1. Circonvolutions

Le sourire d'Astou, jouant une partition de musique avec son klaxon, redonna du baume au cœur de Gaëtane. Elle entra dans le VW multicolore qui l'attendait sur le parking entouré de béton et de bitume de l'aéroport d'Orly, et instantanément, le froid de l'hiver parisien et la fatigue du voyage disparurent.

- Salut la Tahitienne. Parée à décoller ? Je t'amène dans notre atoll.

Le reggae rythmait le récit des derniers évènements : les plongées poissonneuses, le stop en voilier, la dimension de Kashew, le physique de Mathias (« attends : t'as laissé le beau brun aux cheveux longs et aux yeux bleus dormir seul dans sa cabine ? Alors qu'en plus, tu squattais dans le carré ? Mais t'es sûre que t'es humaine, meuf ? »), les chevaux en liberté, les cascades, les quarts sous les étoiles et bien sûr Gwen. Gaëtane n'avait pas fini de raconter la moitié des faits les plus marquants de ces deux derniers mois qu'Astou s'arrêta devant un grand bâtiment. Gris. Béton. Moche.

- Voilà, on y est. Prends ton sac, c'est ta dernière escale !

Gaëtane entra, d'un pas fatigué par le voyage, à la suite de son amie. A l'intérieur, le couloir d'un gymnase, avec le froid qui colle au nez et la parole qui résonne sur les murs qui ont jadis été blancs. A droite, par les vitres de la porte battante, elle aperçu la salle multi-sports, plus loin les vestiaires, sentant la sueur et l'humidité. Astou tourna à gauche, dépassa les WC (avec leurs portes enfoncées et taguées de mots et autres signes porno niveau collège) et ressortit par une petite porte dans une cour triste. Face à elle, une porte en ferraille moitié rouillée, et derrière ... Derrière : un entrelacs de trampolines, filets, trapèzes, cordes, tapis et le ballet d'acrobates qui voltigent, lancent, pédalent, sautent, jonglent, roulent, crient, chantent, rient.

Joli bazar orchestré par le brouhaha.

- Bienvenue dans ma tribu ! ... Hey, reste pas scotchée là, et rentre dans la caverne d'Ali Baba ! Viens, je vais te présenter.

Après les salutations aux membres du groupe qu'elle avait entraperçus derrière un écran à l'autre bout de la planète trois mois plus tôt et à d'autres qui s'affairaient dans des postures ou sur des engins étonnants, elle suivit Astou qui entra dans la pièce de l'autre côté. Un coin cuisine sommaire, une grande table, un buffet en formica et des étagères avec des couvertures.

- C'est notre lieu à nous, quand les cours sont terminés. Interdit aux stagiaires.

- Je suis privilégiée ?

- T'es la meuf de Corse qu'on a connue à Tahiti ! Avec un tel pedigree, t'es une bête de foire !

- Super !

- Cache ta joie ! Bon, tu te sers de ce que tu veux. Café, thé, sucre, biscottes, Prince choco, égrena-t-elle en ouvrant les tiroirs. Tu veux quoi ?

- Un Prince, mais plutôt charmant que choco.

- Y'en a plein la salle, des Princes ! Sinon, tu veux boire quoi ?

- Un verre d'eau. L'avion m'a desséchée.

- Bon je continue les consignes : ici, on fait la bouffe à tour de rôle. Ce midi, c'est au tour du Gros et ce soir c'est moi. T'a qu'à m'aider, ça nous rappellera les délires polynésiens !

- T'as de la farine ?

- Non, tu ne recommences pas avec ça ! Bon, on met tous les jours cinq euros dans la caisse, ça sert à faire les courses, précisa-t-elle en sortant une boite de gâteaux.

Pendant que Gaëtane cherchait son porte-monnaie, Astou continua :

- Pour dormir, ça se passe dans la salle, sur les tapis. Ca pue un peu la sueur, mais on ouvre les fenêtres pendant le repas et ça le fait. Il fait pas très chaud, mais on a un stock de couvertures. Et t'inquiète pas, tu ne seras pas toute seule, il y en a qui vont rester ici pour cuver. Chez moi, c'est trop petit pour que tu viennes et c'est tendu avec mes colocs en ce moment. Ton avion, c'est quand ?

- Après-demain début d'aprèm.

- Il y en n'avait pas avant ? Je te chasse pas, c'est juste pour toi, tu dois avoir hâte de rentrer, non ?

- Bof, je sais pas trop si j'ai hâte ou pas. Tu sais, je suis un peu décalée, là. Mais de toute façon, il faut que j'attende les résultats du test Covid. Faut pas trop que je tarde pour aller le faire, d'ailleurs.

- Et il se passe quoi, si t'es positive ?

- Ben, je reste ici, vu que je peux pas rentrer en Corse ! Et si vous ne voulez pas de moi parce que je suis contagieuse, je n'ai plus qu'à aller agoniser sous un pont !

- Ouais pas mal, tu devrais la refaire avec un ton plus déprimé. Bah, on verra, mais au pire, je t'envoie à la coloc à ma place, ahah ! Bon, en attendant, file faire ton test, et rejoins nous. Tu verras, le cirque, ça va t'aider à te virer ce crétin de ta tête. Parce que c'est à lui que tu penses là, non ?

- ...

- On débriefera de ça ce soir avec Péné. Elle est douée pour ces trucs là. Crois-en ma grande expérience ! Ah oui, je ne t'ai pas dit : elle a trouvé un taf, un vrai, mais elle rappliquera à l'heure de l'apéro, elle ne pouvait pas louper ta venue.

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