25. CARNET DE GAËTANE -27 janvier 2021

Déjà !

J'ai quitté Sonia et son petit paradis pour revenir à Tahiti chez Simone et Rambo qui m'accueillent encore avec toute leur bienveillance et leur gentillesse.
Et leurs soirées arrosées devant le lagon.

J'ai troqué mon hamac en toile de parachute pour le leur, en coton bien épais et je continue le tri dans mes pensées, en attendant de rejoindre Péné et Astou prochainement à Moorea, l'île sœur de Tahiti, à quelques encablures de navette maritime.

J'ai toujours remarqué que les changements de lieu sont des marqueurs de temps. C'est aussi pour moi l'occasion pour prendre du recul. Et en relisant ce cahier, bercée par le léger frémissement du hamac, je me rends compte du chemin parcouru : octobre le choc, novembre la déprime, décembre l'égarement, janvier (enfin, jusqu'à maintenant) la reconstruction. Je ne suis certes pas encore guérie, mais dans ma tête, ça va mieux : j'arrive à envisager Sté comme un ami qui n'habitera plus avec moi.
J'ai écrit « un ami », mais rien n'indique qu'il voudra rester ami. Ne m'a t'il pas dit, il y a quatre mois, autour d'un rhum sur la plage à côté de la maison, qu'il étouffait avec moi ?
Je corrige donc : j'arrive à envisager Sté comme un être humain qui n'habitera plus avec moi.
J'arrive également à distinguer du positif là où je ne voyais que du noir. Ce qui est un grand pas de fait, compte tenu de mon état déplorable les jours qui ont suivi les deux fois où il m'a quittée.
J'arrive à commencer à me donner les moyens de ne pas complètement subir les événements, de ne pas être ballottée. Certes bien ballottée entre de bonnes mains qui sentent le monoï au tiaré.
J'arrive même à commencer à décider de faire de cette fuite un voyage. Même s'il est possible que je me réencroûte aux Tuamotu. Même si je refuse encore pour l'instant tout voyage solitaire.

En fin de compte, je suis encore partagée : faut-il revenir à Rangiroa auprès de Gwen ? Faut-il revenir si tôt ? Pour accompagner Rambo et Simone qui y ont prévu un week-end début février ? Pour moi c'est évident, il faut que j'aille vérifier ce que je ressens. Pour eux, Gwen était déjà conquis d'avance, il ne m'aurait pas invité chez lui, au bout du monde, par hasard, uniquement pour m'aider à reprendre pied, non, pour eux, je lui avais tapé dans l'œil. Un apéro il y a trois ans, seulement une petite heure et j'aurais imprimé des sentiments dans le cœur de Gwen ? Ou au moins une attirance. Du coup, ce serait donc à moi seule de décider ? Je ne veux pas me mettre cette pression. J'ai peur qu'en y retournant, je me mette dans une situation inextricable. 16 319 km quand même !

Et puis, je ne sais plus quoi penser de lui.
- C'est pour ça que tu dois aller vérifier. Ce serait con de passer à côté de cette histoire s'il s'avère que vous êtes faits l'un pour l'autre. Mais il faut qu'il comprenne que toi aussi, tu as des besoins.

- Mais il est super généreux avec moi !

- Il t'a offert une bague, mais est-ce qu'il s'est intéressé à ce dont tu as vraiment besoin ? Donner, ce n'est pas pour soi qu'on le fait, c'est pour l'autre. Sinon, c'est un acte égoïste. Qu'a t'il fait pour que tu te sentes à l'aise chez lui ?

Elle trouve que Gwen n'a vraiment pas fait beaucoup d'efforts : juste une sortie wake le dernier jour, pas une seule fois en un mois il ne m'a amenée sur un motu et, je n'y ai pas pensé, mais il aurait pu demander à son pote de me prêter un kite.

- Et franchement, il connaît toute l'île. T'arranger les plongées au tarif des locaux et pas des touristes, c'était la moindre des choses. Tu aurais pu t'éclater un peu plus, au lieu de passer ton temps à bosser comme lui.

