9. Confidences sur l'oreiller

Gwen égrenait ses déboires comme on feuillette un bon roman : l'un après l'autre, sans s'arrêter. De temps en temps, il détachait son regard de ses souvenirs et se tournait vers Gaëtane. Après un joli sourire, il lui offrait un baiser langoureux. Parfois, c'était elle qui le couvrait de baisers : dans le cou, sur le front, sur ses cheveux châtain brillants qui sentaient si bon, sur sa petite cicatrice qu'il avait sur le front.

-       Le cadeau du frère d'une de mes ex. Un fou. J'ai voulu l'empêcher de battre encore sa femme. Il m'a frappé avec une rame. Trois points de suture. Ma vahiné m'a dit que je n'aurais pas dû intervenir, que ça faisait désordre vis à vis de sa famille. Au lieu de me féliciter d'avoir pris la défense de sa copine, elle se souciait de ce qu'en penserait la famille. Et moi, je n'étais rien, vis à vis de sa famille. Pire, j'avais osé lever la main sur son frère. Alors je suis parti. Ca faisait six ans qu'on était ensemble.

Ils étaient allongés côte à côte sous le brasseur d'air, leurs doigts enlacés, leurs deux corps flottant dans l'harmonie du bonheur, malgré la chaleur, malgré la sueur. Il la regardait de ses yeux noirs profonds que soulignaient ses longs cils.  Elle lui passa délicatement le pouce sur cette cicatrice, vestige d'une rupture injuste. Elle le trouvait beau. Elle le trouvait bon. Généreux. Doux. Prévenant. Sensible.

Et vulnérable.

Tout comme elle.

Deux être bousculés par la vie, deux être qui ont vécu les mêmes douleurs, qui se comprennent, qui ne minimisent pas les souffrances. Oh qu'elle le comprenait quand il lui avoua qu'il n'avait eu qu'une envie, celle de mourir, quand sa femme l'avait chassé de la maison qu'il avait bâti de ses mains, patiemment, pendant plus d'un an. Son tort ? Ne pas avoir été propriétaire du terrain, pas assez riche pour ça. Et avoir fait confiance. Cette sorcière lui avait volé sa fierté, ses projets, et même ses deux filles qu'il avait aimées, protégées, changées et langées. Elle l'avait jeté comme un malpropre pour le remplacer par un amant et quand il avait osé lui demander de payer au moins sa part de madriers, de vis, de charpente et de tuiles, elle avait sorti l'argument massue : le prix des courses alimentaires, qu'elle avait payées pendant quatre ans, tickets de caisse qu'elle avait méticuleusement amassés, à l'appui, comme preuves qu'elle avait confiées à son notaire. Il avait eu beau lui répondre que lui aussi, il en avait payé des courses, mais il n'avait évidemment pas gardé les tickets. Qui donc, au sein d'un couple serein et confiant, garde ses tickets de caisse de crème fraîche, tomates et PQ ?

Il n'avait rien vu venir, occupé qu'il était à profiter de la maison qu'il venait de finir et de ses filles qui formulaient leurs premiers mots. Occupé à être heureux, ou du moins en avait-il eu l'illusion, épanoui dans l'œil d'un cyclone invisible. Tout comme Gaétane n'avait pas vu que Carine, déguisée en amie de plus en plus proche, ne venait pas dîner en toute amitié, mais pour être avec Stéphane, pour le mater, le domestiquer, l'apprivoiser encore un peu plus, avant de forniquer avec lui dès qu'ils se trouvaient un moment seuls, dès qu'il savait que la voie était libre, qu'ils s'étaient assurés que Gaëtane ne rentrerait pas de sitôt. Et finalement, ce qui la dégoûtait le plus, c'est que Carine faisait tellement semblant d'être gentille et attentive, et même attentionnée, s'inquiétant de son bien-être, que Gaëtane y avait cru à cette amitié. Une double trahison, corsée comme un mauvais whisky double dose.

-       J'ai envie de lui casser le nez. Juste ça, lui casser son joli petit nez, pour que toute sa vie, elle se souvienne de son ignominie. Elle ne pourra compter que sur son cul pour draguer. Manque de bol, elle a les fesses plates !

-       A ce propos, je tiens à le remercier, ton Stéphane. Sans ses saloperies, je ne serais pas en train de caresser une très jolie paire de fesses. Sans sa conception toute particulière de la fidélité, je n'aurais pas passé une si belle après-midi d'amour avec sa copine, enfin avec son ex, et je n'aurais pas pu profiter de ces câlins si agréables. Merci, merci à toi, Sté !

-       T'es con !

-       Je le sais, tu me l'as déjà dit, se défendit-il en se parant de son plus beau sourire.

Il l'observa, plongea ses yeux dans les siens, puis souligna le contour de sa figure avec son pouce. Le temps était suspendu. Il n'en revenait pas : c'est comme s'il la connaissait depuis toujours. Elle sourit. C'est comme s'il pouvait lire dans ses pensées. Et ce qu'il lit, c'est qu'elle aussi le connaissait depuis toujours.

-       Merci de m'avoir invitée, lui répondit-elle en plongeant très sérieusement son regard dans le sien. Oh merci. Je ne sais pas si je pourrai te remercier assez, lui souffla-t-elle avant de l'enlacer.

Elle voulait le réconforter, le laver de tous ses malheurs, de tout ce qu'il lui avait dit et de tout ce qu'elle ressentait au fond de lui, au fond de son cœur, de tout ce qui lui parvenait dans cette étreinte passionnée, son enfance ballottée de foyers en foyers, ses difficultés scolaires, ses déboires amoureux, ces histoires gâchées, écrabouillées, salies, et sa solitude aussi. Plus elle l'entendait parler, plus elle sentait son cœur et ses tripes se serrer : c'était ça les papillons dans le ventre dont tout le monde parlait ? A son âge, ces merveilles avaient encore l'autorisation de déployer leurs ailes magnifiques, de décoller et de colorer sa vie de bonheur ?

Elle ferma les yeux et s'assoupit, sa main dans la sienne, un sourire sur son visage : ça faisait tellement longtemps que la vie ne l'avait pas vu sourire.

Il la regarda. Il regarda ce sourire. Il sentait qu'il pouvait la regarder des heures. Il avait la certitude que tout ça était écrit. Qu'ils devaient se rencontrer tous les deux. Il n'avait jamais cru en un dieu, le destin ou une force suprême, mais devant ce sourire et ce corps assoupi, le corps de sa belle, il en était certain, c'était évident, tout ça ne pouvait pas être une coïncidence, ce bonheur-là ne pouvait pas décemment avoir été confié à l'aléa d'une rencontre à la probabilité si infime. En pensant à la chance qui lui avait été donnée au regard de l'infiniment grand des possibilités qu'offre le hasard, il souffla de plaisir. Une grande inspiration venue du fin fond de son corps.

-     C'est tout ce qui manquait à mon bonheur, lui murmura-t-il, avant de s'endormir à son tour, son souffle dans le sien, leurs mains toujours enlacées.

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