5. CARNET DE GAËTANE -12 octobre 2020
De retour à la maison après cette nuit magique, après cette journée ventée pleine d'eau salée et de sensations en descendant les vagues, les pieds calés sur la planche et l'aile de kite si légère, après ce repas chez Hervé et Isa, comme si rien n'avait changé, lui me lançant des regards dans lequel je vois encore de l'amour. Retour à la maison donc. Je lui saute dans les bras. Je l'embrasse fougueusement en lui disant :
- Viens, on part loin : Hawaï, la Polynésie, où tu veux, on part ensemble. On quitte tout, mais on reste ensemble.
Il ne refuse pas mon baiser mais se détache de moi pour ranger le matériel dans le garage.
- C'est compliqué.
- Non ce n'est pas compliqué.
- Allez viens, on range.
Dernière tentative, que dis-je : ultime tentative. Il a fait son choix, il ne reviendra pas dessus. Et mon désespoir et mon attachement à lui sont sûrement pathétiques à ses yeux. Il est déjà parti dans sa tête. Dans son corps. Il se voit libre dans moins d'une semaine, libre de faire ce qu'il veut, quand il veut, avec qui il veut.
Sans cette culpabilité qui le ronge.
Car c'est une partie du problème (ça et les contingences liées à la maison, aux voitures à réparer, aux impôts à payer, aux tracas quotidiens) : la culpabilité.
Me voir, c'est désormais la voir elle. Je ne suis plus la fofolle, le feu-follet, le boute-en-train, la dynamique, pétillante, je suis celle qu'il a trahie, à qui il a menti, je suis celle qu'il voit mais pas celle à qui il pense, je suis celle pour qui il est revenu et pas celle qui lui procure la chaleur réconfortante. Il nous veut toutes les deux.
– Mais je m'en fous de tout ça, de ce que tu as fait, de votre histoire, c'est du passé si tu savais comme je m'en fiche ! Je le supplie
- Mais moi, je ne peux pas.
Me voici donc à tergiverser dans tous les sens, à subir la double peine, voire la triple peine : j'ai beau lui pardonner ses mensonges et ses tromperies, ses longs mois d'infidélité, avec celle qui était une amie en plus, j'ai beau lui avoir pardonné tout ça, ravalé ma fierté, pris sur moi, j'ai beau avoir fait tout ça, après six mois de retour à la maison, il me quitte. Parce que monsieur se sent coupable. Et il me quitte, tout en étant si gentil si prévenant. Car on est toujours amis.
Je me sens prise au piège. L'air qu'il m'a redonné, il me le reprend.
– Tu mérites mieux que moi, mieux que ça.
– Parce que tu crois que je mérite ce qui m'arrive là en ce moment ? Mon état pitoyable, tous ces pleurs, cet angoisse, ce gouffre devant moi qui se rapproche ? Cette envie de ne plus rien faire ? Cette vie, ma vie que je vois disparaître ? Cette vie que j'aimais ?
Mais plus je répands ma douleur, plus je sens qu'il se félicite de son choix. Je ne peux pas lui en tenir rigueur : qui voudrait rester vivre avec une dépressive ?
Je suis donc là à me battre avec mes hauts et mes bas, ou plutôt avec mes bas et mes abysses, à tenter d'occuper les instants pour ne pas penser à samedi prochain, au moment où il va sortir de ma vie, pour en recommencer une nouvelle. Tout simplement. Comme un changement de train. Une correspondant sans fracas, tout en douceur.
Je suis là à savourer ces derniers instants, je voudrais écrire « nos derniers instants », mais je sais que dans sa tête, il n'en fait déjà plus partie. J'en suis à savourer ces moments, pourtant banals, que je trouve désormais grandioses : ce retour à la maison après le travail, les canistrelli qu'il m'impose avec le thé qu'il sert, ses étirements sur le plaid le soir et la chaleur de son corps contre le mien dans le lit, cette sensation de sécurité, de plénitude et d'apaisement, cette impression que tous mes problèmes ont disparu.
– C'est comme si samedi matin, tu me disais que tout ça c'était une blague.
– Ce n'est pas une blague. Je pars samedi.
– Je sais. Mais je n'arrive pas à accepter ce cauchemar.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top