19. CARNET DE GAËTANE - 9 janvier 2021
Bilan après 1 mois en Polynésie
(Je profite d'une pause dans le hamac. J'ai fini de passer la tondeuse, les filles sont allées faire leur baptême de plongée et Gwen est parti rencontrer un client potentiel pour son monoï ou sa confiture. J'ai pas tout compris, mais je sais que j'ai deux heures de libre devant moi.)
Maître mot de ce bilan : être honnête avec moi-même. C'est Simone qui m'a conseillé de le faire ; je vais essayer de ne pas tricher !
J'ai bien fait de partir. Pour Rambo, pour le climat, pour Gwen. Peut-être un peu aussi pour le dépaysement, pour le changement complet de mon état d'esprit, pour la solitude enfin terrassée ... Mais tout est lié, en fin de compte.
1/ RAMBO
C'était un bon pote, c'est devenu un super pote. Je ne m'attendais pas à un accueil aussi excellent, ni aussi attentif. Simone et lui ont été aux petits soins pour moi. Ils ont non seulement pris du temps et essayé de m'aider avec leur psychanalyse vin/pota, mais aussi ont fait en sorte que je me sente chez moi, que je fasse partie de la famille. C'est vrai que leur maison est extraordinaire et qu'elle est idéalement située, mais c'est grâce à leur attitude que mon exil a bien commencé. Et je ne sais pas si sans cette escale, qui m'a permis de tout déballer et d'ouvrir les yeux, je me sentirai aussi bien chez Gwen.
Simone est une personne magnifique. Lumineuse. Je suis heureuse que Rambo l'ait trouvée. Ils sont si beau tous les deux. Une évidence !
J'ai hâte de la prochaine psychanalyse (faudra juste réduire la quantité de vin, sinon mon foie ne supportera pas!)
2/ LE CLIMAT
J'adooooore ! Chaud mais pas étouffant, humide mais pas l'étuve. Les soirées à la température idéale. Et surtout ces odeurs de fleurs partout !
Vu le temps pourri en Corse, je n'ai rien loupé. Peut-être une virée ski de rando, mais pas sûr que le manteau neigeux soit bien stabilisé. D'après Léa, les belles photos de soleil/neige/montagne, reçues par les potes pour le jour de l'an, sont un peu exagérées et ne reflètent pas le froid et la pluie. Aucune envie de devoir enfiler des chaussettes, des chaussures qui serrent et un pull. Sans compter le K-Way ! Vive les tongs ! Mes pieds me remercient.
Mais je ne me sens pas vivre là, sur cette toute petite île plate, où tout se sait et où il n'y a pas grand-chose à faire.
Pourtant plus je côtoie Gwen, plus il me plaît. Carrément. Sa façon d'être. Sa générosité.
Oups, j'ai déjà entamé le point 3/ !
3/ (donc) : GWEN
Mon sauveur.
C'est peut-être un peu trop fort, comme mot.. Ma lumière ? Mon bien-être ?
Bon OK, il est parfois très chiant et il ne lâche jamais rien. Et quand j'écris jamais, c'est jamais.
Capable de me faire une remarque sur un ton perfide parce que j'ai osé commencer à laver les assiettes avant les verres lors de la corvée de vaisselle, qui du coup risquent de prendre le gras des frites de Uru* (c'est gras mais qu'est-ce que c'est bon le uru !). Il a raison sur le fond. Quoiqu'étant donné la quantité d'assiettes, je vais être obligée de laver toute la vaisselle dans plusieurs bains de toute façon. Mais franchement, un petit bisou dans le cou EN me prodiguant son conseil, ce serait pas mieux ?
Capable de me prendre la tête parce que j'ai cassé la tige d'une fleur dans un collier que je suis en train de fabriquer pour des clients qui vont arriver, alors qu'il suffit de la couper, la tige, et de reproduire un peu plus loin le même motif, pour qu'on ait l'impression que justement, l'alternance de fleurs avec et sans tige, c'est fait exprès, ça rythme le collier. D'autant plus que les touristes, c'est sûrement leur premier collier de fleurs, du coup, il vont sûrement être très touchés par cette attention, et, au pire, ils seront envoûtés par l'odeur du tiaré. Alors, de là à ce qu'ils remarquent que ce collier magnifique est un peu étonnant et, c'est vrai, il a raison, peu courant, juste parce qu'au septième alignement de trois fleurs, il manque une tige ... Non vraiment, là aussi, la remarque emmitouflée dans un câlin forcément très tendre à cause de l'envoûtement par l'odeur des fleurs, j'aurai préféré. Même si ça nous aurait mis en retard pour aller chercher les clients à l'aéroport (en retard et avec un collier bancal, je pousse le bouchon un peu trop loin pour sa rigidité !)
