17. Escales d'anthologie
Il y a des week-ends comme ça. Des instants dont on sait, dès qu'on les vit, qu'on s'en souviendra longtemps. Gaëtane et ses amis avaient quitté les pitons majestueux qui dominaient l'île de Ua Pou et le vent les avait mené à l'ouest de Nuku Hiva, dans la baie de Hakui. C'est là que se trouvait la célèbre cascade.
Quand elle était venue à Nuku Hiva, dix ans plus tôt, on lui avait parlé de cette cascade comme d'un joyau caché qui ne pouvait être atteint qu'avec l'aide d'un guide. N'ayant pas pu y aller, elle me l'avait néanmoins évoqué avec une telle emphase que, je l'avoue, j'ai imaginé le site et son approche. Ce n'était pas très difficile : je me souvenais des détails qu'elle m'avait donnés pour d'autres cascades de part le monde, que ce soit en Guadeloupe, à Fidji ou au Vanuatu, photos et même vidéos à l'appui, sans oublier les plongeons que je faisais souvent dans l'eau fraîche des vasques limpides, non loin de chez elle, en Corse. C'est là qu'on mesure la frontière entre le journaliste et l'écrivain. L'un décrit avec précision le réel, l'autre exagère l'extraordinaire. Et lorsque la réalité percute la fiction, l'écrivain doit choisir : s'entêter dans son imaginaire ou saupoudrer son histoire d'une dose de vérité. Surtout quand son héroïne insiste sur la méprise.
- Une rando éprouvante, s'était-elle étonné d'un ton sarcastique au bout du fil ? Écoute ça : en vrai, c'est une baie tellement bien abritée qu'on se croirait sur un lac, avec aucune ride sur l'eau. Devant, une plage de sable noir et juste derrière, sur la droite (je te donne tous les détails tant qu'à faire !), une rivière qui serpente tranquillement et qui permet d'accoster pénards avec l'annexe. Ah et j'oubliais, pour le tableau bucolique : des chevaux qui broutent paisiblement et des jardins prolifiques. Le sentier, pavé s'il te plaît, traverse la vallée en douceur. Tu vois même pas que tu prends du dénivelé ! Et question jungle, tu commences par longer des champs de bananiers, de pamplemoussiers, de papayers, avec les manguiers qui t'amènent la fraîcheur de l'ombre, que tu ne quittes plus grâce à une voûte de grands arbres. Au bout d'un petit moment de cette promenade de l'extrême (!), attention, séquence aventure : tu quittes le chemin principal et (ouh la la!) il faut traverser un torrent. Sois tu enlèves tes baskets et tu fous tes pieds dans l'eau, sois tu fais Koh Lanta en faisant le funambule sur un tronc posé en travers. Captain Cook a préféré mettre ses pompes dans l'eau. Bon après, on perd un peu le chemin, vu que l'herbe a poussé un peu partout. Tu slalomes alors entre des petits filets d'eau et des mini-rochers noirs, qui parfois glissent un peu. Et d'un coup, tu lèves la tête et tu es entouré de grandes parois de basalte d'où coule un filet d'eau. Saleté de sécheresse, on voit des traces mais il ne tombe pas plus que des larmes ! Mais bon c'est magnifique, quand même. On est tout petit dans ce cirque. Et l'ambiance est vraiment chouette. J'aurai bien voulu la voir en eau, cette fameuse cascade !
- Et tu t'es baignée quand même, avais-je demandé, avide de rattacher son expérience à celle de l'héroïne de mon roman précédent ?
- Où ça, dans le pédiluve ? Oublie, l'eau, elle file direct. Mais même en eau, je ne crois pas que le bassin soit assez profond. C'est mort pour ton chapitre romantique : c'est quand même pas pareil de draguer dans un champ d'herbe mouillée et de cailloux qu'en plongeant dans une vasque magnifique au pied d'une cascade !
- T'es en train de me dire que ça craint, ce que j'ai écrit ?
