Chapitre 2 : Une rencontre inattendue


La tasse de café devant moi fume encore, son parfum me rappelant celui des rares matins où maman trouvait le temps de préparer quelque chose avant d'aller travailler. Mais ici, dans cette cuisine impeccable où chaque objet semble avoir sa place, le café prend un autre goût. Il est doux, presque réconfortant, et pourtant je n'arrive pas à en avaler une goutte. Je reste figé, mes mains crispées autour de la tasse chaude.

La vieille dame s'assied face à moi, posant sa canne sur la table. Elle prend une gorgée de son café et me fixe, patiente, comme si elle avait tout le temps du monde. Ses yeux verts, qui auraient pu être intimidants, me donnent l'impression qu'elle cherche à comprendre, pas à juger.

« Alors, raconte-moi, dit-elle finalement. Qu'est-ce qui pousse un garçon comme toi à s'introduire chez moi à cette heure de la nuit ? »

Je reste silencieux, ma gorge nouée. Ses mots sont simples, mais ils portent un poids immense. Elle ne crie pas, ne menace pas, ne hurle pas à la police. Au lieu de ça, elle me demande de parler, comme si elle croyait vraiment que j'avais quelque chose à dire.

« Vous allez appeler les flics ? » finis-je par murmurer, la voix rauque. C'est la seule chose que je parviens à sortir.

Elle secoue la tête, un sourire mince se dessinant sur ses lèvres. « Pas encore. Je veux d'abord entendre ton histoire. Mais sache que tout dépend de ce que tu diras. »

Je sens une boule de chaleur monter en moi, mélange de peur, de colère et de honte. Pourquoi ne pas simplement en finir, me livrer à la police et passer à autre chose ? Pourquoi me donner cette chance ? Ce n'est pas comme ça que les choses fonctionnent dans mon monde.

« J'ai pas vraiment d'histoire, » dis-je en haussant les épaules. « Je fais ça pour vivre, c'est tout. »

Elle arque un sourcil, posant doucement sa tasse. « Pour vivre, dis-tu ? Tu sembles bien jeune pour avoir déjà abandonné l'idée d'une autre vie. »

Je ris, un rire amer qui me surprend autant qu'elle. « Une autre vie ? Vous savez pas ce que c'est, la vraie vie. Chez moi, y a pas de grandes maisons comme celle-là, pas de piano, pas de bibliothèque. Juste des murs froids qui s'effritent et des frigos vides. Alors ouais, je fais ce que je dois faire pour m'en sortir. »

Elle me regarde longtemps sans rien dire, comme si elle pesait chaque mot que je venais de dire. Puis elle se lève lentement et s'éloigne. Mon instinct me hurle de partir, de fuir avant qu'elle ne change d'avis, mais mes jambes restent ancrées au sol.

Quand elle revient, elle tient un cadre entre ses mains. Elle le pose délicatement sur la table. C'est une photo en noir et blanc d'une jeune femme, debout devant un piano. Ses traits me rappellent ceux de la vieille dame, mais son sourire est large, éclatant.

« C'est moi, il y a longtemps, » dit-elle en caressant le bord du cadre du bout des doigts. « La vie n'a pas toujours été simple pour moi non plus, tu sais. Mais la musique... la musique m'a sauvée. »

Je la fixe, intrigué malgré moi. Elle a l'air si sûr d'elle, si différente des vieilles dames que je croise dans mon quartier. Elle continue, sa voix douce mais ferme.

« Je veux te proposer quelque chose, Nathan. »

Mon cœur rate un battement. Elle connaît mon prénom ?

Elle devine ma surprise et sourit légèrement. « J'ai regardé dans ton sac pendant que tu étais figé dans le hall. Une carte de bibliothèque avec ton prénom. Ne t'inquiète pas, je n'ai rien pris d'autre. »

J'aurais dû me sentir trahi ou furieux, mais au fond, je suis juste fatigué. Fatigué de jouer un rôle, fatigué de courir et de me cacher.

« Voilà ma proposition, » reprend-elle. « Je ne vais pas appeler la police. Mais à une condition. Tu viens ici chaque semaine, et tu apprends. »

« Apprendre quoi ? » je demande, méfiant.

« La musique, bien sûr. Tu dis que tu n'as rien. Eh bien, je vais te donner quelque chose : un moyen de t'exprimer, de construire autre chose que ce que tu as connu jusqu'à présent. »

Je la dévisage, incrédule. « Vous êtes sérieuse ? Pourquoi vous feriez ça ? Comment pouvez vous être sur que je reviendrais ? »

Elle soupire, son regard se perdant dans le vide. « Parce que je crois que tout le monde mérite une deuxième chance. Même toi. »

Quand je quitte la maison cette nuit-là, le sac à moitié rempli et la tête pleine des questions que me pose Hakim, je ne suis plus tout à fait le même. Dans le train qui me ramène à la maison, je ne peux m'empêcher de penser à ses mots. Une deuxième chance. Cela fait longtemps que personne ne m'en a offert une. Peut-être que je ne la mérite pas. Mais une partie de moi, enfouie sous des couches de cynisme et de colère, veut y croire.

Et c'est là, alors que les lumières de la ville défilent à travers les vitres sales du train, que germe une idée. Peut-être que cette vieille dame a raison. Peut-être que, pour une fois, je peux essayer quelque chose de différent.

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