Chapitre 52

Diane fut réveillée par un bruit sourd. Son réveil indiquait 6h50.

Trop tôt pour un lendemain de soirée.

Trop tôt pour un premier jour de vacances.

Un nouveau bruit se fit entendre, suivi d'un juron.

-Désolée pour la sortie fracassante, murmura Astrid, qui bataillait avec sa valise. Rendors-toi, passe de bonnes vacances !

Diane sourit dans le noir, se retourna et se rendormit.

Quand elle se réveilla à nouveau, il n'était pas beaucoup plus tard, mais le soleil perçait derrière ses rideaux, créant une lumière tamisée dans sa chambre. Tiraillée par la faim, elle se décida à sortir de son lit. Elle se prépara sommairement, et quitta sa chambre pour rejoindre la cantine.

Encore ensommeillée, elle s'était assise à une table et effectuait machinalement les gestes routiniers de son petit déjeuner.

-Attention, tu confonds café et jus d'orange.

-Kingsley ? Qu'est-ce que tu fais là ? s'exclama Diane, reposant le sachet de sucre qu'elle s'apprêtait à verser dans son verre.

-Je m'apprête à petit-déjeuner, c'est possible ?

Le souvenir de leur dernière altercation dans ce même lieu flotta entre eux.

Diane se reprit :

-Bien sûr, c'est une cantine ici. Mais ma question portait plutôt sur ta présence même au château. Je pensais que tu partirais en vacances, au ski...

Alors qu'elle prononçait ces mots, elle se gifla mentalement. Nate lui avait dit pendant le bal d'hiver qu'il s'était blessé au ski, il était peu probable qu'il y retourne.

-Merde, désolée, je viens de réaliser...

-Ne t'excuses pas, on peut encore prononcer le mot ski devant moi.

Nate le pensait, et il était lui-même étonné de sa réaction. Il détestait qu'on aborde ce sujet en temps normal, et ses amis avaient appris à éviter le sujet. Les vacances de février étaient toujours une période délicate pour lui. Pourtant, la remarque de la blonde le touchait plus qu'elle ne l'agaçait. Elle s'était souvenue et ne voulait pas le blesser.

Il préféra détourner de lui la conversation :

-Et toi, pas de retour en France prévu ?

-Non, pas cette fois.

Diane ne s'étendit pas, et Nate respecta son silence. Tout le monde avait ses sujets sensibles. Ils finirent leur petit-déjeuner tranquillement, discutant à bâtons rompus. Leur conversation était fluide, agréable.

Au cours des jours suivants, sans se l'avouer, sans planification apparente, ils passèrent de plus en plus de temps ensemble.

Ils se rendaient aux mêmes heures à la cantine, tombant par un hasard bien réglé l'un sur l'autre sur le chemin, passant leurs repas ensemble à discuter, allongeant leurs pauses, se retrouvant le soir dans la salle commune. Ils cherchaient la moindre occasion, traquaient toutes les excuses pour se retrouver tous les deux.

Ils ne faisaient pas que parler. Parfois, la simple présence de l'autre suffisait.

Diane avait recommencé à s'entrainer au studio de danse. Elle ne le cachait pas vraiment, mais ne s'y rendait pas ouvertement, n'en parlait pas trop. Elle ne voulait pas subir ses questions, car ses réponses pourraient devenir embarrassantes. Et elle ne voulait pas gâcher les moments joyeux qu'ils partageaient.

Ce soir-là, elle était plutôt contente d'elle. Elle avait effectué toute une batterie d'exercices, et conclut son entrainement par une séance d'assouplissement, ce qui la faisait toujours se sentir bien. Elle avait cependant terminé plus tard qu'à son habitude, et quand elle pénétra dans la salle commune, Nate était déjà là.

-Oh, salut... marmonna-t-elle. J'étais... partie fumer...

-Et tu en as profité pour te balader jusqu'au studio ?

La jeune fille ne savait pas trop comment réagir, et elle resta sur la défensive :

-Comment ça ?

-Tu te balades avec un sac, juste pour aller fumer ? Ce n'est pas très pratique.

Nate s'était levé, et il se rapprocha d'elle :

-Et tu as gardé ton chignon. Coiffure de danseuse, pas ta coiffure de prédilection au quotidien.

Disant cela, le visage insondable, il leva le bras, et retira l'élastique qui retenait son chignon.

Les longs cheveux blonds de Diane cascadèrent sur ses épaules.

Un frisson électrisa le corps du jeune homme, mais il résista à l'envie de passer sa main dans ses cheveux.

-Grillée, murmura Diane.

Ils étaient toujours très proches, figés l'un en face de l'autre. Nate posa une main sur la joue de Diane. Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer, mais résista. Plantant ses lèvres d'un geste rapide sur la joue du jeune homme, elle s'esquiva.

-Je vais prendre une douche du coup !

Nate resta seul, un léger sourire aux lèvres. Autour de lui flottait encore le parfum fleuri de la jeune fille.

Quand elle redescendit, il s'était installé sur un canapé, sa mauvaise jambe étendue devant lui, un livre à la main.

