Partie 5
Love and loss - Two steps from hell
Secret Garden - Snow Ghosts
If i had a heart - Fever Ray
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" T'as déconné... "
Sa tête rebondit une fois, deux fois, avant de s'immobiliser sur le bitume et de voir Emma entrer dans son champ de vision, à contre jour sur le ciel blanc, totalement affolée, le regardant, incrédule, puis redressant la tête pour regarder au dessus ou derrière lui, il ne saurait dire. Il ne voit finalement que sa tresse dont le bout pend et s'agite près de son visage, de plus plus en plus lentement.
" Non, non, NON ! Reste avec moi Daryl !" hurle Emma, tombée à genoux près de lui, étendu au sol, alors qu'il ferme les yeux inexorablement.
Emma redresse la tête en entendant encore le grognement du rôdeur qui se redresse lentement, à deux mètres en face d'elle. Elle regarde sa main gauche recouvrant toujours le magnum. Mais après un rapide coup d'oeil circulaire, elle trouve un morceau de palette cassée, long, muni de quelques clous rouillés qui dépassent encore. Elle l'empoigne, décidée, avant de se mettre sur ses pieds, tandis que le cadavre fait déjà un pas pantelant vers elle.
Elle prend le bout de planche entre ses deux mains, clous à l'extrémité opposée, et s'approche du macchabée d'un pas plus rapide, avant de lui envoyer le long morceau de bois, telle une batte, en pleine tête, d'un mouvement ample, fort, chargé de toute la haine qu'elle peut ressentir contre la créature, contre le monde, contre elle-même.
Le rôdeur s'étale une nouvelle fois, la planche plantée par les clous sur le côté du crâne, bien mort cette fois.
" C'était TOI que je voulais toucher ! hurle-t-elle encore. Et rien que toi !" venant écraser la tête du mort à coups de pieds, la transformant vite en une bouillie sanglante.
Daryl avait surgi devant elle, au détour du conteneur, sans prévenir, mais un rôdeur était aussi apparu derrière lui. C'est bien la tête du mort qu'elle visait et non celle du chasseur. Et quand le coup est parti, elle n'a pas tout de suite compris pourquoi Daryl perdait l'équilibre en arrière, tout comme sa cible, derrière lui.
Essoufflée, elle revient vers son ami toujours inerte. Elle évalue la distance qui les sépare du pick-up à quelques mètres à peine. Récupérant son arme restée au sol, elle ne voit qu'une seule solution. Ne sachant pas où la mettre sans risquer de la perdre, et ayant besoin de ses deux mains, Emma glisse d'abord le semi-automatique dans la ceinture de l'homme. Puis, pliée en deux, elle attrape le chasseur sous les bras, noue ses doigts autour de son torse, et poussant sur ses jambes, elle le tire, à reculons, vers le pick-up, vers la portière passager restée grande ouverte.
Elle recule à petits pas rapides, un moment, progressant lentement, se fatiguant à vue d'oeil, tandis que ses bras lui tirent déjà sous le poids de l'homme inconscient. Mais ses doigts restent noués, regardant derrière elle, voyant son but approcher.
Elle parvient enfin à s'adosser au véhicule, se hisse et s'asseoit sur la banquette avant de tirer encore de toutes ses forces pour faire monter Daryl sur le siège. Elle heurte de sa jambe gauche, l'arbalète posée contre le tableau de bord qui tombe sur le plancher du véhicule. Ensuite, elle tire encore et toujours pour étendre son ami tant qu'elle peut sur le fauteuil. Les muscles de ses bras la brûlent, s'étirent, comme s'ils allaient se désolidariser de ses épaules. Elle arrive à hauteur du volant, s'asseyant correctement, la tête de l'homme sur ses cuisses. Soufflant un coup, elle va pour commencer à l'examiner, quand un nouveau grognement attire son attention.
Plusieurs rôdeurs ont été attirés par son coup de feu et ses cris. L'un d'eux avance vers la portière ouverte, déjà trop proche.
" 'Chier..." jure-t-elle en mettant le contact.
