18. Poissons, Potins et Lapin
- Accélère, accélère !
Gwen traduisit les signes de main de Gaëtane pour Mielman, son ami qui monta les gaz sur le bateau, pendant que Péné filmait la session wake sous les commentaires d'Astou. Un écart du bateau et tout le monde pouffa quand ma sœur fit une cabriole. Mielman ralentit, la passe retrouva sa tranquillité, l'eau se lissa à nouveau.
- Elle est bien foncée, l'eau. T'as pas peur de te faire manger la jambe par un requin ? demande Astou, lorsqu'ils rejoignirent Gaëtane et sa planche.
- Y'a des requins ici aussi, s'inquiéta Péné qui venait de passer dix minutes dans l'eau.
- Bien sûr. Comme dans la passe de Tiputa. Tu verras, tout à l'heure !
- Du coup, tu continues Gaë ?
- Bien sûr, c'est trop bon !
Cette sortie proposée par Mielman, l'apiculteur de l'île, était tombée à point. Cela faisait quelques jours que la chaleur écrasait tout le monde et le travail à la pension était devenu difficile, sans compter les tensions qui s'étaient exacerbées. Le sourire de Gwen lui faisait toujours autant d'effet, mais Gaëtane se languissait de plus en plus.
Cette journée aquatique (wake, puis palme-masque-tuba dans la passe d'Avatoru), avec pique-nique au lagon vert, la magnifique plage de sable blanc sur le motu juste à côté, fut une véritable bouffée d'oxygène. Quel bonheur cette réglementation qui oblige à être trois minimum sur le bateau pour faire du wake (un qui conduit, un qui s'amuse et un qui surveille) ! La vie sur cette petite île pouvait donc être réellement sensationnelle, sans galérer des semaines pour apprendre à surfer les belles vagues qui s'écrasaient sur les rochers ni sans investir toutes ses économies et bien plus dans un catamaran habitable ? Mielman avait eu besoin de gens pour l'accompagner en wake et les sourires de la triplette, croisée quelques jours plus tôt, l'avaient décidé à solliciter Gwen et ses bénévoles (moyennant partage de l'essence, ce qui était somme toute normal, mais finalement très commun sur ces îles où un franc pacifique est un franc pacifique).
Après la tuerie du pique-nique à base de tartare de thon sauce miel (évidemment), la pêche dans la passe fut aussi prolifique que magnifique : le zodiac accroché à la main, ils se laissaient dériver dans le courant devenu fort le long d'un tombant décoré d'une multitude de coraux où batifolaient des poissons peu farouches et des requins. Enfin, Gaëtane goûtait aux plaisirs de ces îles tropicales ! Arrivés dans les eaux plus profondes du lagon, le petit moteur bravait difficilement le courant et ses remous pour revenir jusqu'au delà de l'îlot qui colorait la passe de ses eaux turquoises, et où trônait une jolie maison dont elle se serait bien vu propriétaire (tant qu'à habiter sur une petite île, autant choisir un îlot entouré d'un tombant poissonneux). Puis, ils sautaient à nouveau dans le garde-manger, munis pour les uns de leurs yeux pétillants derrière leurs masques, pour les autres de leurs fusils harpons qui rempliraient le frigo et garniraient le barbecue du soir.
La soirée, fut, comme prévu, épique et succulente. Après une insistance qu'on peut aisément garantir 100 % balourd, Astou finit par convaincre Gwen qu'ils seraient mieux installés au bord de l'eau pour prendre ce repas qui venait justement de l'eau. Les chaises et tables dressées sur le sable et sous les étoiles, la hache de guerre de l'apéro put être déterrée. Les positions de chacun sur la planche purent alors être savamment décortiquées, analysées et largement raillées dès le premier verre (un ti punch au rhum local, dont le goût assez, comment dire, « particulier », fut amélioré par la saveur des citrons du jardin et la douceur du miel de Mielman). Ensuite, c'est le barbecue qui fut de la fête. Les rougets, si faciles à piquer au harpon car si peu farouches, avaient une chair si tendre qu'elle fondait sous la dent et les nasons, véritables licornes piscicoles, relevaient à merveille le plat de patates douces. Les bananes flambées au rhum local, avec leur coulis de fruits de la passion, vinrent signer le bouquet final.
