Scène 10



Thomas et Anna reviennent ensembles, trempés. Anna a son téléphone en morceaux dans la main.

Alexis : Vous n'avez pas retrouvé Alice ?

Thomas : Je pense qu'elle n'a pas envie d'être retrouvée.

Valentin : Elle n'a pas envie de te retrouver.

Thomas l'ignore. Thomas et Anna s'isolent dans un coin de la pièce pour se sécher.

Anna abattue : Je ne sais pas ce que je vais faire. J'ai des clients qui vont s'inquiéter. Et je vais devoir m'acheter un nouveau portable, maintenant.

Thomas : Tu veux qu'on en parle ?

Anna : De mon téléphone ?

Thomas : Non, de tes clients.

Anna : Il n'y a pas grand-chose à dire. Et il n'y a pas de pitié à avoir.

Thomas : Ce n'est pas de la pitié, seulement de la curiosité.

Anna : Ah...

Silence.

Anna : J'aime ça. C'est rare mais j'ai la chance de pouvoir le dire, alors j'insiste : j'aime ça. Ça me fait découvrir du monde, je ne reste pas chez moi à rien faire. Et puis, c'est pas comme si c'était désagréable, c'est mieux qu'être à l'usine. De toute façon, c'était soit ça, soit passer le reste de ma jeunesse plantée au milieu d'un amphi de psychologie. Le choix n'était pas bien compliqué.

Thomas : Je comprends bien.

Anna : Je me sens même importante, j'ai l'impression de faire quelque chose de bien. Je croise des hommes tellement tristes, tellement plus tristes que moi. J'essaye de les aider. J'ai déserté mes cours de psychanalyse, mais il me reste le peu que j'ai, ma propre méthode.

Thomas : C'est donc un service ?

Anna : Oui, c'est exactement ça, un service. Un corps prêté pour de l'argent rendu. Je fais l'amour comme ils me font la charité. Parce que, c'est vrai, ça paye bien. Je suis jeune, belle, et j'ai de la discussion, alors je peux faire monter les enchères. Cent euros la demi-heure, cinq cent la nuit. C'est colossal, presque indécent, alors pourquoi s'en priver ? Tu t'en priverais toi ?

Thomas : Moi ? Je ne sais pas, ça n'a aucune importance. Mais tu n'as pas à te justifier, tu sais.

Anna : Je sais, mais j'en ai envie.

Thomas : Envie ?

Anna sur un ton de concession : Besoin, j'en ai besoin. Il y a des jours, quand j'ai cet argent entre les mains, quand j'entends la voix sanglotante d'un client collée à mon oreille, quand je sens leur sperme chaud entre mes cuisses, je me sens tellement sale. J'ai des raisons de le faire, j'ai de très bonnes raisons, mais j'ai peur que ça ne me suffise plus. Ca fait tellement longtemps que je n'ai pas joui, même seule. Je ne peux plus me toucher, plus avoir de plaisir, j'ai juste l'impression de faire des heures supplémentaires. Mon sexe est souillé, et je me sens sale.

Thomas : Tu sais, moi, la saleté, je trouve ça beau.

Alexis se lève pour aller mettre de la musique puis retourne avec Valentin pour danser et l'embrasser. Anna s'approche de Thomas.

Anna : Moi, ce que je trouve beau, c'est ton regard. Je l'ai vu tout à l'heure, sous la pluie, ce regard inquiet, plein de détresse et de gouttes. T'es peut-être chiant, mais t'es sincère.

Thomas : Tu aimes la sincérité ?

Anna : Sans sincérité, il n'y a pas de confiance.

Thomas : Moi, ce que j'ai trouvé beau sous la pluie, c'est tes seins. Ton haut trempé qui collait à ta poitrine, qui la moulait. Vraiment, j'adore tes seins.

Anna commence à déboutonner la chemise de Thomas.

Anna : Tu les adores plus qu'Alice ?

Thomas ignorant la remarque : Et tes fesses ! Mon dieu, tes fesses ! Presque aussi belles que tes lèvres, j'ai tellement envie de les embrasser ! Adrien avait raison, rien de plus excitant que la vulgarité !

Anna : Tu me trouves vulgaire ?

Thomas : Oui, magnifiquement vulgaire !

Anna : Tu as envie de coucher avec moi ?

Thomas : Non. Mieux. J'ai envie de te baiser.

La chemise de Thomas tombe sur le sol. Anna et Thomas s'embrassent.

Thomas : Ta salive a un goût de décadence. Tout ce qui me manquait !

Ils continuent de s'embrasser. Alexis et Valentin aussi. Après quelques minutes, Alice revient, épuisée et trempée. Elle a du mal à marcher et doit se tenir aux murs. Personne ne la remarque. Finalement, elle se sert un verre d'alcool.

Alice en essayant de se faire entendre de Thomas au-dessus de la musique : C'est ridicule. Je voulais me casser pour de bon, mais j'ai été prise d'une migraine. J'ai marché quelques mètres, je suis tombée, puis j'ai fait demi-tour. Tu dois trouver ça risible.

Personne ne l'écoute, tout le monde continue de s'embrasser.

Alice : Moi aussi.

Alice s'écroule sur un fauteuil puis porte une main à son front.