Elle braque le volant tout à gauche de ses deux mains et passe la marche arrière, puis maintient la tête de son ami de sa main droite, avant d'accélérer précipitamment.
Le gros véhicule recule rapidement en arc de cercle serré. Une partie du bric-à-brac, jonchant le sol, quitte l'habitacle. Des papiers volent, le bruit des petits bocaux de verre explosant au sol attire encore son regard, la faisant quitter des yeux le rétroviseur. In extremis, elle aperçoit l'arbalète glissant à son tour vers l'extérieur du véhicule.
" Non, non non !" refuse-t-elle.
Emma se penche sur le côté, tendant sa main droite qui maintenait la tête de Daryl la seconde précédente, pour tenter de retenir l'arc de l'arme du bout des doigts, écrasant à moitié son blessé contre elle, tout en appuyant du pied sur le frein, étirée en travers de la cabine, de tout son long.
Le véhicule s'arrête en calant. Elle se penche encore un peu pour attraper l'arme et passer l'arc tant bien que mal autour du levier de vitesse, disposant l'arme noire de travers, mais calée. Elle sait qu'elle risque de l'abîmer, de la déformer, mais n'en a cure sur le moment. Surtout que dans son champ de vision, des doigts décharnés surgissent sur la droite de l'ouverture, agrippant la portière ouverte, puis les chaussures de Daryl qui dépassent toujours un peu de l'habitacle.
Elle remet le contact sans lâcher du regard les doigts et le rôdeur, qui passe la tête au dessus des jambes de l'homme.
Marche avant.
Accélération.
Mais les doigts restent accrochés à la portière et Emma traîne le corps sur plusieurs mètres.
" LACHE NOUS BORDEL !" crie-t-elle, accélérant encore.
Puis, observant les bâtiments abandonnés, qui défilent tout du long de la rue, elle a soudain une idée. Elle remet la main droite autour de la tête de Daryl, comme si en le tenant contre elle, cela peut le protéger de tout, et accélère encore avant de faire une embardée sur sa droite en poussant un gémissement.
Le pick-up monte sur le petit trottoir et vient jusqu'à frotter la portière contre le coin du bâtiment en briques, dans un grincement strident, alors qu'elle va pour se refermer, butant contre les chaussures de Daryl.
Le corps pourri disparaît dans un bruit de déchirement humide quand la tête du mort percute le mur.
Emma fait descendre le véhicule du trottoir d'un nouveau coup de volant et roule encore quelques mètres, avant de s'arrêter dans une rue déserte de corps ambulants.
Le silence tombe enfin. Elle regarde droit devant elle une seconde. Elle sort du véhicule, posant la tête de son passager inanimé délicatement sur la banquette. En faisant le tour du véhicule, elle a la sensation désagréable d'avoir son pantalon mouillé sur le haut de ses cuisses. En s'inspectant une seconde, elle réalise que son jean est noir et trempé d'un liquide sombre. Elle regarde ensuite les doigts de sa main droite qui lui apparaissent maculées de rouge vif. Le souffle coupé, elle vient replier les jambes de Daryl tant bien que mal pour pouvoir fermer la portière passager qu'elle verrouille au préalable de l'intérieur, après avoir arraché d'un geste rageur, la main et l'avant-bras du rôdeur resté pendus à la poignée.
Puis elle revient à sa place, installant la tête du chasseur à nouveau sur ses jambes, avant de lâcher plusieurs sanglots qui lui secouent tout le corps sans un bruit, tandis que sa main droite serre à nouveau la tête du chasseur contre elle, les doigts le long de son cou et de sa nuque, comme une demande de pardon. Au bout d'un court moment, elle se reprend pourtant et dans un réflexe elle s'essuie le visage et repousse ses mèches folles, prête à passer à l'étape suivante, et la plus importante.