Cette journée bien remplie fut de celles que Gaëtane espérait, tout comme elle espérait aller plus souvent plonger avec Gwen ou faire un tour de paddle avec lui. Partager des délires avec Péné et Astou, c'était bien, mais partager les activités qu'elle aimait avec son amoureux c'était mieux.
Pour être tout à fait honnête, ils étaient déjà allés tous les deux faire des tours de paddle au coucher du soleil, mais soit elle n'avançait pas assez vite au goût de monsieur, soit le tour en amoureux se finissait chez Christine, une vieille amie à lui, certes très gentille, chez qui on pouvait presque voir le soleil se coucher depuis la petite terrasse en bois, mais aussi, et plus sûrement, adepte des potins de l'île autour d'un verre de pastis. Si c'est drôle de connaître des anecdotes sur celui que l'on aime, ça l'est franchement moins lorsqu'il s'agit des détails intimes et sordides de la rupture d'un inconnu, dont la probabilité de rencontre dans les jours suivants est au moins aussi élevée que celle d'un mec qui tire la gueule dans le métro parisien. Etait-ce le travers inévitable d'une vie dans une si petite communauté ?
Quoiqu'il en soit, cette fois-ci, il fût question de trouver Charly, ou du moins qui était allé manger chez qui pour le nouvel an. A cette occasion, elle se remémora la soirée bizarre chez les amis de Gwen, sa lutte contre l'envie de dormir dans le hamac qui lui tendait les bras, derrière cette table vide mais pourtant dressée avec une dizaine d'assiettes. Si on lui avait dit, deux mois plus tôt, qu'elle devrait lutter contre le sommeil et pas pour le trouver, elle aurait même signé pour les potins de l'île !
En regardant Gwen jouer à qui mange et boit chez qui et quoi (« du champagne, tu te rends compte, au prix de la bouteille ici, ils ne se sont pas foutus d'eux ! »), elle se souvint de ses bras autour d'elle, alors qu'ils s'étaient éclipsés de leur soirée, prétextant le feu d'artifice, qu'elle abhorrait pourtant en temps normal (mais son voyage n'avait pas été conçu sous le signe de la normalité). Calés sur l'herbe, assis enlacés devant le lagon, ils regardaient la belle bleue puis la belle verte et la belle jaune se refléter sur l'eau lisse, et enfin le bouquet final, clou du spectacle dont on espère toujours qu'il sera le plus long possible, relayant à néant toutes les fusées qui ont été lancées avant. Après les applaudissements, il salua quelques personnes, ce qui permit à la fois d'officialiser leur couple et d'alimenter la rubrique potin de Radio Cocotier, où chacun pourrait à tour de rôle se charger de transmettre l'événement à qui voudrait bien prêter une oreille (et même s'il ne le voulait pas), après l'avoir bien évidemment amplifié et déformé comme il se doit (on ne saurait déroger à la tradition) et compléter les informations essentielles que le tout Rangi ne tarderait pas à se poser dans les prochains jours : qui était cette fille ? D'où venait-elle ? Quand était-elle arrivée ? Allait-t-elle rester ? Quelle particularité avait-t-elle (si possible désobligeante) ?
