13. Aveuglements vs trahisons

Gaëtane remplissait les pages de son cahier. Elle y racontait ses pleurs, sa fatigue, ses doutes, son ressenti et son ressentiment. Contre Carine. Pas encore contre Sté. Elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas. C'était trop tôt. Plus tard, elle se rendra compte que ce sera trop tard, mais elle ne savait pas encore qu'elle n'avait pas le bon timing.

Sa raison refusait de lui en vouloir. Comme s'il était pardonnable parce qu'il ne l'avait trahi qu'à moitié. Enfin, c'est ce qu'elle se répétait, en se  souvenant de ces phrases qu'il lançait depuis quelques années et qui retombaient dans un soufflet car il les enrobait d'une bonne dose d'humour. Quand il lui demandait « alors, on divorce quand, nous, pour faire comme tout le monde ? », elle lui répondait sur le même ton, en spécifiant qu'une petite fête s'imposerait et elle commençait à dresser mentalement la liste des invités. Il lui demandait si ça s'appelait un divorce quand on séparait des colocataires. Et elle riait en mettant la quiche au four, pendant qu'il s'affalait sur le canapé, un nouveau roman dans les mains.

Toujours se méfier un peu de l'humour. Même dans l'absurde, il y a une part de vérité.

C'est vrai qu'ils étaient finalement un peu des colocataires. Un couple, toujours ensemble malgré toutes ces années, qu'on invitait ensemble, qui dormait dans le même lit, mais qui ne se regardait plus et qui faisait de plus en plus rarement l'amour. Pas qu'ils n'en n'eussent plus envie. Plutôt qu'ils aient oublié ces parenthèses enchantées.

Enfin, c'est ce qu'elle pensait.

Parce que lui, il avait son activité parallèle. Cachée. Inavouée. Et plus les jours passaient et plus elle devenait inavouable. Il ne savait plus pourquoi il avait franchi le pas. Par colère envers Gaëtane ? Par curiosité pour la nouveauté ? Par fierté de plaire encore à une femme ? Par griserie de l'interdit ?

C'est dans ce sens que Gaëtane se sentait trahie. Pas qu'il baisait avec une autre, ça finalement, c'était assez attendu pour un homme, et en la matière, elle avait une vision assez médiocre du genre masculin, dont elle méprisait les dérapages dignes d'un paon en rut, et elle avait suffisamment entendu d'histoires sur son entourage (collègues, voisins, amis, amis d'amis) pour se dire que ça non plus, ça n'arrivait pas qu'aux autres. Non, ce qui la gênait, qui la peinait plutôt, qui la tuait à petit feu, c'est qu'il lui ait caché sa double vie. Elle avait toujours cru, en petite oie blanche fraîchement sortie du nid, qu'ils avaient une relation basée sur la confiance. Elle savait bien qu'ils ne finiraient pas leur vie ensemble, ils ne pouvaient raisonnablement pas être plus fort que tous ces couples, et elle s'étonnait parfois qu'elle ne l'ait pas encore quitté. Car elle en était sûre : c'est elle qui partirait en premier. Lui, il l'aimait plus qu'elle, enfin c'est ce qu'elle s'imaginait.

Son imagination n'était pas assez créatrice pour penser ne serait-ce qu'une instant qu'il pourrait la tromper, depuis des mois et des mois, avec une collègue de bureau, la petite nana qui venait manger à la maison avec son mari, joli petit couple tranquille qu'ils étaient. Ou bien se refusait-elle à imaginer la médiocrité. Les élucubrations, les rêvasseries, ne sont-elles pas faites pour rêver au meilleur ?

Si même ça finit par être souillé, que reste-t-il ?

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