Epilogue - Acte 3

4 ans plus tard

Diane parvint à s'extraire du vestiaire bondé, téléphone collé à l'oreille.

-Attends, je n'ai rien entendu... C'est bon, je suis dans le couloir. Qu'est-ce que tu disais, Astrid ?

Diane se laissa tomber le long du mur, s'installant confortablement alors que la tressée reprenait le fil de la conversation.

Son ancienne colocataire entamait sa dernière année à Yale, et elles étaient habituées à passer des heures au téléphone pour compenser l'océan entre elles.

-Tout va bien au National Ballet, ne t'en fais pas. Ça roule, c'est un gros paquebot.

Astrid réagit vivement et Diane reprit :

-Attends, tu es au courant ? Oui, les rumeurs sont confirmées, il devrait y avoir un nouvel administrateur nommé bientôt. La vieille part à la retraite.

-Mais justement, Diane, à ce propos, je dois te dire un truc...

La blonde ne l'écoutait plus. La porte du vestiaire s'était ouverte, laissant sortir un flot de jeunes filles en justaucorps et chignon serré. Le bruit envahit le couloir et Diane grimaça :

-Astrid désolée, mon cours va commencer, je dois te laisser.

Son amie soupira :

-Ça marche, à bientôt !

-Bisous !

Diane raccrocha et suivit le groupe jusqu'au studio. L'appel de la danse était toujours le plus fort.

Pas de bourré, préparation, plié et tour. La musique cessa, et Diane termina son dernier mouvement. Elle reposa les talons au sol, poussant un léger soupir. Elle adorait cette variation, pleine de passion mais qui demandait en même temps une grande précision technique. A chaque fois, elle était transportée et il lui était toujours compliqué d'être rappelé à la réalité par son corps et ses muscles qui hurlaient après tant d'efforts.

-Eh bah, new girl, c'était impressionnant. Si avec ça tu n'es pas retenue comme soliste...

Diane lança un regard blasé au danseur blond qui était apparu à ses côtés.

-Merci Adam. Tu crois que ça suffira pour que tu retiennes enfin mon prénom ?

-C'est pas moi qui fait les règles poupée !

Diane roula les yeux.

-Poupée toi-même !

Cela faisait 6 mois qu'elle avait ré-intégré la compagnie, après une année en tournée à l'étranger. Elle était donc considérée comme nouvelle, alors qu'elle était arrivée avant la plupart des danseurs du corps de ballet.

Adam en avait fait une plaisanterie récurrente entre eux, et Diane jouait le jeu. Elle se faisait un malin plaisir à répondre à ce surnom par des piques de son cru. Surtout, elle ne regrettait pas d'être partie, même si cela l'avait coupée de la compagnie. Elle avait vraiment ressenti le besoin de s'éloigner, de découvrir de nouvelles choses et surtout, de quitter Londres.

Son copain et elle avaient rompus, et elle ne supportait plus de le voir tous les jours dans les couloirs. Quand on avait annoncé qu'on cherchait une danseuse pour partir en tournée, elle avait sauté sur l'occasion. Aujourd'hui, son ex avait quitté le National Ballet, et elle était de retour.

Son expérience à l'étranger l'avait fait murir. La danse demandait un investissement total, mais surtout, un don de soi, la capacité d'éprouver des choses et de les restituer par la grâce et la fluidité de ses mouvements. Diane avait retrouvé cet accès à ses émotions, et surtout, elle s'était retrouvée. Comme débarrassée du superflu, elle avait une impression de légèreté à chaque fois qu'elle dansait.

Cela ne devait d'ailleurs pas être qu'une impression. A peine rentrée, elle s'était retrouvé engagée dans les auditions pour le ballet de fin d'année de la compagnie.

Cette année, ils dansaient Roméo et Juliette. Diane aimait beaucoup ce ballet, et elle avait eu plaisir à l'apprendre à nouveau. Ils arrivaient au terme de la période de sélection, et une certaine fébrilité régnait dans les locaux. Tous les danseurs étaient sur les rangs, et c'était un honneur d'être repéré lors du ballet de décembre.

Le maitre de ballet frappa dans ses mains. Il avait été rejoint par deux autres de leurs professeurs de danse.

-Merci à tous, c'était une bonne session, vous avez bien travaillé.

Les danseurs éparpillés aux quatre coins de la salle se rassemblèrent au centre du parquet, conscients que leur professeur avait plus à leur dire. Diane avait suivi le mouvement, à l'écoute. Elle n'espérait pas vraiment obtenir un grand rôle, elle était revenue depuis trop peu de temps, quoi qu'en pense Adam.

-Vous le savez, tout le monde prépare les variations de Roméo et Juliette, mais il n'y a pas de rôle pour chacun. Vous êtes tous excellents, c'est certain, mais il faut bien faire une sélection. Nous vous observons depuis quelques semaines afin de déceler qui a le potentiel d'incarner un personnage lors des représentations.