Christine, tout en servant un deuxième pastis, se mit à parler des contrôles de gendarmerie, qui proliféraient depuis Noël. Impossible d'y échapper, sur ce paradis pour un flic affecté à la circulation : une seule route sur cette bande de terre de deux cent mètres de large et pas une seule piste pour contourner. Souffler dans le ballon semblait donc aussi commun que de manger du poisson ou de la coco sur ces îles et celui qui avait un peu trop bu devait soit se faire ramener (affalé à l'arrière d'un pick-up), soit cuver sur place, soit se rendre à la soirée avec son bateau. Mais le contrôle ne se limitait pas à l'alcool et la vitesse. On aurait beau croire que tout se sait sur cette île minuscule, puisque c'est déjà le cas en Corse, dont la superficie et la population doivent être au moins mille fois supérieure, mais non, il fallait aussi montrer ses papiers.
- Non mais tu te rends compte ! Ils ont failli nous mettre une prune parce que je ne trouvais pas mon permis ! C'est moi qui lui donne des cours particuliers à son fils ! Toi au moins, tu n'aurais pas eu ce problème, ajouta Christine en adressant un clin d'œil à Gwen. Tu lui as raconté ?
- Raconté quoi ? interrogea Gaëtane, qui sortit de sa torpeur, entre ses rêves de hamac et les vapeurs du pastis.
- Son contrôle de gendarmerie. Mémorable. Je peux ?
- Fais toi plaisir, lui répondis Gwen, avec la moue de celui qui fait semblant d'être exaspéré mais qui, au fond de lui, est fier qu'on relate ses exploits.
- Je me permets, vu que c'est toi-même qui me l'as raconté. Alors voilà, il était avec, euh ... comment elle s'appelait déjà ? La copine que tu avais ...
- Peu importe, coupa Gwen, gêné qu'on évoquât une de ses conquêtes antérieure devant la nouvelle.
-Oui bon, tu as raison, on s'en fiche. Alors il se fait arrêter par Jeanne, la gendarmette un peu forte, qui venait d'arriver quelques mois plus tôt. Elle lui demande ses papiers, et lui, il fait un grand sourire et lui sort les papiers ...
- Non, ça ne s'est pas passé exactement comme ça, corrigea Gwen. Je flippais parce que mon assurance n'était plus à jour. J'avais essayé d'appeler l'agence à Tahiti, mais je te raconte pas la galère pour les joindre. Après, il fallait leur faire un courrier et moi, j'ai autre chose à faire que de m'embêter avec des courriers. Ca me gave.
- Pas malin quand même, vu le nombre de contrôles, mais bon, continue, coupa Christine pour éviter qu'il détourne la conversation sur un sujet un peu moins drôle.
- Donc, je sors les papiers de mon pare-soleil et lui fourre le tout dans la main : carte grise, vieille carte d'assurance et permis. J'essaie de faire un peu diversion, genre sourire coincé et conversation à deux balles, du style : « alors, vous être nouvelle ici ? ». Tout en dépliant les documents, elle acquiesce, marque un temps et ajoute « Mais là, je vous arrête tout de suite, je suis mariée. Et fidèle ». Je la regarde, étonné. Sur ce, elle me rend mes papiers et ajoute bien en évidence le préservatif qu'elle venait de trouver dedans en ajoutant « Vous avez raison de sortir couvert ! Mais pour la voiture aussi, vous devriez être couvert ! Va pour cette fois, mais mettez-vous en règle. » J'ai bafouillé un remerciement quand elle a ajouté « Et évitez de faire la petite blague à mes collègues masculins, je doute qu'ils apprécient la plaisanterie ! »
- Nan ! Tu laisses des capotes dans tes papiers de voiture ? demanda Gaëtane, stupéfaite.
- C'est Romain qui m'a fait la blague. Un bénévole. Faut dire que c'était bien trouvé ! Et ça continue, parce que l'autre jour, Giovanni, l'italien, s'est fait aussi piéger. J'avais oublié de l'enlever !
- Ben t'as intérêt à ce que Péné et Astou ne le trouvent pas. Sinon t'es bon pour un surnom qui va te suivre toute ta vie ! N'est-ce pas mon petit lapin du Pacifique !
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