Chapitre 55

Le printemps arrivait doucement, et les jours rallongeaient.

Diane appréciait cette période, en même temps que la nuit reculait, ses journées semblaient contenir plus d'heures. Or elle en avait désespérément besoin, tant ses semaines étaient chargées.

Entre les cours et la danse, les soirées avec la bande, elle n'avait presque pas le temps de voir Nate. Elle prenait doucement conscience qu'il comptait pour elle, qu'il lui manquait quand ils ne se parlaient ou ne se voyaient pas. Les week-ends étaient des parenthèses magiques, qu'elle attendait toute la semaine.

Elle avait d'autant moins de temps en semaine qu'elle continuait d'aller danser seule le soir, après la fermeture du studio. Ces moments solitaires étaient des respirations, elle s'y sentait bien, en confiance. Souvent, elle reprenait les exercices appris pendant les cours, retravaillait les variations. Elle les répétait inlassablement, traquant la moindre imperfection d'après les paroles de sa professeure.

Ce soir-là était un soir de travail au studio. La bande était au courant, et Astrid la couvrait en cas de besoin.

La tressée était dans leur chambre. Assise à son bureau, elle était illuminée par le halo de sa lampe, seule lumière de la pièce. Elle était plongée dans l'étude d'un document historique, dont elle était sûre que la lecture lui permettrait de mieux comprendre le XVIe siècle anglais. Soudain, quelqu'un frappa à la porte :

-Salut, Diane est là ?

Astrid était prête à incendier la personne qui se permettait de la déranger en plein travail, mais se figea en reconnaissant la voix du préfet. Elle se reprit rapidement et se tourna vers le brun qui se tenait dans l'embrasure de la porte.

-Nathanaël. Quel honneur de te voir ici. Non, comme tu peux le constater, je suis seule.

Nate promena un regard pensif sur la pièce, et Astrid, impatientée, chercha à le faire partir au plus vite :

-Ce n'est pas que tu me déranges, mais un peu quand même, j'étais concentrée sur un truc. Elle n'est pas ici je t'ai dit, tu crois qu'elle se cache sous un lit ?

Sans réagir aux piques de la jeune fille, Nate marmonna comme pour lui-même :

-Elle n'est pas dans la salle commune, pas dans sa chambre non plus...

Il la cherchait vraiment. Astrid se demandait ce qu'il pouvait bien vouloir à son amie. Tous deux avaient un comportement étrange dernièrement, qu'il lui faudrait éclaircir. Elle s'apprêtait à se lever et l'éconduire véritablement, quand son regard s'éclaira :

-J'ai trouvé ! Je sais où elle est, merci Astrid !

Et sur ces mots, il quitta la pièce en trombe.

La tressée se mordit les lèvres. Elle n'avait rien dit, qu'est-ce qu'il croyait avoir compris ? Elle observa la chambre. Son côté était en ordre, organisé comme toujours, au contraire du fouillis savamment arrangé chez Diane. Et ses yeux se posèrent sur le justaucorps de sa colocataire, reposant sagement sur le dossier de sa chaise.

Elle jura, ne doutant plus de la destination du jeune homme. Il se dirigeait droit vers le studio.

Elle attrapa son portable et se mit à taper à toute vitesse, espérant que Diane aurait le message.

A : Diane

Désolée Blondie, je te jure que je n'ai rien dit ! Mais le Prince est en route pour le studio.

Quand Nate arriva finalement sur les lieux, Diane était tranquillement en train de s'étirer au milieu du parquet, ses pointes abandonnées à ses côtés. Elle leva à peine la tête en l'entendant entrer, poursuivant son exercice.

Le brun, le souffle un peu court d'avoir marché vite, sourit face à son flegme :

-Tu n'as pas l'air surprise de me voir ?

-Astrid m'a envoyé un sms.

-Tout s'explique. Elle ne m'aurait jamais dit où tu étais, j'ai dû trouver par moi-même. Pas très partageuse ta colocataire.

-Pas trop non, répondit Diane, levant enfin les yeux vers lui. J'ai bientôt fini.

-Je ne suis pas pressé.

Le jeune homme laissa son regard errer, observant le studio. Le contraste entre le noir de la nuit et l'atmosphère chaleureuse créée par le reflet des lumières sur le parquet lui plaisait. Diane ne se préoccupait toujours par de lui, continuant ses exercices d'assouplissement. Il finit par remarquer le piano, qu'il fixa un long moment. Finalement, il se dirigea vers l'instrument.

-Tes chaussures.

La voix de Diane claqua dans le silence de la pièce.

-Désolé, dit-il en les retirant.

Il passa la main sur le bois verni, savourant la douceur de ce contact puis souleva le capot. L'instrument se dévoila véritablement, alternance de touches blanches et noires à partir desquelles la magie se créait.