Alice : Est-ce qu'on pourrait baisser la musique, s'il vous plait ?

Aucune réaction.

Alice : La musique, j'ai mal au crâne !

Aucune réaction.

Alice hurlant et pleurant : Baissez cette putain de musique !

Tout le monde se retourne vers elle. Alexis se précipite pour couper la musique. Alice à la tête au creux de la main, les yeux fermés. Silence.

Thomas : Ca ne va pas de hurler comme ça, Alice ! Tu as fais peur à tout le monde, tu as tout gâché !

Aucune réaction d'Alice.

Thomas : Allons, tu sais que ce n'est pas important. Tu sais que ce n'est que du sexe.

Elle ne répond pas.

Thomas : Alice, c'est une pute ! C'est une pute, et pas toi ! Alice, ce n'est qu'une question de sein et de fesses !

Aucune réaction.

Thomas : Alice, réponds moi ! Tu vois bien que je ne l'embrasse pas comme toi, que je ne la touche pas comme toi ! Tu vois bien que c'est différent ! Tu vois bien que je t'aime ! Alice !

Alice : Thomas, si tu pouvais arrêter de crier, j'ai vraiment mal à la tête.

Thomas : Tu es ridicule ! Tu essaies de me blesser par ton indifférence mais à la fin, c'est encore toi qui va finir avec des médicaments pleins la bouche.

Alice : Mais t'es con, en fait !

Elle se lève difficilement.

Alice : Maintenant, j'aimerais me reposer.

Elle commence à se diriger vers le couloir.

Thomas : Ça ne sert à rien de participer à des orgies lorsqu'on est jalouse !

Alice se retourne, agacée.

Alice : Moi ? Jalouse ? Mais jalouse de qui ? D'elle ? De Laurine ? Elles veulent coucher avec toi ? Mais grand bien leur fasse ! Je serais très heureuse pour elles si tu arrivais enfin à leur procurer ne serait-ce qu'un frisson !

Thomas : C'est fou à quelle point tu peux être cruelle quand c'est ton envie qui parle !

Alice : Ce n'est pas mon envie qui parle mais mon honnêteté ! Tu peux leur rouler des pelles, leur malaxer le cul, les sauter toute la nuit, j'en ai rien à foutre. Je sais que ça ne te fait pas plaisir, mais rien. Ça ne me fait rien du tout. Pas de pincement au cœur, pas d'estomac lourd, pas de paupières humides. Rien, tu ne me fais plus rien.

Thomas : Tu mens !

Alice : Thomas, j'ai vraiment besoin de m'allonger.

Thomas affolé : Pourquoi tu mens, Alice ?

Alice : Non, je ne mens pas, c'est la vérité. Ce n'est même pas de la haine ou du désespoir. Juste de l'indifférence. Rien de plus, rien de moins. De l'indifférence, c'est tout.

Thomas : Alors je n'existe plus pour toi ? Putain, mais c'est insensé !

Alice épuisée : Ecoute Thomas, t'as voulu prendre le risque d'organiser cette foutue soirée, tu as voulu nous pousser à bout, tu as voulu me pousser à bout. Et voilà le résultat. Rien d'autre à dire. Ce soir, je ne t'aime plus.

Thomas : C'est à cause de cette soirée ?

Alice : Non, c'est à cause de toi.

Thomas : Mais ce n'est que du sexe, Anna ! Que du sexe !

Alice : Mais merde Thomas ! Si ce n'est que du sexe, pourquoi tout ça ? Pourquoi cette discussion ? Pourquoi tu me hurles dessus comme si je venais de mourir ? Si ce n'est que du sexe, pourquoi tu ne t'occupes pas d'autre chose ? Bordel, regarde autour de toi ! Tes amis fondent en larme, Laurine vomit à travers tout l'appartement, ta copine devient folle, et toi, toi avec ton esprit si raisonnable, tu ne penses qu'à baiser ! Donc tu vois, tout ça, ce n'est pas à cause de cette soirée Thomas, c'est à cause de toi. Seulement de toi. Surtout à cause de toi.

Thomas : Mais pourquoi je...

Alice lui coupant la parole, faiblement : Je ne me sens vraiment pas bien. Laisse-moi tranquille.

Elle se dirige vers le couloir en titubant.

Alice difficilement, comme pour elle-même : Si le sexe est la base du monde, pourquoi s'en préoccuper ? Pourquoi est-ce que tu me ne me laisses pas tranquille ? Pourquoi est-ce que personne ne laisse personne tranquille ? Pourquoi est-ce que...

Alice fait un malaise et s'écroule sur le sol. Tout le monde se précipite sauf Valentin qui reste à moitié allongé sur le canapé.

Thomas : Alice ! Alice, réveille-toi !

Alexis : Tout va bien, c'est juste un malaise. Il va juste falloir lui trouver un lit et un verre d'eau.

Thomas : On va l'emmener dans notre chambre.

Thomas se redresse, affolé.

Thomas : Mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

Anna sur un ton de reproche : C'est ce qui arrive quand on veut ne se taper rien qu'une pute.

Thomas ne réagit pas. Thomas, Anna et Alexis emmènent Alice dans le couloir. Maintenant, seul, Valentin se lève et fume une cigarette en se regardant dans le miroir.

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