Avec un soupir de résignation, elle entreprend d'examiner Daryl. Elle fixe d'abord son visage immobile reposant sur ses jambes. Les yeux clos, elle aurait aimé croire qu'il dort paisiblement. Commençant délicatement son exploration du bout de ses doigts, elle découvre une plaie à la base du cou, à gauche, celle qui s'épand sur ses jambes. Elle pose deux doigts à l'opposé droit et trouve son pouls assez facilement, un peu rassurée. En enserrant son cou dans un pansement de fortune fait de serviette hygiénique et de drap déchiré, elle trouve aussi une bosse, grosse comme un oeuf de poule, à l'arrière de son crâne.
Pourvu que ce ne soit que ce coup qui t'ait fait perdre connaissance... pense-t-elle pour se rassurer.
Elle se tortille encore pour récupérer la seule petite bouteille d'eau sur le plancher, rescapée de leur fuite mouvementée. Elle humidifie un morceau de drap propre et humecte un peu les lèvres sèches de l'homme et son front qu'elle dégage de ses quelques mèches trop longues.
Encore quelques minutes de répit quand des rôdeurs viennent encore perturber la quiétude du quartier.
Déjà lasse, Emma met à nouveau le contact, conduisant le gros pick-up dans les rues désertes de toute vie, lentement, pour finir par sortir de la petite ville. La route traverse des champs abandonnés, des fermes dans des états de délabrements déjà bien avancés, puis quelques bois.
Dans sa panique, Emma n'a songé qu'à fuir, qu'à sauver leurs peaux, sans regarder la direction qu'elle a prise. Elle n'a voulu faire que demi-tour. C'est quand elle retrouve son calme qu'elle revoit la carte routière s'envoler par la portière ouverte.
" T'as raison... dit elle tout haut. J'ai vraiment déconné là..." un sourire amer aux lèvres, pour ne pas se laisser déborder par les larmes.
Elle roule encore, à vitesse modérée, essayant de trouver des points de repères qu'elle aurait déjà pu croiser, qu'elle aurait vus et donc enregistrés inconsciemment dans sa mémoire toute photographique. Mais elle réalise que depuis leur départ d'Alexandria, la veille, elle n'a pas fait véritablement attention à leur parcours, se contentant de conduire et de suivre les seules indications de son ami. Parce qu'au fond d'elle, elle était intimement persuadée qu'ils allaient finir par trouver Carol, et qu'ils rentreraient tous ensemble, tous sains et saufs, grâce à Daryl.
Elle n'a surtout pas envisagé qu'elle puisse se retrouver à nouveau livrée à elle-même, avec son ami blessé et inconscient sur les genoux, en prime. C'était tout bonnement totalement inconcevable à ses yeux. Et pourtant. Elle avait merdé dans les grandes largeurs.
Alors, comme toutes les autres fois où elle s'est retrouvée toute seule avant aujourd'hui, elle reprend sa méthode inconsciente : une chose après l'autre. Sauf quand de trop nombreux rôdeurs viennent brouiller tout son jeu.
" Il va faire jour encore pendant plusieurs heures... commence-t-elle à exposer, le ton presque léger. Ca nous laisse un peu de temps pour retrouver le chemin du retour", baissant ses yeux une seconde sur le visage de Daryl, toujours inconscient, blotti dans son giron.
Sauf que les bois, les champs, les hameaux, se succèdent, se répètent, reviennent sans qu'elle ne retrouve au moins une indication de la direction d'Alexandria. Emma se maudit de n'avoir jamais eu le moindre sens de l'orientation, ne serait-ce qu'à l'aide du soleil ou des rues. Et aucun lieu ne lui inspire le moindre souvenir, la moindre image, la moindre conversation.
Elle ne s'arrête pas, elle ne mange rien, elle garde l'eau qui leur reste pour Daryl, quand il se réveillera. Elle roule, et tourne au petit bonheur la chance dans ce dédale de routes ocres.
Elle réalise que le jour finit par décliner quand elle voit enfin le voyant de sa jauge d'essence clignoter rouge vif. Elle ignore depuis quand il se manifeste jusqu'à ce que le pick-up finisse par crachoter.
" Ok, ça je peux le faire..." coupant le contact en plein milieu de la voie, s'assurant que rien n'approche des bois, avant de descendre du véhicule.
