6. CARNET DE GAËTANE - 21 février 2021
Je suis super heureuse. Tout s'est parfaitement goupillé. J'appréhendais nos retrouvailles et comme d'habitude, j'aurais mieux fait d'arrêter de psychoter pour rien. Vraiment pour rien. J'ai retrouvé mon bel amant du Pacifique, je dirais presqu'en mieux. Plus beau. L'impression qu'il s'est affiné, perdu un peu de ventre. Pas qu'il était gros, mais maintenant il est mieux. C'est sûr que sur les îlots avec ses scientifiques spécialistes des tortues, ça devait pas être gratin dauphinois, tartiflette ou confit de canard tous les soirs. Vu les énergumènes, j'ai bien les l'impression que même les chips étaient bio, sans sel et sans gras. Des patates à l'eau finalement ! Ou plus sûrement du riz. Avec du poisson grillé. D'où sa silhouette longiligne ? Ou bien est-ce mon cerveau qui l'embellit ? C'est vrai que depuis que je suis revenue, je suis sur mon petit nuage, comme si j'étais rentrée à la maison. Avec des potes dans mes bagages. Des potes que Gwen appelle déjà « les copains ». Quand je pense que Sté rechignait encore à passer voir mes amis au bout de ... combien d'années ?
Mais pourquoi je compare, moi ? N'importe quoi ! Je suis avec un gentleman maintenant.
Bon, vu l'épisode « Petit Lapin », le mot « gentleman » n'est pas forcement le plus approprié. Je dirais plutôt ... quelqu'un qui s'intéresse à moi. Pour de vrai. D'ailleurs, il n'arrête pas de me poser des questions sur mon périple depuis que je l'ai quitté à Rotoava. C'est là que je me rends compte que j'en ai fait des trucs inoubliables depuis un mois : des plongées magnifiques, des rencontres super, des fiestas, de l'escalade et même de la botanique hardcore. Et même le trajet de retour de Makatea, qui aurait dû être au mieux pénible, s'est transformé en clou du spectacle. Bien qu'avec tous les clous du spectacle que j'ai eus, je peux ouvrir une quincaillerie !
On se raconte donc nos « vacances » avec Gwen, dès qu'on a un moment de libre. Ce qu'on a, vu le peu de touristes depuis le resserrage de vis pour entrer en Polynésie, nouvelle vague du COVID oblige et couvre-feu en France et dans plein d'endroits du monde. Entre des photos de tortue et ... des photos de tortue, il me raconte des anecdotes, les nuits sur les îlots, les moustiques et les naufragés qu'il a rencontrés.
- Des naufragés ? Genre Tom Hanks ? Ou Robinson Crusoé ?
Bon, c'est pas des vrais naufragés, mais on n'en est pas loin. Ou comment le paradis peut se transformer en enfer. Allez je raconte, tellement ça paraît insensé à une époque où tout le monde est connecté partout.
En allant sur un motu d'un atoll inhabité, Gwen et ses scientifiques sont tombés nez à nez avec des polynésiens qui étaient coincés là depuis plusieurs jours. Ils étaient venus pour bosser dans le coprah, c'est à dire ramasser et préparer les cocos dans les plantations, mais leur employeur s'étant fâché avec eux et il est reparti, les laissant seuls sans bateau. Et évidement, aucun réseau dans ces coins complètement inhabités du milieu du Pacifique. Il leur restait de la nourriture, mais pas pour longtemps. Si Gwen et sa bande n'étaient pas venus inventorier les tortues, il se serait passé quoi ? On peut survivre combien de temps des vertus nutritives et désaltérantes de la coco ?
Bref, ne jamais s'engueuler avec le mec qui a les clés de contact du bateau.
Et d'ailleurs, vérifier qu'il y ait suffisamment d'essence pour rentrer !
Bon, ce n'est pas près de m'arriver, vu que je ne repars plus.
A moins que Gwen soit motivé pour une petite escapade ...
A propos d'escapade, demain, j'accompagne la Kashew family au lagon bleu. D'après tout le monde (et en particulier Astou et Péné qui y ont fait les touristes), c'est « un truc de ouf tellement c'est beau ». Déjà qu'hier, la plongée dans la passe a tenu toutes ses promesses. Kate était toute excitée à l'idée de plonger avec les dauphins. Même si je lui répétais que je garantissais les requins, mais pas les dauphins, elle n'en démordait pas. Et elle a eu raison : Câline, la belle femelle, est venue se faire grattouiller le dessous des nageoires (les aisselles?). Quel plaisir de la retrouver elle aussi. J'avais l'impression que c'était réciproque. Elle batifolait au milieu de nos papouilles et de la profusion de poissons dans la lumière déclinante de la fin de journée, en lançant des petits couinements métalliques, comme des petits jappements de joie d'un chien. Câline serait donc ma Réglisse du Pacifique ?