- C'était un peu normal, je squattais quand même !

- Un peu je veux bien, maïs là, il exagère. L'amour oui, mais ça doit être partagé.

Simone s'énerve un peu quand elle parle de Gwen. Elle trouve qu'il risque de tout gâcher. Je ne sais pas où me mènera cette histoire avec lui, mais ce qui est sûr, c'est que j'ai gagné une amie sensationnelle. D'une telle gentillesse et d'une telle sagesse. Avec Rambo, ils forment un couple idéal, chacun existant sans l'autre mais chacun étant tellement bien avec l'autre. Le dicton « Mariage plus vieux, mariage heureux » poussé à la perfection. Sauf qu'ils ont oublié de se marier.

Elle a posé ses grands yeux verts bienveillants sur moi et ajouté :

- Attention à ne pas te renier. L'amour, ça doit être équilibré. Il doit te respecter, respecter tes exigences à toi aussi. Il ne doit pas y avoir que le travail et le sexe dans la vie. Et il n'a pas à te parler comme il le fait pour une assiette lavée avant un verre, tu n'es pas son employée !

- Tu as changé de statut maintenant, tu es la femme du patron ! Tu te marres, mais va falloir qu'il se mette ça dans le crâne, le Gwen, s'il veut que tu restes, a ajouté Rambo.

Ils ont sûrement raison.
Je vais me laisser un peu de temps. Voir si, quand son téléphone recaptera, quand il aura quitté ses îlots inhabités, s'il cherchera à me joindre, après deux semaines séparés. Voir comment je ressentirai ses messages ou le son de sa voix. Me reviennent ses paroles, susurrées dans mon oreille, après notre premier câlin : « C'est tout ce qui manquait à mon bonheur. »

Est-ce qu'un kite et des plongées suffiraient pour que je me sente épanouie là-bas ? Pour que je n'ai pas l'envie de repartir à la maison, en imaginant pouvoir naviguer, grimper tous les jours ?

Sur les conseils de Rambo et Simone, j'ai décidé de rester jusqu'à fin mars en Polynésie. J'ai contacté mes clients, un peu stressée quand même, pour leur dire que j'aurai un peu de retard pour la livraison de mes rapports. Par chance, le Covid est devenu un allié précieux, et je n'ai même pas eu besoin de me justifier. Je suis donc tranquille sur ce point.

De toute façon, je risque quoi, à rester encore 2 mois ? Au mieux, je reste auprès de Gwen. Et si tout roule, j'aviserai ensuite. Au pire, je reviens ici, à Tahiti, Simone et Rambo m'ont encore répété que je restais le temps que je voulais. Ou je me fais un petit tour dans l'archipel de la Société (il y a vraiment le choix entre toutes ces belles îles). Ou aux Marquises, Rambo a des bonnes adresses (dont celle de Mamie Jeanne qui le fournit en délicieuses confitures de goyaves). Et au pire du pire, je rentre plus tôt (mais il faudrait vraiment que le froid et l'ambiance morose confinée me manque, ce dont je doute fort !) Je n'ai vraiment rien à perdre, tout à gagner. « Profite. Vis pour toi » me répète Simone. J'essaie.

Même si c'est dur de me retrouver seule au milieu de gens qui ont leur vie bien en place, parce que ça me rend toujours triste. Ou mélancolique.
En fait, si je veux retourner à Rangiroa, c'est parce que je me dis qu'il m'attend. Il y a un endroit sur cette planète où quelqu'un m'attend. Quelqu'un qui n'attend qu'une chose : me prendre dans ses bras. Mais est-ce vrai ? Ne suis-je pas juste une opportunité, un plan cul pour un amant du Pacifique ? Que de questions !

Une respiration après l'autre.

Pour vivre.

Allez, en avant Tahiti et Moorea ! En attendant que d'autres belles opportunités se présentent.

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