Chapitre 4
7 janvier 2012
Le temps passe et rien ne se déroule comme je l'avais imaginé. Cela fait quatre mois que j'ai commencé les cours et déjà sept mois que j'ai été adoptée.
Si tout se passait pour le mieux au début, la situation a dérapé et ma vie a pris un autre tournant. Je pensais parvenir à m'adapter, à tourner la page sur les foyers, sur le décès de ma mère et sur tout ce que j'avais traversé, mais je me suis trompée sur toute la ligne. J'y pense toujours, constamment même, et suis toujours incapable de raconter le moindre événement antérieur à mes parents adoptifs. Je me renferme sur moi-même et mes notes à l'école en pâtissent. Elles sont en pleine chute libre, c'est une catastrophe et mes professeurs me le font bien comprendre.
Je ne parviens toujours pas à réaliser que je vais rester ici pour toujours, que je ne changerai plus de maison dans les mois à venir. Je n'arrive pas à faire confiance à Samuel et à Héléna, malgré tous leurs efforts pour m'aider. Je ne dis rien, je ne montre rien, pourtant au fond de moi, je me sens terriblement mal, terriblement seule. Mon cœur souffre et se serre chaque fois que mon esprit s'égare. Je crois que les démons de mon passé ne me quitteront jamais. Il y a des choses que l'on ne peut pas oublier et apparemment, je suis condamnée à me souvenir de tout, dans les moindres détails.
J'avais trouvé une salle pour faire du patin à glace à la rentrée et j'étais contente de pouvoir retrouver ce sport, mais je commence à décrocher et ce n'est pas bon signe. Lorsque j'étais en foyer, je trouvais toujours le moyen d'aller patiner et si je ne pouvais pas le faire sur la glace, je faisais du roller. Même si la sensation était différente, elle m'était vitale. Mettre un casque, écouter de la musique et patiner m'aidaient à me détendre et à penser à autre chose l'espace de quelques heures. Cela ne fonctionne plus et je ne sais pas pourquoi ! Le patinage, c'est tout ce qu'il me reste de ma mère, et quelque part, je me sens plus proche d'elle lorsque je suis sur la glace. Cette discipline me relie à elle, la fait vivre dans mon cœur. C'était indispensable pour moi, un peu comme l'oxygène, et désormais, j'ai besoin de plus. Les sensations de glisse et de liberté ne m'aident plus à oublier les cris, les coups et l'accident.
Toujours enfouie sous les couvertures, je me décide enfin à quitter mon lit. J'attrape mon smartphone, envoie un rapide texto à Mathias et rejoins la salle de bain pour me préparer.
Dans le salon, mes responsables débattent devant leur programme télévisé. J'attrape mon manteau, mon écharpe et enfile mes chaussures. Je m'apprête à filer en douce lorsque Samuel m'arrête.
– Stacy ? Tu sors ?
– Oui, je vais rejoindre Matt.
– Fais attention à toi, s'il te plaît, soupire-t-il.
– Comme toujours.
Je me dépêche de sortir avant qu'il ne change d'avis et m'empêche de partir. Je sais à quel point ils sont contrariés par mon attitude. Je passe beaucoup de temps avec Mathias, je ne suis pas souvent à la maison, je parle peu. Ils sont inquiets, mais quand je suis avec Matt, je me sens un peu mieux. Samuel est persuadé que je devrais me faire des amis de mon âge, qu'il est trop vieux et que nous n'avons pas les mêmes intentions. Il a sûrement raison mais il y a bien longtemps que j'ai cessé d'écouter l'avis des autres alors je m'en fiche pas mal.
Quand je sors, Matt m'attend devant chez moi. Il me sourit et m'adresse un signe de la main. Avec son bonnet enfoncé sur la tête, il est vraiment adorable.
– Comment tu vas ? me questionne-t-il.
– Très bien et toi ?
– Nickel. Tu veux aller où ?
– N'importe où.
Je hausse les épaules tandis qu'il fronce les sourcils.
– J'ai besoin de me changer les idées, ajouté-je.
Il glisse sa main dans la mienne et nous déambulons dans les rues. Il fait un froid de canard en ce moment. Nous avons le bout du nez tout rouge et de la buée s'échappe de nos lèvres chaque fois que nous parlons, mais je préfère être dehors avec lui plutôt que dans mon lit, perdue dans mes pensées.
Nous marchons un long moment et nous arrêtons dans un parc de jeu désertique. Les températures très basses n'ont pas donné envie aux gens de sortir. Je m'assois sur la planche en bois de la balançoire et pousse sur mes pieds afin de me balancer, telle une gamine rêvant de pouvoir toucher les nuages. Comme quand j'étais petite. Comme quand ma mère était encore là.
Je relève la tête et croise le regard de Mathias qui ne me lâche pas des yeux. Il a un petit sourire sur les lèvres et je ne peux m'empêcher de penser à celle qui m'observait de la même façon, il y a si longtemps.
Sentiment familier.
Poitrine comprimée.
– Ma mère me regardait exactement de la même manière quand j'avais quatre ans, confessé-je.
– Tu ne me parles jamais de tes parents, me fait-il remarquer.
– Je ne me souviens pas vraiment d'eux.
Je continue de me balancer comme si cela allait me permettre d'échapper à ses questions, à la conversation qui se profile à l'horizon et que je ne souhaite pas avoir.
Matt s'avance vers moi et attrape ma jambe en plein vol, me stoppant net dans mon balancement. Il est à présent devant moi, les mains agrippant les cordes qui retiennent la planche sur laquelle je suis assise, et la tête baissée vers moi.
– Tu ne t'en souviens pas ? Ou tu ne veux pas t'en souvenir ?
– Un peu des deux. Elle est morte à cause de moi. J'ai juste aperçu son corps, étendu sur le sol, et celui de ma sœur, couché sur le sien. Je n'ai rien vu d'autre, mais elle a crié et pleuré si fort que j'ai tout de suite compris que j'avais fait une connerie.
Je chasse la larme solitaire qui s'est égarée sur ma joue et esquisse un léger sourire, comme pour lui dire que tout va bien. Qui est-ce que j'essaie vraiment de convaincre ? Lui, ou moi ?
Il se penche au-dessus de mon visage, ses mains se posent sur mes joues et ses lèvres sur les miennes. Surprise, je ne réagis pas et me contente de fermer les yeux. Son doux et chaste baiser me réchauffe le cœur un instant.
– Tu y penses souvent ? reprend-il comme si rien ne s'était passé.
– Tout le temps. J'aimerais pouvoir oublier, juste le temps d'une soirée ou même une seconde.
– Ça peut s'arranger.
Il m'accorde un clin d'œil, serre mes mains gelées dans les siennes et m'incite à me lever. Nous quittons le parc et reprenons notre chemin, marchant dans les rues de cette ville que je connais à présent comme ma poche.
Il s'arrête devant un supermarché et me demande de l'attendre, ce que je fais sans poser de question. Je l'observe à travers les portes vitrées jusqu'à ce qu'il disparaisse dans un rayon plus lointain. Lorsqu'il ressort, il n'a pas les mains vides, bien au contraire, et ses yeux pétillent de malice. Est-ce qu'il sait ce qu'il fait ? Parce que moi, pas du tout. Et c'est vraiment grisant.
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