2. Raisons, Ribambelle, rupture et Reborn
Gaëtane était donc déprimée.
Pire : dévastée, anéantie, abattue, apathique, avachie, amorphe et tous les synonymes qu'on peut trouver.
À cause d'une rupture.
Ce qui était étonnant pour deux raisons.
La première : qui connaît Gaëtane ne s'imagine absolument pas qu'on puisse l'associer à la ribambelle de synonymes. Ou alors à la forme négative. Mais quel serait l'intérêt de dire : « Tiens, Gaëtane n'a toujours pas été dévastée depuis que je la connais » ou alors « Gaëtane n'est vraiment pas apathique ce matin », sans compter l'inévitable « Gaë, ne voudrais-tu pas être un petit peu amorphe de temps en temps ? ». Parce que Gaëtane est une fille forte. Et elle l'a toujours été. Du plus loin que je m'en souvienne, peut-être même avant qu'elle ne pousse son premier cri, elle était déjà dynamique, persévérante, bouillante, téméraire, casse-cou, entière, têtue, jusqu'au-boutiste. Pas un abcès qui n'ait été crevé. Pas une seule concession lâchée. Des points sur les i, des quatre vérités, des vérités en face, des revendications, des manches retournées, zou, allez allez, hop hop hop ! Du coup, je rajoute le mot « fatigante » et j'assaisonne le tout de points de suspensions qui évitent une longue liste d'adjectifs qui pourrait commencer par « chiante ».
Je pourrais noircir des pages des aventures de Gaëtane la justicière depuis l'école primaire, jusqu'à ... ben jusqu'à dernièrement en fait. Ca fait peut-être sourire que j'évoque l'école primaire, mais un sage aurait pu dire que c'est là, dans le centre névralgique de l'enfance, dans le petit monde limité par la sortie du village, c'est là que tout commence. Que les caractères s'affinent. Et pour elle plus particulièrement : se forgent. Dans de l'acier trempé.
Bref, Gaëtane est une fille de caractère. Comme on qualifie un fromage affiné très longtemps. Forte donc.
La deuxième raison (pourquoi c'est étonnant, cette Ribambelle de Synonymes à son endroit), c'est qu'elle ne s'attendait pas à cette rupture.
Rupture oui, mais pas à ce moment-là. Et pas comme ça.
En fait elle l'avait déjà eu cette rupture. Elle avait déjà vécu le cœur qui se déchire, le corps qui souffre, les larmes qui pleuvent, la respiration qui ne veut plus, et la mort qui voudrait se faire une place, s'installer sur le canapé au milieu des coussins en pagaille, s'emmitoufler dans le plaid froissé, se tapir dans la boite de mouchoirs déjà presque vide, se glisser entre les assiettes et les couverts sales qui attendent depuis des jours d'être briqués, se poster devant les volets à peine entrouverts ou la brosse à cheveux qui se couvre de poussière.
Être ou se croire (forte). Toute une différence. Tout un monde, en définitive, entre ces deux mots.
Elle avait déjà eu sa Rupture, la bonne grosse et vraie Rupture, celle qui se prend au sérieux, celle qu'il est très difficile de ne pas prendre au sérieux quand on n'est ni Bouddha ni philosophe aguerri. Et que ça se déroule en plein confinement, avec 1 km de liberté et personne, à part la caissière, à qui se confier. Elle avait pardonné (son premier lâcher-prise ?), elle avait donné une seconde chance (sa première concession ?) et elle avait fait comme si de rien n'était (sa première hypocrisie ?). Et après quelques mois de rabibochage, alors que la vie avait retrouvé son cours, qu'elle pensait que le pire était passé, et qu'elle se demandait même comment elle avait pu se mettre dans de tels états pour un mec, voilà qu'il remettait ça.
Et qu'il remettait au goût du jour ce que nous rabâchait si souvent notre vieille tante un peu aigrie : « Rien n'est jamais acquis ». Qu'on pourrait compléter par « On est toujours tout seul finalement ».
Sauf que cette fois-ci, c'était une rupture réfléchie, organisée, planifiée. Une rupture avec préméditation et avec postméditation : une date de départ, imposée, près d'un mois plus tôt. Ce sera le samedi 17 octobre 2020. Le 17 octobre ! Funeste commémoration de ce massacre ignoble qui ternit l'image de la France 59 ans plus tôt. Cette rupture devra donc se faire toute petite, comparée au souvenir du carnage orchestré par l'Etat sur les ponts de Paris. Cette rupture, qui devra se faire minuscule, prendra pourtant toute la place dans la vie de Gaëtane. Dès qu'elle fut formulée, cette rupture (en minuscule) commença à ronger le cœur de Gaëtane. Le corps aussi. Et le cerveau. Et les tripes.
Restait donc un mois pour se quitter, pour dire tout ce qu'on n'a pas eu le temps de dire et surtout pour se dire adieu.
Un mois d'espérance de vie commune.
Sans rémission possible.
Et avec des effets secondaires immédiats (les tripes, le cerveau, le corps, le cœur).
Alors quoi ? Encore un roman de rupture ? Aussi difficile, étonnante, dramatique, Minuscule (avec une majuscule), lancinante soit-elle, doit-on s'éterniser sur une rupture ? Qui a envie de lire des pleurs, de la rage, de la haine peut-être ? Qui veut lire de la rédemption, du pardon, de la souffrance ? Encore une histoire dépressive par ces temps de crise sanitaire, économique et climatique ?
Non, non, non ! Si je me permets de raconter cette histoire qui commence par une rupture, c'est que certes, il s'agit d'une rupture, mais il ne s'agit pas que d'une rupture. Parce que Gaëtane ne le sait pas là tout de suite, mais, loin d'être la fin de son monde, ce que lui offre Stéphane (qu'un électricien aurait pu appeler le rupteur, qu'un avocat aurait pu appeler mon client s'ils avaient été mariés, qu'une association féministe aurait pu appeler le salaud, et que j'avais pris l'habitude d'appeler mon beauf), c'est un nouveau départ, un nouveau souffle, et une très belle revanche, même s'il ne s'agit pas de revanche à proprement parler. Plutôt un rebondissement. Une nouvelle vie. Encore plus belle. Revigorante. Une renaissance.
Ou pour faire plus vendeur : Reborn.
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