12. CARNET DE GAËTANE -24 octobre 2020
Ce matin, comme hier matin et les jours d'avant, je ne vais pas bien : mal au ventre et difficulté à respirer. Il faut que je force chaque inspiration pour sentir que l'oxygène atteint les poumons. L'angoisse et le vide me reprennent. Est-ce d'avoir pensé à lui hier soir ? Mais pourquoi j'ai fait cette bêtise ? Ca m'a encore coûté une nuit de sommeil. Dormir une nuit complète, me réveiller en forme, et faire de jolis rêves, c'est si compliqué ? Faut prier quel dieu pour que ça redevienne comme avant ? Faut que je me bourre la gueule ou que je me défonce à coups de médicaments, c'est ça ?
En fait, dès que je suis seule et sans occupation, j'angoisse. Le jour, la nuit, tout le temps. Qui eut cru que moi, petit bout de femme hyper dynamique, volontaire, forte, je m'écroulerai pour lui ?
Je crois que c'est la surprise qui m'a sidérée. Ce n'était pas dans l'ordre des choses. Je savais au fond de moi que Sté et moi, nous ne finirions pas notre vie ensemble, que ce n'était qu'un passage. Mais je pensais que notre rupture se ferait en douceur et d'un commun accord. J'avais toujours respecté ce pacte implicite.
Sté et moi, on allait tellement bien ensemble : lui calme, moi rebelle, lui grand, moi petite, lui chauve, moi les cheveux ultra longs, lui cuisinant la viande, moi les légumes. On se complétait. Et on se comprenait. Est-ce le lot de tous les couples de n'avoir finalement plus rien à se dire tellement on se comprend ? Est-ce que le fait de ne pas avoir d'enfants, donc pas de nouveautés et de découvertes de chaque instant, nous a enfermés dans cette compréhension mutuelle qui en devient peut-être néfaste ?
Pourtant, nous avons ponctué ces 15 années de découvertes magnifiques : des temples de Bagan en Birmanie jusqu'au kava partagé avec les villageois dans ce village paumé au fin fond de Fidji, des plongées avec les requins marteaux aux Galapagos jusqu'aux bancs de milliers de poissons en Papouasie occidentale. Et toujours en empruntant des petits chemins, en s'organisant seul, en se déplaçant au grès des envies et des conseils trouvés sur internet ou échangés autour d'un jus de fruit frais ou d'une bière. Le cul mâché dans des avions, des bus, des cars, des bateaux, des taxis-brousse, des vans partagés, essayant le plus possible de se déplacer comme la population, avec la population, au tarif de la population.
Pas de clim dans ce bus qui nous amène d'Uyuni à Potosi dans la cordillère bolivienne, mais une fenêtre ouverte sensée nous apporter des bribes d'oxygène si rare par ces 4000 m d'altitude, mais qui finalement recrache sur nous la poussière de la piste et dilue l'odeur de crasse de cette petite vieille endimanchée assise à nos côtés, les nattes très joliment tressées.
Des trombes d'eau qui s'abattent dans ce bus bondé où nous avons pris place depuis au moins six heures et qui roule à tombeau ouvert sur la route reliant la frontière Mexicaine tout à l'ouest à une petite ville des montagnes du Guatemala, le chauffeur, un nourrisson dans une main et le téléphone dans l'autre.
Un grand soleil, mais une terrible envie de sauter par la fenêtre et de finir à pied pour ne pas terminer comme les carcasses de voitures qui colorent le précipice très loin tout en contrebas, victimes de la propension des chauffeurs de l'extrême nord de l'Inde à confondre klaxon et frein, sur ces routes traversant des pentes abruptes et rocailleuses qui s'effondrent déjà toutes seules (on ne croit pas à la réincarnation, nous !)
A propos d'Inde, les films de Bollywood et les samoussas-chapatis qui font passer tout naturellement les kilomètres de ces routes fidjiennes dans ce bus où tu préfères être assis à côté d'un fidjien d'origine indienne, que d'origine mélanésienne, pour des questions de place restante sur ton siège.