-Hey.

-Hey.

Diane s'avança et se posta devant une fenêtre :

-J'aimerais tellement qu'il neige, dit-elle brusquement, rompant le silence de la pièce. Il fait froid et moche, ce serait tellement plus sympa s'il neigeait.

-J'en ai demandé au père Noël, mais la livraison a été retardée...

-T'es con, s'esclaffa la blonde, en se laissant tomber sur un fauteuil non loin de Nate. Juste un petit peu de neige, de quoi rendre le paysage tout blanc.

Son ton était rêveur et tous deux restèrent un instant silencieux, imaginant le spectacle que cela serait. Finalement Nate reprit :

-Du coup, la danse ? Tu t'entraines toute seule ?

Diane soupira. Elle allait avoir du mal à esquiver ses questions ce soir.

-Oui. Mlle Duperez en fait trop contre moi, mais elle a au moins raison sur le fait que je dois travailler plus. Je dois me remettre au niveau, je dois être la meilleure, pour moi. Et pour lui fermer la bouche une bonne fois pour toute.

-Là je te reconnais mieux, rit Nate. C'est pour ça que tu es restée au château ?

-En partie. Normalement, je rentre dans le nord, mais là, ni mes grands-parents, ni mon frère ne sont là. Et je ne voulais pas rentrer chez ma mère.

Diane préférait amplement rester au lycée que de devoir passer deux semaines seules à seule avec sa mère. Et cela aurait voulu dire ne pas danser pendant toute la durée des vacances, et ça, c'était hors de question.

-Et ton père ? demanda innocemment Nate.

Le visage de la jeune fille se ferma.

-Il est mort.

Nate regretta immédiatement d'avoir posé une telle question. Pour une fois que son statut de préfet aurait pu lui être utile.

-Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas...

-Tu ne pouvais pas le savoir...

Son regard se fit lointain, elle semblait se remémorer.

-C'était il y a deux ans. Et ça continue de faire mal, à chaque fois que j'y pense. C'est pour lui que je danse tu sais ? Enfin, c'est grâce à lui que je danse. C'est lui qui m'a fait découvrir ce monde, qui m'a accompagné à mon premier cours de danse. Il m'a soutenu pendant toutes ces années.

Tous les petits moments partagés avec son père flashèrent devant ses yeux alors qu'elle terminait sa phrase. Les galas, qu'il ne manquait jamais, les ballets auxquels il l'emmenait, sa joie lorsqu'elle avait été prise au conservatoire... Il n'avait jamais douté d'elle. Et il lui manquait cruellement.

-Je lui dois beaucoup. Ma mère n'a pas la même compréhension.

Son ton était devenu amer. Nate lui ouvrit les bras :

-Viens là.

Diane fut surprise de cette proposition, et resta figée, à le fixer.

-Tu as l'air triste, viens, dit à nouveau le jeune homme, en se penchant pour lui saisir la main.

Diane se laissa convaincre. Il l'attira contre lui, passant son bras autour de ses épaules.

-Je suis vraiment désolé pour ton père. Ça avait l'air d'être quelqu'un de bien.

Il laissa passer un temps, caressant d'un geste machinal le bras de la jeune fille.

-Et je comprends pour ta mère. Moi non plus, mes parents ne sont pas très compréhensifs.

Diane leva un sourcil. Elle ne s'attendait pas à de telles confidences. Elle ne dit rien pourtant, le laissant poursuivre.

-Ils n'ont jamais compris ma passion pour la danse. Quand je me suis blessé, le docteur a vite vu que c'était irréparable. Mon père a compris ce que cela signifiait plus vite que je ne l'ai compris moi-même. La danse, c'était terminé pour moi. J'ai vu le soulagement sur son visage. Il en était presque heureux, et ça me hante encore. Pour lui, ça voulait dire que j'allais enfin pouvoir me concentrer sur quelque chose de sérieux. De plus respectable selon lui.

Après tout, je suis l'héritier.

-Le prince, murmura Diane.

-Je parlais de manière plus métaphorique. Mais c'est l'idée. Dieu sait que je déteste ce surnom, s'énerva-t-il. Je voulais être danseur, merde !

-Je suis désolée Nate.

-Ne le sois pas. C'est comme ça.

Il détourna la tête, fixant son regard sur les flammes.

-Le feu a bien diminué, on en avait des choses à se dire, reprit-il, d'un ton plus léger.

Diane l'observa remettre un masque, le vit faire un effort pour revenir sur un terrain plus neutre.

Ils étaient tous les deux des éclopés de la vie, vivant avec leur failles et tentant de les cacher au reste du monde, prétendant aller bien pour mieux pleurer en eux-mêmes. Ils faisaient front, malgré tout.

Elle se sentit plus proche de Nate, plus qu'elle n'aurait jamais cru l'être. Elle le comprenait très bien.

Le jeune homme s'était levé, et avait pris la place qu'avait occupé Diane plus tôt dans la soirée, près de la fenêtre :

-Je crois qu'il va neiger demain.