-Accouche, marmonna Adam, qui triturait nerveusement son bracelet. Pas très loin de lui, Sofia et ses amies avaient la même expression sur le visage, un air à la fois anxieux et impatient.

-Nous avons finalement arrêté notre décision, et nous allons maintenant vous révéler qui interprétera les différents rôles du ballet. Le reste des danseurs du cours sera intégré au corps de ballet. Dans le rôle de Tybalt...

Leur professeur se mit à égrener une liste de personnage, dans l'ordre d'importance. Diane était heureuse pour chacun de ses condisciples choisis pour un rôle, même si au fur et à mesure que la liste avançait, elle ne pouvait empêcher une pointe de déception de monter en elle. Elle n'espérait rien, mais elle aurait bien aimé avoir un petit rôle quand même.

Le groupe s'était un peu éclairci, au fur et à mesure que les sélectionnés s'éloignaient pour réaliser leur chance.

Finalement, il ne reste plus que les rôles principaux.

-Et dans le rôle de Juliette...

Sofia était une très bonne danseuse. Un bon élément de leur classe. C'est elle qui aurait le rôle. La blonde avait les ongles plantés dans sa paume de main, si fort qu'une marque commençait à se former.

-Diane Delcourt !

Le silence se fit, épais et chargé d'une certaine incrédulité. Diane elle-même resta interdite, prise par surprise. Soudain, un bruit fit éclater le silence.

Diane se retourna. Une seule personne applaudissait, debout au fond de la salle.

Elle savait qui c'était, elle l'avait immédiatement reconnu. Nate était là, Nate l'applaudissait.

Elle était heureuse d'avoir été choisie, c'était évident. Être Juliette, sur la scène du National Ballet, elle n'aurait jamais osé le rêver. Mais l'ironie de la situation lui sautait aux yeux et son sourire n'était pas aussi sincère qu'elle l'aurait voulu quand les danseurs vinrent finalement la féliciter. Une seule question tournait en boucle dans son esprit : qu'est-ce qu'il faisait ici ?

-Qu'est-ce qu'il fait ici ? s'énervait Diane, son téléphone dans la main.

-Il est devenu administrateur Di, répondit Astrid à l'autre bout du fil.

-Administrateur ! Je n'en reviens pas, il ne me lâchera donc jamais. Il est partout, à me suivre... J'en ai déjà marre, toute la compagnie ne parle que de ça...

-Laisse un peu de temps passer, c'est la nouveauté...

-C'est ça, moi aussi j'étais nouvelle il n'y a pas si longtemps, ça n'a pas eu l'air de les impressionner autant. Merde, c'est quoi son problème ?

Astrid ne put s'empêcher de rire, et Diane sourit également, malgré elle.

-Je suis désolée de ne pas pouvoir t'aider plus que ça ma Di. Je dois y aller, bisous ! Tout ira bien, ne t'en fais !

Diane raccrocha et remit son téléphone dans son sac. Respirant un grand coup, elle vérifia d'un geste son chignon, raccrocha quelques mèches indisciplinées dans sa nuque et se remit en route. Ce fut à cet instant que cela la frappa. Astrid n'avait pas eu l'air surprise d'entendre que Nate était le nouvel administrateur. Elle aurait dû lui poser la question et se demandait quand elle pourrait la rappeler, quand ses pensées furent interrompues par l'irruption du directeur de la compagnie.

-Ah Miss Delcourt, vous tombez bien ! C'est vous que je cherchais, venez avec moi

-Mais monsieur ...

-Non ne vous en faites pas, je vous excuserai auprès de vos professeurs.

Diane s'inclina, et suivit le directeur jusque son bureau, intriguée de connaitre la raison de cette entrevue.

Elle promena un regard curieux sur les lieux qu'occupait le directeur de la compagnie. Son bureau n'était pas très grand, sobrement décoré. Les seuls éléments qui se détachaient sur les murs étaient les photographies des danseurs célèbres du National Ballet. Diane les observa un temps, alors que le directeur tentait de meubler :

-Il devrait arriver bientôt...

A peine eut-il prononcé ces paroles qu'on toqua à la porte, et quelqu'un entra.

Diane se figea en reconnaissant la voix :

-Bonjour, vous m'avez appelé...

-Nathanaël, bonjour ! Entrez, effectivement, je voulais vous présenter miss Delcourt, ici présente.

Diane se retourna pour faire face au jeune homme.

Comme elle, il ne s'était pas attendu à la voir dans ce lieu, mais il ne laissa rien paraitre de sa surprise. Ils se dévisagèrent pendant un long moment.

Elle n'avait pas changé. Les mêmes yeux bleu délavés qui le transperçaient, son port de tête altier mis en valeur par son chignon de danseuse. Elle portait un simple justaucorps noir, sur lequel elle avait passé un petit gilet et il lui semblait l'avoir toujours connu ainsi. Un instant, il se demanda si, hors des studios, elle s'habillait toujours de sweat et jeans déchirés.

