21. La proposition

La conversation avait débouché par hasard sur Gaëtane. Au détour d'un méandre de la pensée, lors de cette ultime soirée qu'ils passaient ensemble, Rambo et lui. Attablés dans un snack à Rikitea, sur l'île de Mangareva , observant le mouvement d'un voilier dans ce port des Gambier en attendant leur tartare de thon tout au bout du bout du monde, dans ce confins polynésien, cette île sentinelle qui semblait monter la garde pour protéger les Tuamotu contre d'hypothétiques invasions que les descendants des révoltés du Bounty auraient pu fomenter depuis Pitcairn, Gwen avait évoqué Gaëtane. Etait-ce les fraises décorant la nappe en plastique qui lui avaient fait penser à la France, à son dernier passage au Pays, surtout celui de ses ancêtres, à cette tournée des potes dans les Alpes, au fromage si bon et pas affreusement cher comme ici, et surtout à cette virée en Corse chez Lesia, ses quelques jours de véritables vacances quand il avait enfin réussi à glisser sur des eaux aussi translucides que sur son atoll, l'aile du kite bien en l'air et la plénitude figée sur son visage. Il se souvint que c'est Gaëtane qui lui avait partagé ses bons plans aquatiques corses : où aller prendre les cours de kite et où aller enfiler ses palmes et son masque pour aller tâter du poisson. Gaëtane, la copine de Lesia qui s'avérait être également une vieille copine de fac de Rambo, ce grand brun baraqué à la chevelure frisottante que tout le monde connaissait sous ce sobriquet. Le monde était petit et il partagea cette réflexion avec Rambo, trouvant insolite d'évoquer une connaissance commune, attablés à la frontière de l'empire français.

- Ah Gaë ! Ca ne va pas fort pour elle en ce moment, avait confié Rambo.

C'est comme ça que Gwen avait su. Et qu'il avait de suite contacté Lesia pour proposer à Gaëtane de venir se changer les idées aux Tuamotu. Comme quoi, ça tient à si peu de choses, finalement, le destin. Un rouage grippé dans le mécanisme et rien ne s'enchaîne. Quelle aurait été la suite de l'histoire :

Si quelques jours avant, Gaëtane, ne s'était pas botté les fesses dans un élan de dynamisme à la méthode Coué, pour contacter ses bons copains exilés dans des îles tropicales, leur expliquer brièvement la situation et leur demander s'ils avaient connaissance d'un bon plan pour partir naviguer d'îles en îles, histoire de se changer radicalement les idées ;

Si Gwen et Rambo n'avaient pas participé, ensemble, à cet inventaire de tortues sur les atolls des Gambier et plus précisément n'avaient pas fait partie de la même équipe qui partait en campagne à ce moment-là ;

Pour revenir plus loin dans le temps :

Si Gwen n'avait pas renversé sa bière sur Rambo au bar du buffet clôturant une conférence sur les tortues à Papeete, au milieu des années 2000, à laquelle Gwen avait assisté presque par hasard lors d'une escale à Tahiti, avant de remonter dans l'avion qui le ramenait aux Tuamotu et s'il n'avait pas proposé de lui payer une autre bière, mais cette fois dans un bistrot digne de ce nom, qui ne servait pas que de la Hinano ;

Si Rambo n'avait pas rompu son contrat de travail en France, un job bien payé mais qui ne le destinait qu'à une carrière ronflante, pour tenter sa chance en Polynésie, eldorado et farwest des expéditions tropicales, en tant que guide nature (option aventure) ;

Si lors de l'escale de Gwen chez Lesia, celle-ci n'avait pas pensé à Stéphane et Gaëtane pour lui indiquer les bons spots de kite du sud Corse ;
ou si ce jour-là, Gaëtane avait été accaparée par une réunion fleuve comme elle en avait parfois et de plus en plus souvent, et n'avait pas pu rentrer pour l'heure de l'apéro et trinquer avec Lesia et son copain de Polynésie ;

Si la tante de Rodolphe n'avait pas offert à son neveu préféré une jolie somme d'argent pour Noël ;
s'il avait acheté avec une TV écran plat plutôt qu'un billet d'avion pour la Polynésie ;
s'il avait choisi d'aller plonger sur une autre île des Tuamotu ;
s'il avait choisi de faire des études de vétérinaires plutôt que d'ostéopathie ;
si Gwen n'était pas venu plonger ce jour là ;
s'il n'avait pas parlé de son mal de dos récurent à son compagnon de palanquée, un certain Rodolphe ;
si pour le remercier de cette manipulation improvisée sur la table du centre de plongée, Gwen l'avait payé plutôt que de lui proposer de venir loger gratuitement quelques jours chez lui ;
si finalement, ils ne s'étaient pas entendus et si Rodolphe n'avait pas eu quelques mois devant lui pour rester aider Gwen à lancer sa nouvelle pension ;
si, de retour en France, Rodolphe n'était pas tombé amoureux de Mattea, la sœur de Lesia,
et si au détour d'une conversation téléphonique, Rodolphe n'avait pas évoqué que Lesia habitait toujours en Corse et qu'il pourrait sûrement squatter chez elle s'il voulait y passer des super vacances qui le dépayseraient un peu des Tuamotu, mais pas tant que ça;

Et si finalement Rodolphe avait été homo ;
Ou prêtre ?

Gwen aurait vraisemblablement passé sa dernière soirée aux Gambier, en savourant tranquillement la fin de cette mission d'inventaire qui lui avait fait découvrir de nouvelles îles de Polynésie, toutes plus étonnantes et belles les unes que les autres. Il aurait sûrement fini la soirée en faisant la tournée des bars ou plutôt des snacks, essayant de draguer les trop rares jolies filles célibataires de l'île, en usant et abusant de son sourire charmeur.

Au lieu de ça, et à cause de tout ce qui précède, dès que Rambo eut fini de raconter ce qu'il savait des malheurs de Gaëtane, Gwen commença à échafauder des plans dans sa tête, avant de contacter Lesia, malgré la connexion internet poussive , écourtant sa grasse matinée à elle (que ne faut-il pas faire pour les amis ?) C'est qu'il était mu par le souvenir de la silhouette de Gaëtane : une petite nana, fine, avec des cheveux ramassés dans une queue de cheval sophistiquée qui, un fois détachés, devaient certainement descendre jusqu'aux fesses, fesses qu'il trouvait parfaites ainsi moulées dans ce petit short en jean. Des fesses qu'il aurait bien caressées ...

Plus tard, Gaëtane, en riant, épluchera le carnet sur lequel il notait ses stocks de tiarés, à la recherche de la liste des filles qui lui avaient tapé dans l'œil, liste qu'elle baptisa « nanas à inviter au cas où ». Il fera semblant de s'offusquer, arguant qu'elle pouvait toujours chercher, il n'y avait aucune liste, que ce n'était pas son genre. C'est vrai qu'elle ne trouverait jamais rien : il n'avait jamais écrit cette liste, elle restait simplement gravée dans sa mémoire. Ou un peu plus bas.

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