15. Reborn
Elle avait arrêté d'écrire. Plus assez de temps. Ou plutôt, elle n'en ressentait plus le besoin. Elle préférait vivre. Parce que c'était ça, elle vivait. Ce n'était pas seulement un retour à la vie, c'était la vivre pleinement, sa vie. Alors, son cahier, ce n'était pas sa priorité. D'ailleurs, savait-elle où elle l'avait posé ?
C'est qu'elle avait trouvé en Gwen la personne qu'elle avait tant espérée sans jamais vraiment y croire, celle qu'elle avait attendue sans jamais chercher. Comme lorsqu'enfant, on rêve de rencontrer le Père Noël, le vrai, celui avec les rennes qui volent et qui est capable de se faufiler dans toutes les cheminées du monde, même les plus étroites et malgré son gros ventre, et même par la VMC quand il n'y a pas de cheminée, celui qui est capable de sortir des inserts sans faire grincer la porte et sans lâcher un seul juron même lorsque la braise est brûlante, bref lorsqu'on rêve de rencontrer le Père Noël avec les majuscules, mais qu'on n'ose pas ouvrir les yeux le 24 décembre à minuit, de peur de s'apercevoir qu'il a été remplacé par l'usurpateur qui se promène dans les supermarchés, l'arnaqueur pour mères trop crédules, capables de payer une fortune, fortune qui aurait pu être beaucoup mieux utilisée en achetant un paquet gigantesque de bonbons, tout ça pour une photo souvenir de leur mioche pleurant sur les genoux d'un intrus, qui ne sent pas toujours la rose des neiges.
Alors c'est vrai, Gwen n'était pas le Père Noël, encore moins le Prince Charmant. Il n'avait ni rennes volants ni cheval blanc, et comme tout humain, il avait des défauts. Et pour couronner le tout, elle ne le trouvait pas spécialement beau. Un sourire charmeur et des yeux profonds, mais il ne pouvait pas rivaliser avec le corps svelte et sculpté de muscles de Sté. Mais quand il s'approchait d'elle, elle se sentait aimantée, irrémédiablement attirée, envahie par une chaleur qu'elle ne connaissait pas (ou qu'elle ne reconnaissait plus) et qui pourtant semblait si évidente. Enveloppée dans ce bien-être, elle se sentait enfin détendue, enfin joyeuse, enfin heureuse : à son contact, la vie était belle et valait la peine d'être vécue. Rien que ça !
En fait, Gwen avait comblé un besoin si enfoui au fond d'elle-même qu'elle en avait même oublié jusqu'à son existence : être aimée.
Pourtant, elle se rendait compte à présent que ça lui était aussi vital que le fait de boire. Comment avait-elle pu vivre avec ce vide pendant toutes ces années ?
Alors, à son âge, elle se découvrit amoureuse. Elle avait bien eu des histoires d'amour dans sa jeunesse, mais jamais comme celle-ci, jamais aussi intense. Ou peut-être avait-elle oublié? Ou était-ce l'âge, justement, qui lui rappelait qu'elle n'avait plus le temps de tergiverser et qu'il fallait y aller à fond, que c'était peut-être sa dernière occasion de Vivre. Pas de demi-mesure donc, elle était entièrement amoureuse, se laissant imposer ses volontés et ses mouvements par son corps, son cœur et ses pulsions primaires mais néanmoins primordiales. Être aimée et aimer en retour.
Tout le temps.
Chaque instant.
Si fort qu'elle ne maîtrisait plus rien. Comme guidée par une force que les Jedi n'auraient pas reniée, une force impossible à résister et qui bousculait tout. Et contre ça, elle n'y pouvait rien.
Et ne voulait surtout rien changer. Que rien ne s'arrête.
Pendant un mois, elle ne pensa plus à rien d'autre qu'à lui. Sté avait disparu de sa tête, son désarroi l'avait quittée et sa dépression avec. Elle en avait même oublié de prendre ses antidépresseurs aux plantes pourtant si vitaux seulement un mois plus tôt. Son monde tournait désormais autour de Gwen. Lui et elle. Eux. Ce « nous » qu'ils se créaient, ces souvenirs qu'ils imprimaient à l'encre de leur amour, ces anecdotes qu'un jour peut-être ils raconteraient à leur entourage. Si le destin décidait d'un avenir pour eux.
Car il était là, le problème : le futur. Peut-on vivre un amour quand on habite à 16 319 km l'un de l'autre ? Si l'amour dépasse les frontières, peut-il faire le tour de la terre ?
Mais ils n'en étaient pas encore là. Laissons-les s'épanouir dans l'harmonie des premiers jours, dans la découverte de leurs émotions, de leurs corps, de leurs sensations, de la vie qui bouillait en eux. Gaëtane s'acharnerait suffisamment tôt sur cette épineuse question, se torturant l'esprit au lieu de profiter de l'instant présent, de ces instants que le bonheur leur offrait sur un plateau, de ces instants que plus tard elle regretterait.
Quant à Gwen, il continuait son bonhomme de chemin. Il travaillait, enfin, il essayait. Il était très souvent (tout le temps ?) perturbé par Gaëtane. Il avait envie de lui faire constamment des câlins. Est-ce que son corps voulait rattraper ces mois de solitude ? Ou bien était-ce plus profond ? Il ne le savait pas. Et d'ailleurs, il ne voulait pas le savoir. Il avait appris ici, sur cette petite île pauvre et isolée, à vivre au jour le jour. Un lever de soleil après l'autre. C'est d'ailleurs ce qui lui avait permis de se relever à chaque coup dur. Prendre le positif, oublier le reste. Et ne jamais planifier. Ne jamais s'imaginer. Ne jamais se faire des films. Si elle voulait rester, elle pourrait le temps qu'il la supporterait. Mais voulait-elle rester ? Elles étaient toutes parties, alors pourquoi celle-ci resterait ? Et il n'était pas du genre à tenir une correspondance amoureuse avec une fille à l'autre bout de la terre. Même si maintenant, il y avait l'embarras du choix pour se connecter en direct et en vidéo. Mais les caresses 2.0, ce n'était pas son truc. Il était de la vieille école : une fille, ça se sentait, ça se touchait, ça s'embrassait. Le plus important n'étaient ni le son, ni l'image.
Alors oui, il profitait, lui aussi, de ce bonheur qu'il avait invité, de ce cadeau de Noël qu'il s'était dégoté, lui, l'usurpateur déguisé en père noël. A moins que ce ne soit lui, le vrai, celui avec les majuscules ? Celui qui fait espérer les enfants et les femmes larguées ? Un Père Noël sans rennes ni cheminée, un Père Noël en short et en sandales, un Père Noël qui répand des effluves de tiaré sur la peau de son cadeau, avant de le serrer fort dans ses bras pour un câlin merveilleux, à dix mille lieux du pôle nord ?
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