10. CARNET DE GAËTANE - 24 décembre 2020
C'est Noël ce soir !
J'ai du mal à me l'imaginer. Il fait chaud, il fait beau, il n'y a aucune guirlande et surtout, je suis loin de tout. Loin des messages des potes qui postent des photos de la montagne corse sous la neige. Je suis loin du poêle à bois, loin des couvertures, loin des chaussures et des bottes du Père Noël, et aussi loin du taf et des contraintes. Ici, tout est nouveau. Même si je répète les tâches. Mais je ne suis pas encore gavée de la vaisselle pour 10, des menus en fonction de ce que je trouve et surtout ce que je ne trouve pas dans les bouis-bouis qui servent de supermarchés, du ratissage des feuilles dans la cour de l'entrée, ni de la cueillette des fleurs. Ah la cueillette des fleurs ! Je me réveille avec le jour qui perce à travers les feuilles de cocotier, je me laisse bercer par leur balancement dans la brise matinale tout en me tournant vers mon amoureux (quel plaisir d'écrire ce mot : amoureux). Parfois, c'est un amas immobile, la tête camouflée sous des cheveux en pagaille, impassible et impossible à bouger, parfois c'est un grand sourire qui m'accueille avec un chaleureux « bonjour ma belle » avant de me prendre tendrement dans ses bras. Après ce pur moment de bonheur, je saute dans un short/T-shirt, me couvre du magnifique chapeau tressé en feuilles de coco que j'ai dégoté dans un coin de la remise, enfile mes écouteurs et mes tongs et profite du meilleur moment de fraîcheur de la journée au son de ma playlist préférée, enivrée par les effluves de tiaré : pas encore chaud mais plus tout à fait frais.
Mais en matière d'odeurs, mon coin préféré, c'est le cellier, la toute petite pièce derrière la chambre de Gwen. Juste quelques mètres carrés de rayonnage, où il cache l'huile, le vin, les plaquettes de chocolat, mais surtout ses stocks de monoï au tiaré. Un concentré de pur bonheur, au parfum exaltant, qu'il me badigeonne sur le dos avant un massage autant revigorant que délassant. Ce type a des doigts de fée. Et fabrique un monoï sensationnel. Suis-je attirée par lui ou par son monoï ? Peut-on tomber amoureux d'une odeur ? Et d'un sourire ? Et de cheveux brillants ? Et d'un sens de l'humour qui s'ajuste exactement au mien ? Et ... ?
Bref, c'est Noël et Gwen me met un peu la pression parce que je n'ai pas encore commencé le dessert que je dois amener ce soir chez sa vieille amie qui nous invite. J'hésite encore : tarte mangues/bananes ou verrine mangue/crème passion ? Je serais bien tentée par les verrines, mais 1/ il faut que Gwen ait des spéculos en stock, parce qu'avec la pénurie dans les magasins en ce moment, c'est sûr je n'en trouverai jamais. Et hors de question de les remplacer par des gâteaux australiens mous, trop sucrés et plein de colorant. Pas de crème liquide non plus, mais là pas de soucis, j'ai ma botte secrète : le lait coco. Faut juste un peu de temps et de l'huile de coude pour le préparer. Quant aux fruits de la passion, l'arbre (que dis-je : la liane) en pond quelques uns tous les jours dans le jardin, avec autant de régularité que les poules de mon père dans le poulailler familial. D'ailleurs, est-ce la ressemblance à l'œuf qui attire les rats ?
S'il faut se mettre à psychanalyser les rats maintenant, je ne vais pas m'en sortir. J'ai déjà pas mal à faire avec mon cas !
2/ Faut que je trouve des verrines. Mais cette épreuve n'est pas insurmontable, vu qu'on trouve tout dans cette cuisine petite d'Ali Baba. Encore mieux que dans le capharnaüm du quincaillier quand j'étais petite et qu'on jouait avec ma sœur à demander l'ustensile le plus improbable (qu'il trouvait d'ailleurs à tous les coups). Faudra juste pas oublier de bien regarder comment elles sont rangées dans un des quatre petits tiroirs, ces verrines, histoire de remettre le tétris dans la configuration identique précédant mon intervention, et pas déclencher le courroux du patron. Je préfère quand il sourit (et qu'il m'embrasse !)
Bon, je m'y mets, sinon il va se fâcher pour de bon. Surtout qu'on est attendu dans moins d'une heure. Si en plus, je veux me doucher et me changer. Et râper une coco ... Mais j'y pense, j'ai pas de robe de soirée dans mon sac, moi !
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