- Un peu oui. Enfin, franchement, t'aime ça, toi, les romans qui décrivent n'importe comment un lieu ? Comme ce polar que j'ai lu, qui se passait aux Marquises justement, à Hiva Oa. L'écrivain, il était célèbre, alors je me suis pas méfiée. J'aurais dû. Un ramassis d'erreurs ! Genre, il décrit la baie d'Atuona, celle avec le port, avec juste une poignée de bateaux, et il se paie le luxe de comparer avec la profusion de voiliers à Bora-Bora. Bref, le type, on voit bien qu'il n'a jamais foutu les pieds ici. Sinon, c'est évident qu'il aurait su que quasiment tous les voiliers qui font un tour du monde s'arrêtent après leur traversée depuis Panama. Et quand tu vois le nombre qu'il y a dans cette baie, comparé au nombre d'habitants et au peu de touristes aux Marquises, tu hallucines. Bref, son bouquin, avec toutes ces erreurs, j'ai eu du mal à le finir.
- Oui, bon ..., essayais-je de tempérer.
- C'est comme une mini-série que j'ai vue récemment qui se passait en Corse. Entre les mauvais clichés, l'accent italien de l'une et parisien de l'autre, les routes improbables et, clou du spectacle, les dauphins scintillants qui sautent devant le coucher de soleil, ça m'a tellement saoulé que j'ai zappé. C'est con parce qu'il paraît que le livre qui l'a inspirée, était génial !
- OK OK, pas la peine de t'énerver, j'ai compris, je vais faire un mea culpa !
- Comment ?
- Tu verras. Ou plutôt, tu liras. Et sinon, pourquoi ce week-end d'anthologie ?
Au retour de la cascade, un jus de fruits frais suivi d'un mi-cuit de thon et l'histoire d'un couple autosuffisant les attend. Ils sont assis autour d'une table branlante, recouverte d'une toile cirée antique à deux pas de la maison de leurs hôtes (juste un toit de tôles, une dalle de béton et quatre pans de murs en contreplaqué). Ceux-ci ont allumé quelques leds pour y voir par cette nuit nuageuse, mais ils rayonnent tellement de bonheur, qu'ils pourraient presque éclairer la table. Elle, les seins qui tombent sur ses hanches larges, un T-shirt sale et troué et un sourire gigantesque qui exhibe ses molaires manquantes, lui, un vieux tatouage qui lui couvre la moitié de la figure, une dent de cochon dans l'oreille et la carrure du type baraqué qui n'a pourtant jamais soulevé de fonte. Ils parlent longuement de leur vie de labeur dans leur verger et leur potager et leur plaisir d'être dans la nature quasiment en dehors de la civilisation.
- J'ai repensé à Gwen, capable de réparer n'importe quoi, un kitesurf comme une voiture, une machine à coudre comme une tondeuse, lui aussi attentif à son compost, à ses fruits, sa pharmacopée qu'il cueille dans le jardin de sa pension. Je les envie d'être heureux, vraiment heureux. Tu verrais ça, ça n'en jette pas, je suis sûre que si je t'envoie la photo, tu trouverais ça joli mais pas génial, alors qu'en réalité, cette vallée c'est un petit paradis, tellement ils l'ont transformé en jardin d'Eden. Le Mana, il rayonne dans toutes les parois de cette baie. Je commence d'ailleurs à y croire, à cette histoire de Mana aux Marquises.
- Le Mana ?
- Ouais, une énergie, quelque chose qui vient de la terre. On dit qu'aux Marquises, c'est puissant ce qu'on ressent. Tu avais parlé de Vortex pour Hawaï, c'est la même chose, je crois. Ça doit venir des volcans. Quand j'y pense, je me suis toujours sentie en harmonie quand j'étais proche des volcans. A Hawaï, au Guatemala, en Papouasie, à Stromboli. Tiens, à propos de volcans, encore un truc de fou : Mathias vient de me sortir une autre référence à ton roman ! Et clairement, vu qu'il ne parle pas français, il n'y a aucune chance qu'il l'ait lu.
- Non, c'est pas vrai !
- Si, je te jure ! On était dans la baie de la cascade, et tu sais, il est tellement flippé en ce moment pour son retour en Allemagne, entre le vol qu'une compagnie lui a annulé et les tests Covid à faire, qu'il est toujours sur son téléphone dès qu'il choppe du réseau. Et là, il m'annonce qu'un volcan est entré en éruption en Islande et que ça menace le trafic aérien. Je ne l'ai pas cru, évidemment, j'ai cru qu'il me faisait une blague, vu qu'on doit rentrer en France par le même vol. Mais non, il m'a montré l'info. Le remake de l'éruption du volcan au nom imprononçable, il y a une dizaine d'année ! Et accessoirement le clin d'œil à ton roman.
