Petit à petit
La nuit est pleine, l'heure s'est perdue dans l'obscurité. Calme. Si loin que ça pourrait n'être qu'une bourrasque, une voiture passe. L'orange du lampadaire est enveloppant, façon plaid chaud presque sucré tant il fait ronronner les membres fatigués. Un platane s'élance vers le ciel, tacheté à la manière d'une girafe, son tronc large mais squameux évoque solidité et vulnérabilité : l'écorce se détache par plaques ; ses branches forment un réseau labyrinthique en relief, fragile et sensible à la caresse d'un vent léger. Les feuilles frshhhh et le cœur d'Océane aussi. Quiétude. Oui le monde est terrible et aliénant, oui il concasse les êtres et broie les sentiments, mais au cœur de la tourmente, au centre de la ville, sur les mêmes lieux où un torrent d'humain•es se déverse quotidiennement, on peut trouver calme et paix, et beauté. Le monde n'est pas que souffrance : la créature gambade dans l'herbe humide, insouciante, et non, c'est une danse qu'elle déploie à sa façon, faite de tours et de pivots, d'arrêts brusques et de bonds, d'un pas lent comme un murmure et d'une course effrénée, d'intensité et d'indolence. Dans ce jardin miné de canettes et de mégots : la vie, le monde, une existence en enjambées rondes, l'espoir qui se frotte contre les jambes d'Océane et la réchauffe.
Et puis l'être se fige quelques secondes de trop, avant de s'approcher d'elle. Il semble attendre quelque chose. Elle sourit et se relève. Se tend de toute sa hauteur. Il se penche pour se mettre à son niveau, et elle dépose un petit bisou entre ses yeux et sa bouche. Puis elle hoche la tête. Alors seulement la créature étend ses bras de toute leur envergure, et ce sont des ailes et en trois battements elle a disparu dans les ténèbres rassurantes.
En rentrant chez elle, Océane se sent comme libérée d'un pic qui lui perçait le cœur ; il en reste, mais elle saura les retirer, un par un jusqu'à ce qu'elle puisse respirer sans qu'un éclat tranchant ne la traverse, remplacé ensuite par un éclat de lune. Alors enfin, elle pourra elle aussi danser le monde.
Il aura suffi d'un pas à chacun•e.
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