Chapitre 3 : Les premières notes
Je suis de retour devant cette maison, une semaine après ce cambriolage qui n'en était pas vraiment un. Tout dans ma tête me hurle que c'est une mauvaise idée. Pourquoi revenir ici ? Mais quelque chose me pousse. Peut-être la curiosité. Peut-être la promesse d'une vie un peu différente, même si je n'arrive pas encore à l'imaginer.
La grille est entrouverte, comme si elle m'attendait. Pas besoin de sauter ni de forcer quoi que ce soit cette fois. Je m'avance prudemment dans l'allée. Le jardin est toujours impeccable, et une brise légère fait frémir les branches du verger. Tout ici respire une tranquillité que je ne connais pas. Dans mon quartier, on vit dans le bruit : les klaxons, les cris, les rires, la musique qui s'échappe des fenêtres. Ici, c'est le silence, un silence presque oppressant.
La vieille dame m'attend dans l'entrée, appuyée sur sa canne. Elle porte une robe d'un bleu profond, et ses cheveux blancs sont encore tirés en un chignon parfait. Je remarque pour la première fois les rides autour de ses yeux, fines et élégantes, comme si elles racontaient une vie pleine de nuances.
— Bienvenue, Nathan, dit-elle avec un léger sourire. Je ne savais pas si vous viendriez.
Je hausse les épaules.
— J'ai dit que je viendrais.
— Et c'est une qualité rare, la constance. Entrez donc.
Je la suis à l'intérieur, dans cette maison qui semble plus grande encore à la lumière du jour. Les murs sont tapissés de cadres : photos anciennes, portraits peints à la main, certificats encadrés. Tout ici semble avoir une histoire.
— Asseyez-vous, dit-elle en désignant un fauteuil dans le salon.
Le fauteuil est si moelleux que j'ai l'impression de m'y enfoncer complètement. Elle disparaît un instant, puis revient avec deux verres d'eau et une assiette de petits biscuits.
— Avant toute chose, permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Élise Dufresne. J'ai 73 ans, et j'ai consacré ma vie à la musique. Je suis pianiste et professeure de chant, entre autres. Et vous, jeune homme, qu'aimez-vous ?
Sa question me prend de court. Ce que j'aime ? Je n'en sais rien, moi. Qui me pose ce genre de question, d'habitude ?
— Je sais pas, je marmonne. J'aime... survivre.
Elle incline la tête, comme si elle analysait ma réponse.
— Vous êtes honnête, c'est déjà quelque chose. Mais survivre, Nathan, ce n'est pas suffisant. Vous méritez plus que ça.
Je ne réponds pas. Ce genre de discours, je ne l'entends que dans les films ou les séries. Personne dans ma vie n'a jamais dit que je « méritais » quelque chose.
Elle se lève avec lenteur et m'invite à la suivre. Nous traversons le couloir, et elle ouvre une porte sur une pièce que j'avais à peine regardée la dernière fois : la salle de musique. Le piano à queue trône au centre, imposant et magnifique. Autour, des étagères remplies de partitions, des violons suspendus au mur, et même une harpe.
— La musique, commence-t-elle, m'a sauvé la vie, plus d'une fois. C'est une forme d'expression, un langage universel. Vous ne me croyez peut-être pas, mais je pense qu'elle pourrait vous aider aussi.
Je hausse un sourcil.
— Vous voulez que je joue du piano ou quoi ?
— Pas forcément. Je veux que vous trouviez votre voix. Peut-être au sens propre, peut-être au sens figuré. Je pense que vous avez des choses à dire, Nathan, mais vous ne savez pas encore comment les exprimer.
Ses paroles résonnent en moi d'une façon étrange. Une part de moi veut rire, tourner tout ça en dérision, mais une autre part, plus silencieuse, écoute.
— Essayez, dit-elle doucement, en me tendant une partition.
— Je sais même pas lire ce truc, je réponds, presque vexé.
— Alors, je vais vous apprendre.
Je m'approche du piano, mal à l'aise, et pose mes doigts sur les touches froides. Élise s'assied à côté de moi, son regard bienveillant mais exigeant. Elle joue quelques notes simples, puis me montre comment les reproduire. Mes doigts hésitent, glissent, mais elle ne se moque pas.
— Vous voyez, ce n'est pas si compliqué, dit-elle après un moment. Avec un peu de patience, tout s'apprend.
Je ne dis rien, mais quelque chose en moi s'adoucit. Pour la première fois depuis longtemps, je n'ai pas l'impression d'être jugé.
Ce soir-là, mes pensées sont un mélange confus. Qui est vraiment Élise Dufresne ? Pourquoi s'intéresse-t-elle à moi, un gosse de banlieue avec un casier judiciaire en devenir ? Je repense à ses mots, à ses gestes, à cette sérénité qu'elle semble avoir. Peut-être que je ne mérite pas cette chance, mais elle me l'offre quand même.
En rentrant dans mon quartier, les contrastes sont encore plus frappants. Les cris et les éclats de voix m'accueillent comme une vieille habitude. Hakim m'attend devant notre immeuble.
— Alors, t'étais où ? demande-t-il en allumant une cigarette.
— Nulle part, je réponds.
Il fronce les sourcils, mais ne pose pas d'autres questions. Chez nous, on ne s'embarrasse pas des détails.
Mais moi, je sais que je n'étais pas nulle part. Pour la première fois, peut-être, j'étais quelque part où je pouvais devenir quelqu'un d'autre.
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