- C'est quoi cette histoire de volcan ? Je n'en ai pas entendu parlé !
- Tu suis les actualités, toi maintenant ?
- Pas plus qu'avant !
- Alors c'est normal ! Pour te résumer : pendant quelques heures, les médias ont parlé d'avions cloués au sol. Je n'ai pas tout compris, une histoire de vent et de taille des particules volcaniques, mais apparemment, au final, on a échappé au black out. Franchement, vu tous les signes à ton roman, je me demande si je suis bien dans la réalité et pas entrée dans ton histoire. Alors du coup, j'attends les cookies.
- Les cookies ?
- Ceux d'Amy. Tu as bien écrit que ce sont les meilleurs du monde ?
- Ah ! J'espère que ce n'est pas non plus une mauvaise description, sinon, tu vas encore être déçue ! En attendant, tu devrais demander à Anne-Lise d'en faire. Si j'ai bien compris, elle cuisine bien.
- Trop tard ! Anne-Lise a débarqué à Ua Pou. Elle avait envie de se poser. Et je crois que la promiscuité commençait à lui peser. Ça faisait quand même un sacré bout de temps qu'elle était sur Kashew. Et ça a beau être un grand voilier, ça a quand même la taille d'un studio. Et clairement, Ua Pou, c'est un bon choix. Vraiment magnifique. C'est tranquille et c'est super beau, avec ces pitons de granite qui dominent la crête. Comme des doigts qui se dressent vers le ciel.
- Tu as grimpé ?
- Impossible, la roche est verticale, hyper lisse et surtout très humide. Ou alors il faudrait être hyper fort. Mais je suis allée au pied. Vraiment impressionnant. Et c'était une chouette balade, que Mathias a fait en tong !
- Il est fou !
- On n'avait juste pas prévu. On pensait juste se baigner à la cascade, qui avait un peu d'eau celle-là. On a rencontré des gens qui nous ont parlé du vieil allemand qui fait du chocolat et comme c'était pas trop loin et qu'on n'avait rien de bien prévu pour la journée, on a fait le détour. On était en train de rouiller chez lui en dégustant ses chocolats au poivre et au gingembre, quand il nous a parlé du sentier qui va aux pitons depuis chez lui. On savait qu'on ne resterait pas longtemps sur cette île, alors c'était l'occasion. C'était une petite sente, mais on a suivi ses conseils et Mathias et moi, on est monté dans la forêt. Et d'un coup, on est arrivé sur la crête, avec une vue époustouflante sur les pitons qui semblaient flotter sur une mer de fougère, et tout en bas, le bleu de l'océan. On a tenté un autre sentier à la descente et ça nous a emmené dans une autre vallée. Ah oui, parce qu'ici, tu oublies le portable avec la trace GPS ! Faut la jouer à l'ancienne ! Au final, nos pas nous ont amenés sur une piste qui surplombait le village et la baie. On est rentré avant la nuit noire, le sac rempli de pamplemousses trouvés sur notre chemin. C'est là que tu te dis qu'en se laissant porter, on peut découvrir plein de belles choses. Parce que clairement, si le sentier de descente ne nous ramenait pas vers la baie, vu le peu de voitures qui passent dans le coin, on aurait passé la nuit je ne sais pas où. J'imagine qu'on aurait été hébergés par des gens, dans une maison de bric et de broc. Et ça aurait été bien aussi.
- Tu aurais pu aussi tomber sur des fous ou des voleurs !
- Bah tu sais, on n'avait plus trop d'argent sur nous, on avait tout dépensé en chocolats, qu'on avait laissés à Anne-Lise, donc ils n'auraient pas été déçus du voyage ! Non sans rire, il faut faire confiance aux gens, sinon tu ne fais jamais rien. Et vraiment, l'immense majorité des personnes que j'ai croisées sont gentilles. Je suis sûre qu'on aurait trouvé un canapé pour dormir. Et ça aurait été l'occasion de discuter avec eux. J'aurais bien voulu qu'ils me parlent des essais nucléaires. Sur plusieurs îles, j'ai vu qu'il y avait des campagnes de recensement des maladies survenues sur les personnes qui se situaient à proximité de Mururoa à l'époque. J'imagine qu'ils veulent qu'on les soigne vraiment et aussi qu'on indemnise les familles de ceux qui sont décédés des retombées radioactives. Mais à mon avis, ça doit être un combat encore plus compliqué que pour l'amiante, parce que là, ils s'attaquent à l'armée et à la puissance de la France. Et quand tu vois tout l'argent qui a été donné et qui est encore donné plus ou moins directement à la Polynésie, sûrement pour faire avaler la pilule, une partie de la population doit préférer que l'affaire soit étouffée. Sans compter quelques hommes politiques véreux, j'imagine.