Il s'assit et les effleura.

-Qu'est-ce que tu fais ici ?

Diane avait finalement terminé, et l'avait rejoint. Sans le vouloir, par ces quelques mots, elle brisa la paix qui avait envahi Nate au contact de l'instrument. Revenant à la réalité, il se tourna vers elle :

-Vous répétez avec un pianiste ?

-Non, on utilise le poste.

Nate hocha la tête, et Diane reprit :

-Tu n'as pas répondu à ma question.

-Je te cherchais. J'ai l'impression de ne pas t'avoir vu depuis très longtemps.

-On s'est vu en cours ce matin !

-Tu sais ce que je veux dire, répondit Nate, sans insister.

Diane avait en effet compris, mais elle préféra changer de sujet :

-Tu en joues ?

-Je jouais. J'en ai fait pas mal, avant, mais j'ai un peu arrêté.

-J'adore le piano, dit Diane, rêveuse. Je trouve ça fascinant, la beauté de la musique produite par un simple instrument.

Nate ne pouvait qu'approuver.

-Joue moi quelque chose !

-Je ne sais pas si je sais encore...

-S'il te plait, Nate.

Il ne pouvait plus refuser, les yeux de Diane brillaient d'une joie enfantine à l'idée qu'il lui joue quelque chose.

-Tu ne ris pas si je me trompe !

-Promis, dit-elle, en traçant une croix sur sa poitrine.

Elle le regarda se concentrer, rechercher dans sa mémoire un morceau adéquat. Il plaça son pied sur la pédale, positionna ses mains sur le clavier. Son regard se fit un peu lointain et soudain, la musique emplit l'espace.

Il commença à jouer, d'abord doucement, lentement, et puis, le tempo s'accéléra et ses mains se mirent à voler sur le clavier.

Il avait choisi un morceau de Tchaïkovski. Diane écoutait sans bouger, bouleversée par l'aisance du brun. Puis, un fourmillement la prit. Elle ressentit une envie irrépressible de danser. Elle s'éloigna du piano, amorça quelques gestes.

Elle ne connaissait pas exactement la variation qui accompagnait ce morceau, alors elle improvisait, mêlant parties connues et inventions personnelles.

Elle tournoyait, prenant de plus en plus d'espace dans la pièce. Elle se sentait parfaitement bien, parfaitement à sa place.

Finissant une pirouette, elle se rendit compte que la musique avait cessé.

Nate l'avait rejoint, elle s'en rendit compte en sentant que ses mains lui attrapaient la taille. Elle avait le dos contre son torse, sentait les battements de son cœur. D'un geste assuré, il la fit tourner.

Ils se retrouvèrent face-à-face, ayant tous les deux le souffle un peu court. Leurs yeux brillaient d'une même lueur. Nate replaça délicatement une mèche derrière son oreille avant de se pencher vers elle. Son cœur battait à tout rompre

Elle ferma les yeux lorsque leurs lèvres se trouvèrent et se scellèrent. Elle noua ses bras autour du cou du brun, se collant plus étroitement à lui.

Ce n'était plus le temps des joutes verbales, ils avaient fini de jouer. Un véritable désir s'était emparé d'eux, alimenté par la frustration qu'ils ressentaient tous les deux de ne pas se voir autant et aussi librement qu'ils le voudraient. Nate remonta sa main le long de son dos, la faisant frissonner, et d'un geste, défit son chignon. Les longs cheveux blonds de Diane cascadèrent sur ses épaules.

L'atmosphère s'alourdit, leur baiser sembla durer éternellement, faisant s'arrêter le temps.

Finalement, Diane se détacha :

-On devrait rentrer, dit-elle, en remettant ses cheveux en place. Si on nous voit...

Nate était un peu déçu, il ne comprenait pas toujours la blonde. Ne ressentait-elle pas la même chose que lui ? Pourtant, il n'en montra rien et acquiesça à ce qu'elle disait.

-Tu dois te changer ?

-Oui. Tu peux t'occuper de ranger la salle ? Il faut débrancher le poste et éteindre toutes les lumières.

Diane se rhabilla rapidement et sortit du vestiaire peu de temps après que le brun eut fini. Ils sortirent, mais Nate s'exclama :

-Je n'ai pas les clés ! On ne peut pas fermer.

-Je les aies moi, lui révéla Diane.

Elle appréhendait un peu sa réaction. Que dirait le préfet du fait qu'elle avait en sa possession les clés du studio ?

Nate braqua son regard sur elle :

-Bien sûr que tu les as. Depuis combien de temps ?

-Tu te souviens, la séance de tir à l'arc, et Zed qui avait dû partir à l'infirmerie ? Disons que je suis meilleure archère que ça en temps normal.