-Tu dis ça pour me faire plaisir ?

-Non, je le sens, là, dit-il en pointant sa poitrine.

Diane rit :

-Je croise les doigts alors !

Le lendemain matin, en sortant du dortoir, Diane eut la surprise de voir que tout le campus était recouvert de neige. Tout était devenu blanc, et les flocons qui continuaient de tomber annonçaient que cela n'allait pas disparaitre immédiatement.

Éblouie par ce spectacle, elle ne put contenir sa joie, et courut à l'intérieur.

Elle fonça au premier étage, prenant à peine le temps de frapper avant d'ouvrir la porte de la chambre du préfet.

-Nate ! Nate, viens voir, il a neigé !

-Hey, j'aurais pu être nu, dit le brun, qui sortait de sa salle de bain.

-Heureusement pour moi, ce n'était pas le cas, répondit d'un ton péremptoire la jeune fille. Et on s'en fiche, il a neigé ! Tu avais raison.

Nate regardait d'un air attendri la jeune fille, touchée par la joie enfantine qu'elle manifestait face à la neige.

-J'ai bien fait de renvoyer un message au père Noël alors. Je ne pensais pas que ça te ferait autant d'effet.

-Tu rigoles ? C'est tellement magique, et tellement beau...

La jeune fille ne regardait même pas Nate, elle avait tiré un rideau pour continuer à observer les flocons tomber.

-Dépêche-toi, il faut descendre.

-Relax, la neige ne va pas s'envoler.

Elle lui jeta un regard noir.

-Je suis prêt princesse, dit Nate, écartant les bras pour lui prouver ses dires.

Une fois arrivée à la porte, Diane ne put se retenir, et courut vers l'extérieur, brisant la blancheur immaculée du tapis de neige qui recouvrait le sol.

-Allez, viens ! appela-t-elle.

-Tu m'as bousillé le genou je te rappelle.

-Faux, c'était entièrement de ta faute !

Diane riait, virevoltant et tournant sur elle-même au milieu de l'allée, appréciant chaque flocon qui touchait son visage.

Nate, qui l'avait finalement rejointe, trouvait le spectacle attendrissant.

-C'est le moment où on est censé se rouler dans la neige, avant de se rouler des pelles ?

-Je ne sais pas si je résisterais à une déclaration si romantique, déclara Diane.

-Et on voit encore l'herbe sous la neige. Et si on allait manger d'abord ?

-Là tu me parles.

La neige continua de tomber à gros flocons pendant qu'ils mangeaient, épaississant le manteau blanc à mesure qu'ils vidaient, pour le plus grand bonheur de Diane.

Alors qu'ils sortaient de la cantine, elle laissa Nate la distancer un peu. Quittant l'allée, elle alla jusque-là pelouse. Elle ramassa une bonne poignée de neige, la formant en boule entre ses mains gantées.

Nate, intrigué, finit par se retourner. Au même moment, Diane lui lança la boule de neige.

Elle visait bien, et celle-ci atterrit exactement sur la poitrine du jeune homme, le laissant stupéfait.

Diane éclata de rire :

-Tu verrais ta tête !

Nate plissa les yeux :

-Tu ne sais pas dans quoi tu t'es lancée, Diane Delcourt. Tu vas voir !

-Je t'attends Kingsley, dit la blonde, dans une attitude de défi.

Elle perdit vite sa superbe quand le jeune homme passa à l'action. Malgré son genou, il restait rapide, et il se lança de toute ses forces dans la bataille.

Les boules de neige fusaient, tout comme leurs exclamations.

Diane se releva. Elle avait épuisé ses munitions, et il ne lui restait qu'une boule de neige. Elle scanna l'espace, sans apercevoir Nate.

Derrière elle, le jeune homme souriait. Il avait réussi à la contourner sans qu'elle ne le voie. Brusquement, il passa à l'attaque et lui sauta dessus, jouant sur l'effet de surprise.

-Vengeance !

Il la plaqua au sol, la neige amortissant leur chute, et se retrouva au-dessus d'elle. Leurs regards se croisèrent, alors qu'ils reprenaient tous les deux leur souffle. Nate, doucement, replaça une mèche de cheveux derrière l'oreille de Diane. Son contact, la délicatesse du jeune homme électrisa la blonde. Son cœur se remit à battre plus vite, et se soulevant à moitié, elle plaqua ses lèvres sur celles du brun.

Un peu surpris d'abord, Nate se reprit vite et répondit au baiser. La neige avait recommencé à tomber, parsemant leur visage de flocons et créant un contraste avec la rougeur qui ornait leurs joues.

Finalement, Nate se détacha, et se laissa retomber à côté de Diane.

-On est bien ici, non ?

-Allongés dans la neige ? répliqua Diane, levant un sourcil.

-Je suis bien ici, avec toi, corrigea Nate d'un ton calme.

Diane se mordit la langue. Elle avait parlé trop vite.

Prenant la main du brun, elle la serra :

-Moi aussi Nate. Moi aussi. 


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