-Mlle Delcourt est notre danseuse principale pour le ballet de décembre. Elle est l'un de nos meilleurs éléments, une jeune fille très prometteuse, plus douée qu'elle ne le croit elle-même.

-Vraiment ? ponctua négligemment Nate, son regard errant sur les photographies affichées aux murs.

Diane se hérissa en entendant cette remarque. Son ton ne varia pas, mais ses yeux étincelaient lorsqu'elle répondit :

-Votre confiance m'honore, M. le directeur, il est toujours encourageant de voir son travail reconnu.

Elle savoura l'effet de ses mots en voyant la mâchoire du brun se contracter. Il avait saisi l'allusion.

Le directeur, inconscient de l'échange invisible qui se jouait entre eux, reprit la parole :

-Nous représentons cette année Roméo et Juliette, pour notre plus grande fierté. C'est la première fois pour tous les deux que vous êtes confrontés à cet évènement, je ne pense pas que vous ayez déjà participé Diane ? s'enquit le directeur.

La jeune fille secoua la tête.

-Ce ballet clôture l'année, et il est très attendu par nos spectateurs. Nous avons bâti notre réputation à partir de cet évènement, et tout le monde nous attend au tournant. Je ne vous mets pas la pression, mais il est de votre responsabilité de vous assurer du bon déroulement de cette représentation, en amont M. Kingsley, ou en assurant le spectacle Miss Delcourt.

-Cela implique-t-il de veiller à ce que les danseurs n'oublient pas de respecter une bonne hygiène de vie ?

Diane écarquilla les yeux, ébahie devant son culot.

-Ce que je fais pour m'assurer que tout se passe bien le jour J ne regarde que moi Kingsley, articula-t-elle d'une voix blanche.

Le directeur leur jeta tour à tour un regard soupçonneux :

-Vous vous connaissez ?

Nate ouvrit la bouche pour répondre, mais Diane le prit de vitesse :

-Non, bien sûr que non.

Ce n'était pas un couteau, c'était l'épée tout entière qu'elle enfonçait sciemment dans son cœur. Nate se força à rester impassible, hochant simplement la tête pour confirmer.

Le directeur reprit :

-M. Kingsley, en tant qu'administrateur, s'occupe effectivement de la bonne gestion des répétitions et de l'avancée des préparatifs. J'espère que nous n'aurons pas trop de soucis à régler cette année, la période est rude pour nos danseurs.

Il jeta un coup d'œil à sa montre :

-Bon sang, il est déjà cette heure-là ! Je vais devoir vous congédier, j'ai encore beaucoup de choses à faire. M. Kingsley, repassez dans mon bureau d'ici la fin de la journée, j'aurais des documents pour vous.

Nate eut à peine le temps d'acquiescer, ils étaient déjà dehors et le directeur partit, les laissant seuls. Le jeune homme ne disait rien, il explorait sa mallette avec intérêt. Diane l'observait, une rage sourde montant lentement en elle. Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la bouche, elle explosa :

-Qu'est-ce que tu fais ici ?

Nate répondit lentement :

-Bonjour Diane, moi aussi je suis ravi de te revoir. Comment vas-tu aujourd'hui ?

-Ne joue pas à ça avec moi, gronda la blonde, et répond à ma question !

Elle était furieuse, il pouvait le voir à ses sourcils si froncés qu'ils se touchaient presque. Mais lui non plus n'était pas d'humeur à se laisser faire.

-Un jeu ? Comme quand tu prétends ne pas me connaitre ?

Diane resta interloquée, elle ne s'attendait pas à avoir visé aussi juste. Elle se ressaisit rapidement cependant et répliqua avec morgue :

-N'est-ce pas le cas ?

Il se passa la main dans les cheveux, les décoiffant d'un geste nerveux.

Diane tressaillit. Ce geste, si propre au brun, lui était familier et son cœur fit un bond. Elle continua, tentant de ne pas se laisser submerger par les souvenirs qui lui revenaient :

-On ne se connait pas vraiment.

Nate était également en colère maintenant.

-A qui la faute ? Tu n'attendais que ça, que je fasse un faux-pas ! Tu ne m'as jamais fait confiance, depuis le début tu me juges. Ça n'aurait jamais pu marcher entre nous.

Il avait craché sa dernière phrase et Diane eut l'impression de sentir son cœur se briser en mille morceaux. Il lui avait fait suffisamment de mal quatre ans plus tôt, elle ne lui en laisserait plus le pouvoir :

-Parce que j'aurais dû te faire confiance ?

Le jeune homme blêmit. La balle était revenue au centre, ils étaient égalité, par k.o.

-Peut-être pas. Excuse-moi, je vais te laisser maintenant.

Il partit d'un pas vif, sans se retourner, laissant Diane épuisée. Toute colère l'avait désertée, elle se sentait seulement vide, plus blessée que s'il s'était mis à crier.


Bonsoir!
Et voilaaa, Nate est de retour! Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, ils s'engueulent 🙄
Bon week-end à vous, à la semaine prochaine!

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