Elle lui jeta un regard en coin, se demandant comment il allait réagir. Mais à sa grande surprise, Nate éclata de rire :

-T'es vraiment incroyable ! Je n'ai rien remarqué !

-C'était un peu le but.

-Le pire, c'est que je n'ai pas fait le rapprochement, alors que tu allais t'entrainer pendant les vacances... Ça fait super longtemps en fait !

-J'ai évité le sujet autant que j'ai pu... Je ne savais pas trop comment tu allais réagir.

-Le proviseur me tuerait, puis me retirerait l'insigne de préfet. Sinon, tranquille, je trouve ça cool. Ma petite voleuse.

Il lui fit un clin d'œil :

-Et c'est un chouette endroit pour se retrouver rien que tous les deux.

Diane rougit.

-Ce n'est pas exactement le type d'entrainement que je venais chercher au départ.

Tout en discutant, ils étaient arrivés devant le dortoir.

-Bon, voilà, dit la jeune fille.

Elle ne savait plus quoi faire, comment se quitter. Nate s'approcha d'elle.

-Bonne nuit Diane, dit-il doucement.

Et il déposa un baiser sur sa joue, avant de rentrer dans le bâtiment.

Diane était encore toute songeuse lorsqu'elle poussa la porte de sa chambre. Astrid l'attendait, et l'accueillit avec force :

-T'étais où ? Je suis désolée pour le Prince, je n'ai rien dit, mais il est venu, et il a vu ton justaucorps... Il t'a trouvé ? Tu n'as pas eu mon sms ?

-Oui oui, répondit distraitement Diane.

Astrid écarquilla les yeux :

-Eh ben, pourquoi je m'inquiétais ? Allo Diane, on parle du préfet là !

La blonde passa dans la salle de bain, sans réellement entendre ce que disait Astrid. Elle avait déjà oublié le début de la soirée, balayé par ce qu'il s'était passé depuis.

La tressée la suivit, et se posa contre le chambranle de la porte, sans rien dire. Elle se contenta de l'observer, de son regard pénétrant.

Diane finit par se sentir gênée de cette attention persistante :

-Qu'est-ce que tu fais ?

-Je t'observe. J'essaie de comprendre.

Diane souffla, et interrompant son geste, elle rendit les armes :

-Il n'y a rien à comprendre. Juste que ce n'était pas si dérangeant qu'il me trouve ce soir.

-Il y a un truc entre le Prince et toi, dit calmement la tressée.

Son visage était joyeux, elle assemblait enfin les pièces du puzzle.

-Quoi ? Non ! Enfin je ne pense pas. On passe juste du temps ensemble, depuis les vacances. Et on parle par sms...

-C'est ça, ta nouvelle passion pour ton téléphone !

-Et je croyais être discrète, soupira Diane, levant les yeux au ciel.

-Spark va être comme une dingue quand elle va savoir ça ! Toi, et le Prince !

-Mais il n'y a rien !

Elle rougit en se rappelant leur proximité au studio.

-Rien du tout, juste des sms ! On ne veut s'afficher.

Astrid leva un sourcil et Diane compléta :

-Plus que je ne l'ai déjà fait. Et puis, c'est Nate...

-« Nate » ? Diane, sérieusement ? Tu oses me dire qu'il n'y a rien ?

-Je ne comprends plus rien, souffla la blonde, en se laissant glisser sur le sol. Je croyais que je le détestais, après tout ce qu'il m'a fait, mon début d'année chaotique. Mais ça fait quelque temps que ce n'est plus pareil, et j'adore quand on est ensemble. C'est juste... bien, je me sens bien. Ne me sors pas un truc sur l'amour et la haine, prévint-elle, en voyant Astrid ouvrir la bouche.

Celle-ci étouffa un rire :

-Très bien, je ne dirais rien. Je n'en pense pas moins.

Elle s'assit à côté de la blonde :

-Plus sérieusement, Diane, je pense que tu te voiles la face. Ce n'est pas grave d'avoir des sentiments !

-Mais ce n'était pas prévu ! Surtout pas pour lui ! Et je n'ai pas le temps pour ça !

-Eh, calme-toi la stakhanoviste. Personne ne te demande de te presser. Vous êtes bien, en ce moment. Profites-en, restez cachés, c'est très bien. J'étais pareil avec Zed, au début. C'est normal.

-Tu crois ?

-C'est toi qui vois Diane. C'est à toi de décider ce que tu veux.  


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Hello!

Nouveau chapitre où il ne se passe pas grand chose, mais dans lequel on découvre que Diane est moins sûre d'elle qu'il n'y parait, surtout lorsque cela concerne Nate!

J'espère que votre lecture vous plait toujours, à la semaine prochaine!

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