Et je ne parle pas de la toute petite étiquette collée sur une orange qui s'est retrouvée dans le bac à compost par inadvertance, et qui, à entendre le ton grave et dépité de Gwen, est responsable du changement climatique ! D'autant que le contenu du bac allait finir sur un tas de plusieurs mètres cubes ! Ce qui a fait lâcher à Astou ce jugement : « Ton mec, là, il ne serait pas un tout petit peu maniaque ?
- Ou le syndrome du vieux célibataire peut-être ? » avait renchéri Péné, jamais en reste quand il s'agit de se marrer.
C'est vrai que cette étiquette risquait de sérieusement entraver la croissance de ses bananiers. ! Et si jamais elle se retrouvait à pousser sur une banane ? Elle n'était même pas à l'effigie de la pension, cette étiquette ! Inadmissible !
Il y a aussi eu l'épisode des étiquettes justement, à coller sur les pots de confiture de tiaré et de monoï qu'il fabrique. Pas assez horizontales à son goût. Péné a menacé d'aller chercher l'équerre. Ce qu'il fit, le bougre !
- 1 mm d'écart avec l'horizontale ! avait triomphalement clamé Astou.
Il s'est quand même énervé : 1 mm, un tout petit millimètre, c'était trop ! On a eu beau argumenter sur l'aspect artisanal que ça conférait au pot, il n'y a pas eu moyen : il a fallu tout refaire. Parce que quand même : « c'est moche, c'est pas professionnel et il est hors de question que je vende ça à mes clients » (tout ça sur un ton exaspéré).
Moi ça m'a saoulé grave, mais les filles, elles s'en fichaient. Il veut qu'on refasse : on refait. C'est du boulot qu'on ne fera pas ailleurs. Et puis surtout, ça leur donnait une nouvelle occasion de se marrer. « Ouh là là, ce monsieur aime la précision ? », s'était amusée Astou, une fois Gwen parti. « J'espère qu'au lit, il est à 1 mm près. Dès fois, ça peut suffire pour passer à côté », avait-elle ajouté avec un clin d'œil.
Donc oui, il ne lâche jamais rien. Et il le fait remarquer. Et pas toujours très gentiment.
Mais à côté de ça, à côté de ce gros point noir qui fait quand même bien mal à mon petit cœur parfois, Gwen est altruiste. Pour de vrai. J'ai rarement vu des gens comme lui. Bon (puisque j'essaie d'être honnête ici), il n'est pas le seul non plus. Mais quand c'est ton amoureux qui est altruiste, ben c'est très très agréable. Et j'en suis vraiment fière. Et ça me remplit le cœur de joie.
Quant à son sourire, il est si craquant ! Je ne sais pas finalement si c'est sa bouche ou ses yeux qui pétillent, mais quand il sourit, quand il se transforme en cet être magique, je me demande comment le monde peut rester indifférent. Même le Père Fouettard, il pourrait le retourner !
Finalement, plus que nos nuits, que dis-je nos moments d'amour, nos caresses et nos étreintes exaltées, ce qui me plaît, c'est ce qu'il a au fond du cœur. Il ne l'avouera pas, il fera l'idiot, se prendra pour un ado de 12 ans, essaiera de masquer sa gêne par une blague pourrie, mais au fond de lui, ce qu'on trouve, c'est vraiment chouette. J'écris chouette pour ne pas recopier toujours le même vocabulaire de beau, magnifique, craquant, gnagnagna, comme les fans. Même si là, c'est vrai je suis fan (pour être tout à fait honnête).