La Kashw team est donc ressortie de l'eau plus qu'enchantée de son escale imprévue à Rangiroa et Kate arborait un sourire gigantesque sur son visage. Ils ont tellement aimé, qu'ils nous ont invités, avec Gwen, Magalie et son copain, à venir dîner sur Kashew. J'étais pas peu fière de montrer le superbe voilier qui m'a prise en stop, à mon chéri. Et puis, ça fait toujours impression, d'attendre sur la plage que l'annexe, le tout petit zodiac, vienne nous chercher. Ca a un côté grandiloquent. Et romantique aussi. Même si, j'aurais dû m'en douter, j'ai eu le cul mouillé pour toute la soirée !
C'était bizarre d'aborder Kashew en tant qu'invitée, de se faire servir à manger, mais c'est vrai que sans mon sac (et celui de Clément) en plein milieu du carré, il y avait plus de place. Après la visite pour Gwen et ses bénévoles, on s'est tous serrés autour de la table, pour déguster un tartare de thon (celui péché pendant l'épisode vomi atomique !) et une salade multicolore crudités, fruits, noisettes (la marque de fabrique d'Anne-Lise semble-t-il), pendant que le Captain n'arrêtait pas de remplir nos verres d'un rhum neozélandais qui se laissait boire. Je savourais la chaleur de la jambe de Gwen tout contre la mienne et son regard qui s'attardait par instants sur moi.
J'ai l'impression que ça a toujours été comme ça, que Gwen et moi, on est ensemble depuis une éternité. D'ailleurs, je peux prédire ses réactions, je peux savoir quand il a besoin de raconter une connerie ou me déposer un petit bisou qui se veut discret dans le cou, je peux entendre le son de son rire avant qu'il ne rie, je peux même savoir quand il commencera à être lourd ! Mais cette fois-ci, il fut dépassé par les histoires tordantes, quoique complètement sordides mais vraies, que nous a racontées Kate, à propos d'un de ses ex-job de logisticienne sur un bateau quelque part en mer rouge. Kate me fait rire. Elle a une façon de vivre la vie, toujours positive. Un peu comme Péné finalement.
L'annonce du job ne précisait rien de spécial, juste un bon salaire et le billet d'avion, pour se rendre sur site, pris en charge. C'est une fois en mer qu'elle a compris que les passagères, qui venaient des quatre coins du monde, étaient purement et simplement des putes, ou, exprimé plus poliment, des travailleuses du sexe, et que son rôle à elle était de satisfaire les exigences de ces miss, pour qu'elles soient « au top » lorsqu'elles seraient choisies pour monter sur le yacht de luxe du patron, un riche homme d'affaires, qui naviguait juste à côté. Ses anecdotes tournaient en ridicule ces nanas toutes plus belles mais aussi toutes plus jalouses et mesquines les unes que les autres. Et au lieu de s'entraider, ces filles qu'on pourrait plaindre au premier abord, se tiraient dans les pattes dès qu'elles le pouvaient. Est-ce leur salaire mirobolant qui leur donnait le droit de ne pas respecter Kate, qui s'occupait pourtant de leur moindre caprice ? Bref, Kate avait participé, à son insu (car impossible de quitter le bateau en pleine mer), à un système de proxénétisme à des fins de gagner des gros contrats, avec blanchiment d'argent en prime : salaires uniquement en liquide et primes en ordinateurs portables dernier cri (achetés avec la carte platinium de la boite, facture au nom de celle-ci à l'appui, pour défiscaliser encore plus !). Bref, dès qu'elle a pu, elle a quitté ce « pute boat » comme elle l'appelait.
- Putain d'éthique ! J'aurais pu être riche, si j'étais restée ! Depuis, les capitaines qui m'embauchent me paient au lance-pierre et me prennent quand même pour une bonniche ! Mais bon, c'était glauque quand on y réfléchit !
- T'es mieux avec nous sur Kashew, a répondu Anne-Lise : t'es peut-être pas payée, mais c'est tranquille et on a déjà vu pas mal de jolies choses. Sans compte ce qui va venir, ça a l'air assez phénoménal.
Ah oui, parce que Kashew fait route vers ... les Marquises ! Malheureusement, ce sera sans moi, Captain Cook trouve que quatre personnes, c'est le maximum sur son grand bateau. Dommage, je me serais bien vue faire la grande traversée avec eux. Et avec Gwen tant que j'y suis.
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