Emma parvient à hisser le gros jerricane plein de gasoil hors de la plateforme arrière du pick-up, le posant enfin au sol devant le réservoir après quelques minutes d'effort. Elle réalise ensuite qu'il faut encore qu'elle soulève le récipient de plusieurs dizaines de kilos à hauteur du réservoir pour pouvoir y déverser le précieux hydrocarbure.
" Si ça me fait pas de l'entrainement, ça..." marmonne-t-elle, tenant le jerricane contre elle et enfournant l'adaptateur dans le réservoir.
Elle se hisse encore sur la pointe des pieds pour faciliter l'écoulement, sauf qu'en enlevant le bec verseur au bout de quelques secondes, du liquide se répand sur ses chaussures et éclabousse le bas de son pantalon. Elle ne peut retenir un juron en posant le jerricane à terre sans délicatesse. Mais elle renouvelle l'opération, afin de remplir le réservoir au maximum, avant de balancer le récipient quasi vide à l'arrière du véhicule.
Elle reprend le volant et roule jusqu'à ce que la nuit soit vraiment noire, et que la lueur des phares soient plus un danger qu'une sécurité.
Elle ne trouve aucun abri, aucun refuge pour camoufler un peu le camion. Seulement la route qui file devant elle, indéfiniment. Alors elle fait encore avancer le pick-up sur le bas côté avant de couper définitivement le contact.
" On va rester là pour la nuit... explique-t-elle, la voix résonnant doucement dans l'habitacle. Tu vas te reposer et je vais monter la garde..."
Elle retire sa veste qu'elle dispose sur l'homme, lui donne encore un peu d'eau, pose son petit couteau sur le tableau de bord devant elle, avant de glisser ses fesses de quelques centimètres en avant du siège, pour s'étendre un peu et disposer la tête de Daryl davantage sur son ventre. Elle n'ose pas aller dormir dehors, de peur de ne pas l'entendre au cas où il se réveillerait. Impossible de le laisser tout seul.
" Maintenant, ce serait bien que tu reviennes parmi nous tu sais..." dit elle encore doucement.
Mais elle ne distingue plus son visage dans la pénombre, une main posée sur son front humide, ne réalisant pas clairement son état fébrile avec la chaleur encore ambiante, jouant lentement avec quelques mèches entre ses doigts.
Puis elle attend. Son coude droit se replie sur ses yeux. Elle revoit toutes sa journée, les rôdeurs, l'essence, la voiture faisant des embardées et soulevant les volées de feuilles, le coup de feu qui claque à ses oreilles, comme tiré par quelqu'un d'autre, Daryl tombant au sol... les sanglots secs la secouent encore une fois violemment, pendant plusieurs minutes. Les heures passent, longues, lourdes, noires. Elle se redresse de multiples fois sans trop savoir où elle est, saisie d'une peur frigorifiante, restant à chaque fois les yeux grands ouverts, tendue, perdue.
Parfois, elle n'est pas seule. Lisa est assise sur les jambes du chasseur, naturellement, à sa droite.
" Même lui, t'auras réussi à le tuer... un grand gaillard comme ça ?! T'es quand même une championne du monde, hein ! la provoque la toute jeune fille, les cheveux lisses et sombres, le regard flamboyant, un sourire venimeux sur les lèvres.
- Je croyais que t'étais partie avec Deanna, Lisa... l'accueille Emma, sachant qu'elle n'est pas vraiment là.
- Je ne suis partie avec personne, Emmanuelle...
- Tu devrais... y a vraiment plus rien d'intéressant ici bas..."
Puis Emma sombre une nouvelle fois, sans en avoir réelle conscience.
" C'est quoi cette odeur..." maugrée une voix particulièrement rauque.
Elle sursaute encore, croyant avoir rêvé ces mots. Le ciel est à nouveau blanc à travers le pare-brise sale.
"Ca schlingue, sérieux..." continue la voix.
Elle baisse enfin les yeux pour tomber sur deux fentes bleues toujours installées sur ses jambes, interloquées.
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