- T'as déjà fait ton enquête ?
- Ben non, il suffit d'ouvrir les yeux pour voir les super grosses bagnoles. Et puis c'est partout pareil : pendant que quelques-uns se gavent, la grande majorité trinque ! C'est quand même fou, quand tu y penses : certaines îles sont transformées en enfer, alors que c'était le paradis. C'est comme Makatea, où on détruit l'île pour faire des engrais. Qui d'ailleurs polluent les rivières et les nappes phréatiques chez nous. Ou comme la Nouvelle-Calédonie. Tu te souviens ? Je t'avais décrit la montagne. Quand tu vois comme elle est magnifique avec ses tons rouges et ses plantes qui n'existent nulle part ailleurs, elle est purement et simplement rasée par endroit. Tout ça pour extraire du nickel. Et c'est de pire en pire parce que les gens changent de smartphone au bout d'un an !
- Ouhlà, tu es bien remontée, dis-moi !
- La cupidité de l'homme m'exaspérera toujours ! Quand je pense à tous ces moutons qui préfèrent s'abreuver de faits-divers, ou pire désigner des immigrés ou des gens pas comme eux comme boucs-émissaires au lieu de s'indigner contre la destruction de la nature et de la santé des populations ! Tiens, d'ailleurs, on parle de réchauffement climatique en France, mais c'est pareil ici. Neuf mois qu'ils attendent la saison des pluies aux Marquises, tu te rends compte ?
Voilà ! La preuve que Gaëtane était sur la voie de la guérison. Elle reprenait goût au combat : la grande lutte contre l'injustice, contre l'avidité d'une poignée d'êtres humains et pour sauver notre planète si belle et si extraordinaire, perdue dans l'immensité désertique de l'univers. « There is no planet B » avait été son credo bien avant que Greta Thunberg ne scande ce slogan à travers le monde. Elle triait le verre et le papier bien avant que les collectivités n'installent des containers et manifestait contre le racisme longtemps avant que l'extrême droite n'ait de réelles possibilités d'accéder au pouvoir. Verte et rouge, elle était de tous les combats, pourvu qu'ils soient justes, universels et démocratiques.
J'étais donc contente que le sang de la saine colère bouille à nouveau dans ses veines. Pour autant, je savais que la guérison prendrait du temps et la perspective de son retour en France ne me réjouissait pas. En dépit du climat doux et des ciels bleus de Corse, il me semblait qu'elle était mieux en Polynésie, sur son cocon flottant, entourée d'amis, sous le soleil tropical, dans ces îles colorées et envoûtantes où elle découvrait chaque jour de nouveaux paysages. Mais il est vrai que rester, c'était prendre le risque qu'elle retourne auprès de Gwen et qu'elle y reste. Pas qu'il me déplaise, à cette époque je n'en avais pas assez entendu sur le personnage pour m'en faire une idée assez précise et réaliste, il avait simplement eu la mauvaise idée d'habiter de l'autre côté de la terre, ce qui en cas de coup dur, ne me permettait pas de me rendre auprès de Gaëtane en moins de deux jours au bas mot. Je n'osai donc pas évoquer son prétendant et préférai continuer cette conversation téléphonique sur ce week-end soi-disant exceptionnel et les événements qui s'étaient déroulés depuis la dernière fois où elle avait eu de la connexion téléphonique.
C'est donc plein d'énergie que l'équipage réduit était parti pour Tapivai, la longue baie la plus à l'est de la côte sud de Nuku Hiva. Mouillage tranquille, mer foncée, sable marron, quelques maisons le long de la rivière. Objectif : plongée sur le sec à l'entrée de la baie. « Un must », lui avait-on assuré. Les bouteilles de plongée entassées dans la petite annexe, ils atteignirent le site au lever du soleil. L'eau était lisse, mais autour du sec, ils découvrirent des bouillonnements incessants. A peine immergés, ils en eurent l'explication : des sardines frénétiques formaient comme un fluide jusqu'en surface et se mélangeaient par endroits à des bancs de carangues bleues, de chirurgiens et de jack psychédéliques. Au milieu de toute cette vie, croisaient des bonites, des thons, des requins gris et argentés, et volant au-dessus de toute cette agitation, des raies-manta curieuses.
