne de plus sur la liste de ceux à qui j'ai déblatéré une litanie de mensonges, refoulant mes blessures et mes faiblesses au plus profond de moi-même.

Ce que je raconte sur moi n'est qu'un dixième de ce que j'ai vécu, une infime partie de ma vie. Mon sourire n'est qu'une façade, mes paroles ne sont que mensonges, mes rires juste des cris de douleur camouflés, des sanglots étouffés. La vérité n'est pas aussi rose que je le prétends. J'ai surmonté beaucoup d'épreuves, j'ai souffert durant de longues années, j'ai failli sombrer et gâcher mon avenir.

Mais si je suis là, au milieu de cette patinoire, c'est parce qu'à presque dix-huit ans, j'ai décidé de reprendre ma vie en main. J'ai choisi d'entamer un processus de guérison, une thérapie dont je dicterai les règles, mes règles. Pas de pression, juste l'envie d'avancer à mon rythme. La première étape : arrêter de mentir. Je dois cesser de faire semblant, de jouer un rôle et leur dire la vérité. Ma vérité. Je veux repartir de zéro, prendre un nouveau départ et pour cela, il faut que je tire un trait sur tout ce qu'il s'est passé. J'ai conscience que tous mes mensonges et mes secrets me rongent de l'intérieur. Il ne restera bientôt plus rien de moi si je n'agis pas. Je dois prendre mon courage à deux mains et raconter ce qu'il m'est réellement arrivé, ce que j'ai traversé. Il le faut.

Je quitte la glace pour récupérer mon bloc note dans mon sac. J'attrape un stylo et m'assois dans un coin de la patinoire afin de ne gêner personne. La musique en boucle dans mes écouteurs, je prends une grande inspiration et me lance. La première lettre, la première tâche d'encre, le premier mot, celui qui vient troubler l'équilibre de la page blanche, celui qui annonce le début de quelque de chose de nouveau. Mais de quoi ? Je ne le sais pas encore. J'espère simplement que ce ne sera pas une énième erreur.

J'ai choisi de ne plus refouler mes souvenirs.
J'ai choisi de ne plus étouffer mes sanglots.
J'ai choisi de coucher mes maux sur le papier.
J'ai choisi de dire la vérité, même si elle est douloureuse à écrire.
Et si tu choisis de la lire, alors accroche-toi,
parce que toutes les vérités ne sont pas faciles à entendre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top