Des heures d'attente dans ce van qui part, promis, tout de suite, vers cette ville un peu trop sophistiquée des Philippines, après nos quelques jours de presque robinsonnade sur une petite île dans une pension tenue par un français conservé au pastis.
Les gens qui continuent à s'entasser dans ce taxi brousse déjà plus que bondé (le Mozambique battant à ce petit jeu à plat de couture l'Afrique entière, Madagascar inclus), la femme avec son bébé devant se contorsionner pour laisser entrer un monsieur sur son trente-et-un, transportant un singe fraîchement mort, alors qu'on s'adonne à notre jeu du moment : profiter du regard tourné du chauffeur pour rebaisser drastiquement le volume de la musique, avant qu'il ne le remonte à fond et que je le rebaisse.
Le chauffeur du minibus à Java, qui se prend pour Samy Naceri, rase les familles entières qui rentrent des courses sur leur scooter (les enfants sur le guidon, le père sur la selle, la mère et le nouveau-né derrière, des sacs plein les mains) et oublie les règles de priorités de base et finit, sur notre insistance, par nous laisser à l'aéroport le plus proche pour qu'on fasse le trajet, plus en sécurité, sur une compagnie aérienne pourtant classée sur liste noire.
Aucune vibration dans notre oreille collée sur la route de la Isla Navarino, au sud du sud de la Patagonie, rien qui ne dérange les oiseaux que nous observons depuis plus d'une heure, allongés sur l'herbe qui domine la grève, attendant patiemment qu'une voiture daigne enfin passer pour nous ramener en stop avant la nuit et nous réchauffer auprès du poêle à bois, dans cette petite maison tenue par une chilienne au grand sourire et à la conversation prolifique.
Un terrible sentiment de solitude quand, après avoir fait le tour de la ville à la recherche de la seule personne parlant autre chose que chinois ou birman, nous apprenons que le ferry que nous étions venus chercher jusqu'au fin fond du nord de la Birmanie ne fonctionne plus.
Les avions annulés à Maumere, à Koror, à San Francisco, les bagages perdus un peu partout sur la planète, à racheter des fringues de base dans les supermarchés briqués de Cairns (Australie) le mall un peu glauque de Port-Moresby (Papouasie Nouvelle Guinée) ou dans le boui-boui de Vava'u qui est aussi le plus grand magasin de cette île des Tonga.
Un fou-rire qu'il faut retenir pour ne pas blesser le « chef d'escale » du minuscule aéroport de Gaua qui tente en vain de contacter Air Vanuatu à Port-Vila pour savoir dans combien de jours viendra l'avion qui aurait dû atterrir, traversant et retraversant la longue pelouse qui sert de piste d'atterrissage, à la recherche du réseau mobile.
La poussière rouge et indélébile du bush australien qui rentre inexorablement et par pelletés dans le van bringuebalant qu'on pousse difficilement sur ces routes bitumées pour la largeur d'un seul véhicule et qui s'étirent sur des milliers de kilomètres.
Le kick de la moto qui pète au milieu de nulle part à Zanzibar, les routes tellement trouées au Brésil qu'on roule sur le bas-côté, un troisième pneu qui crève alors que le soleil se couche sur l'Altiplano bolivien faisant chuter la température de quarante degrés en moins de cinq minutes.
Des nuits interminables, comme celle à Hawaï où la pluie tropicale se déchaîne sur la tente qui se transforme en piscine ou comme celle à Wewak en Papouasie-Nouvelle-Guinée où les cafards dansent sur le lit, la soif nous tiraillant et les chiottes répugnantes nous condamnant à une vessie pleine, alors que dehors de la viande saoule hausse le ton, machette à la main, en se disputant à propos des élections.
Des moments comme ceux-là, j'en aurai tellement d'autres à raconter, des moments où on savait que quoiqu'il arrive, ça finirait toujours bien, parce que justement on était tous les deux, on était là l'un pour l'autre.
Une équipe.
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