- Une des plus belles plongées de ma vie ! Il y avait tellement de poissons qu'on se perdait de vue parfois ! C'était ... magique. Même plus que ça. Je ne sais pas s'il y a des mots pour décrire cette profusion. Avec Captain Cook et Mathias, on avait une de ces bananes en sortant de l'eau !
- Au final, tu n'as pas été déçue de revenir aux Marquises ?
- Ah non, c'est vraiment chouette ici ! Et puis surtout, avec un voilier, on peut vraiment aller où on veut. Enfin presque, ça dépend quand même de la mer et s'il y a des baies pour se mettre à l'abri. Mais clairement, pour ces îles hyper montagneuses avec peu de routes, c'est un super moyen de locomotion. Sans parler de Fatu Hiva que je n'aurais jamais pu voir autrement, vu qu'il n'y a pas d'aéroport et que je n'étais pas prête à prendre la mer sur un tout petit speed boat pendant des heures. C'est simple, avec un voilier, on est libre. Et ça, c'est vraiment excellent. Mais c'est vrai que revenir quelque part, c'est très souvent décevant. Il n'y a plus la magie de la découverte, le mystère d'un paysage idyllique caché derrière un virage ou une vallée, ni la curiosité pour une culture différente. Bref, quand tu reviens, l'image romancée est un peu plus fade, d'autant plus si tu as adoré la première fois.
Hiva Oa, l'île qu'ils avaient accostée juste après l'escale à Tahuata, ne dérogea pas à la règle. Les arbres dénudés et le sous-bois roussi par la saison des pluies qui se faisait attendre depuis huit mois, ne lui conféraient plus cet aspect à la fois rude et mystique qui s'en était dégagé lorsque Gaëtane y était venue une dizaine d'années auparavant. Il y avait toujours cette prairie qui sublimait ces verts clairs tout là-haut et qu'ils avaient atteint, Sté et elle, après une montée éprouvante sous le manguier, cette prairie dont le sentier vertical les avaient mené à une arrête sans fin ... Il y avait maintenant une piste pour 4x4 à la place de la sente pour chevaux : le point de vue qu'ils s'étaient fixés à l'époque, avant d'entrer dans les nuages, lui sembla désormais trop facile à atteindre.
Mais il y avait toujours cette nature brute qu'elle affectionnait également à Fatu Hiva, ces agencements de roches et de maquis en cirques verticaux, véritables barrières infranchissables qui cloisonnaient l'île et qui semblaient plonger dans des eaux noires, presque austères, et pourtant formidable terrain de jeu des raies mantas curieuses qui égayaient les plongées de Gaëtane et ses amis.
Hiva Oa est plus grande, plus développée, sans pour autant être trop urbanisée : un port, avec son chantier naval où sont choyés toutes sortes de bateaux, des petites barcasses jusqu'aux voiliers à un million et demi d'euros, un aéroport avec son terminal moderne à l'architecture traditionnelle, un petit supermarché, tout ce qu'il y a de plus commun à Tahiti ou en métropole, mais qui, sur ces îles, fait figure de luxe (surtout pour qui a connu les petits magasins de Ranguiroa et le boui-boui de Fakarava), et puis surtout, des routes. Plusieurs routes, avec des croisements, des panneaux, des parkings et des voitures ! Retour à la civilisation, certes en douceur, dans cette petite ville (ou village) d'Atuona, où se croisent des touristes venus se recueillir sur la tombe de Brel avant de se faire tatouer des motifs ancestraux, des marins qui font les pleins (nourriture, eau, essence), leurs lessives, réparent leurs voiles ou leur coque, ou qui se reposent avant ou après une grande traversée et des marquisiens qui traînent leurs claquettes devant le front de mer.
- A propos, tu verrais la salade de poisson qu'ils y servent, dans les food truck : à tomber ! Sans compter le sorbet artisanal au corossol du mec qui étale ses fruits et légumes dans le coffre de son 4X4, miam, j'en salive encore !
Bref, Gaëtane profitait à fond de cette virée marquisienne en prenant le temps de vivre avec tous ses sens (et même celui de l'équilibre, le mal de mer lui ayant fait enfin faux-bond) et chargée de good vibes.
Quoique.
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