Et sa façon de vivre, me plaît aussi : une pension tout le temps ouverte, avec toujours du monde, des gens de passage, des clients, mais surtout des voyageurs qui ont plein d'anecdotes à raconter, des bons plans à partager ou des recettes à goûter. Depuis que je suis ici, je n'ai jamais eu envie de regarder un film, j'ai très rarement eu le temps de me poser pour lire un livre, et j'ai du mal à écrire sur ce carnet (bah, pourquoi me mettre la pression de toute façon ? Personne ne le lira. Peut-être même pas moi !). Dans cette maison du bonheur, ça discute et ça rit tellement, que je passe mes soirées sous le faré autour de la grande table ou calée sur un fauteuil. Moi qui ai toujours voulu ça, je suis comblée.
La vie avec Sté, ses week-end et ses vacances planifiés, certes pleins de sensation et d'aventure, mais finalement avec si peu d'imprévus, sans parler de sa capacité à se plonger tous les soirs dans ses romans ou dans un film, tout ça c'est si loin de moi. Alors qu'ici ...
Je sais pourtant que je ne pourrais pas rester. J'en pleure parfois.
C'est fou : jamais je n'aurais parié, il y a deux mois, être capable de ressentir ça. Me torturer l'esprit pour un autre que Sté. Oui, je peux désormais lui dire merci, à Sté. Grâce à ce qu'il m'a fait subir, j'ai l'impression de vivre, enfin. Les journées ici passent vite, trop vite. J'ai l'impression de ne rien faire, mais je vis. C'est assez hallucinant d'écrire ça, mais si rien ne s'était passé, si Sté ne m'avait pas plaqué (comme un gros c....), jamais je ne serais venue me perdre ici, jamais je n'aurai rencontré Gwen, ou du moins pas dans ces conditions, je serais venue pour des vacances organisées, avec un passage expédié en trois jours sur cette île, je n'aurais jamais pris la main de Gwen, celle qu'il m'a tendue pour me sauver puis pour m'aimer et je n'aurai donc pas connu cette bouffée de vie. Car oui, Gwen m'a rendu à la vie. Même mieux, il m'a réveillé de mon sommeil de Belle au Bois Dormant, ronflant dans mon train-train depuis tant d'années. J'ai l'impression de vivre le dernier chapitre du roman de ma sœur (avant l'épilogue). C'est fou. Elle avait pourtant prévenu le lecteur, dès le tout début de l'histoire, à propos des cactus et des aigles : qui imite qui ? L'aigle ou le cactus ? L'héroïne ou l'écrivaine ? Est-ce moi qui m'imprègne de l'histoire du roman ou est-ce mon histoire qui était écrite d'avance ?
Bon, je perds le contrôle de ce bilan, là ! Recentrons-nous (au cas où Simone lise ces lignes. Bonjour Simone !)
Gwen ...
Plus qu'une semaine ! Une toute petite semaine. Parce qu'il doit partir pour ses p... de tortues. C'est vrai que c'est beau, une tortue, surtout quand ça vole sous l'eau. Mais c'est moins bien quand ça me vole mon amoureux ! Je serais jalouse d'une tortue ?
Je sais qu'au fond de moi, j'appréhende cette séparation. Ce type me plaît plus que je ne le croyais. Que faire ?
Évidemment, je pourrais considérer revenir ici après son épisode tortues. Mais (toujours cette exigence d'honnêteté), si je tourne en rond dans sa pension, je vais vite craquer quand même, non ? Pas sûre que je puisse vivre que d'amour et d'eau fraîche !
° Essayer de me trouver un kite sur le bon coin à Tahiti. Mais pas gagné à Rangi : trop mal orienté par rapport aux alizés. Pourtant, au loin, dans le lagon, il y a du vent. Trouver un bateau qui pourrait me déposer au milieu du lagon ? Demander à Mielman quand il va sur un îlot du lagon ?
° Essayer de me trouver un plan pour aller grimper à Makatea. D'après Gwen, c'est six heures de bateau à moteur et c'est super beau. Ca avait l'air, sur la vidéo, l'escalade au dessus de la mer. Ils louent du matos là-bas ? Ils louent des compagnons de grimpe ?
Ai-je d'autres solutions pour rester avec lui sans renier mon besoin de sensations ? Parce que c'est clair : j'ai carrément envie de rester avec lui.
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* Uru = fruit de l'arbre à pain
J'espère que ce retour de Gaëtane et de son carnet vous ont plu. Si c'est le cas, n'oubliez pas de voter. Merci.
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