[Etape 2] Alberta_Mars
Voici donc la nouvelle de Alberta_Mars .
Arriverez-vous à deviner la cover dont elle s'inspire? ;)
Je me suis toujours tenu debout.
Pourtant, j'en suis maintenant incapable, forcé de gambader à quatre pattes comme un simple nourrisson. A ceci près que je file comme l'éclair.
Je cours si vite que le vent me fouette le visage de ses plaintes avides, que les arbres sombres autour de moi se brouillent et que mes muscles brûlent si douloureusement que chaque foulée me coûte.
Vous allez me demander où je vais.
Et je vous répondrai que je n'en sais strictement rien.
Je ne cours pas sans but, non. Mon objectif se trouve tout proche, j'arpente la forêt pour l'atteindre.
Son odeur est partout, sur le sol de terre couvert de feuilles mortes, contre le bois des arbres, entre les feuilles éparses.
Une odeur forte qui enivre mes narines. Indéfinissable, elle m'évoque pourtant des pâturages d'un vert interpellant, ponctué de tâches blanchâtres.
Cette senteur, elle m'a suivi toute ma vie. Elle m'entourait, se déposant sur ma peau, sans être aussi prononcée que celle que je renifle à présent.
Dorénavant, je sens la pluie drue, je sens l'écorce humide, je sens la forêt.
Depuis cette nuit où je suis contraint de marcher à quatre pattes, je ne suis plus le même. Et je n'y trouve aucune explication.
Alors je continue ma traque, parce que je sais que c'est elle qui m'apportera les réponses que je cherche.
Les branchages me fouettent les flans, mais je persévère : la fragrance est plus puissante depuis que j'ai bondi au-dessus de cet énième rocher aux arrêtes tranchantes.
Toute proche, elle est à la fois à portée de main et inatteignable. Le nez en l'air, j'accélère encore le pas.
Au détour d'un large chêne au tronc aussi sombre que solide, elle disparaît comme elle est apparue, comme le murmure fantôme d'un songe éphémère.
Je grogne de dépit. J'ai beau renifler tous les coins, revenir sur mes pas et grogner de rage, je sais bien que j'ai raté le moment opportun. Peut-être que j'y suis condamné.
Le même manège se produit depuis que je suis dans cet état. Je rate toujours ma cible, et toujours, je me sens suivi. Personne ne m'épie directement, mais je sais que quelqu'un – plusieurs quelqu'un – poursuit ma trace.
Cette deuxième odeur me hante, bien qu'elle soit lointaine. Elle pétrifie mes muscles et aiguise mon instinct.
Je n'ai pas la réponse au "qui". Mais je connais celle du "pourquoi".
Pour eux, j'ai tout bonnement disparu du jour au lendemain, sans laisser de traces. Fantôme ou bête sauvage, ils cherchent un coupable dans la forêt, sans se douter que la raison de ma propre absence n'est autre que moi.
Il ne savent pas qui je suis, mais traquent ce qui rôde dans les bois.
Toujours à quatre pattes, je m'approche d'un étang entouré de roseaux ondulant sous la légère brise du soir.
Je m'arrête soudainement, à quelques pas de la surface aquatique. Ce n'est plus le parfum ou mes poursuivants qui occupent mes pensées. Mon esprit est à présent focalisé sur l'eau.
Je vois parfaitement les roseaux et les branchages loin au-dessus de ma tête sur l'étendue d'eau. Et je sais pertinemment que je m'y refléterai à mon tour à l'instant où je m'avancerai pour boire.
Depuis la nuit de pleine lune, j'ai évité les grandes étendues d'eau, préférant m'abreuver dans d'étroites flaques d'eau boueuse. Pas très judicieux, certes.
Mais je ne voulais pas avoir à affronter mon reflet.
Parce que ce serait regarder la vérité en face. Au fond de moi, j'ai su dès l'instant où j'ai changé ce que je suis devenu.
Seulement, je n'ai pas voulu me l'avouer. J'ai essayé de minimiser la situation. Maintenant, celle-ci pèse lourd sur mes épaules fatiguées.
La vérité est parfois un fardeau.
M'y confronter m'en libérera peut-être. Ou elle m'accablera plus encore. Ces deux idées tiraillent mon esprit dans tous les sens depuis des jours, me rendant méfiant de mes propres pensées.
J'ai peur. Je suis effrayé par ce que je suis devenu. Je crains ma propre réaction. Je suis angoissé de ne pas avoir changé seulement extérieurement, mais aussi d'être devenu un lâche.
Alors, du pas le plus tremblant qu'il soit, plus difficile que tous ceux que j'ai enjambés pour parvenir ici, je m'aventure au bord de l'étang.
Sur la surface trouble, renvoyant mes propres émotions, mon reflet m'attend.
Je plonge mon regard dans les yeux qui me fixent et regarde la vérité en face.
***
Claudiquant, il s'avance au milieu de la plaine. Ses jambes s'emmêlent dans les herbes folles battues par le vent.
Il halète, tirant son corps bien trop lourd pour lui. La vue brouillée, il discerne peu à peu une construction de pierres, bien laide comparée à la nature l'entourant.
Un semblant de rictus déchire son visage, laissant échapper son grognement de plaisir. Aussitôt, il s'interroge. Ses pas l'ont mené jusqu'ici sans qu'il ne sache pourquoi.
Mais cela n'a pas d'importance. Ses pieds connaissent ce chemin qu'ils ont du fouler des centaines de fois. Cet endroit, aussi peu accueillant à ses yeux, a son importance, il le sent au fond de lui.
Se traînant jusqu'à la porte de bois, il s'introduit dans la demeure.
Malgré son odorat moins performant qu'avant, il reconnait aisément une odeur animale. De leurs drôles d'yeux jaunes, des créatures appétissantes le dévisagent.
Il se redresse, à l'affût, prêt à bondir sur elles si elles essayent de fuir.
Les bêtes n'en font rien, se contentant de bêler et de recommencer à brouter la paille recouvrant le sol et accrochant à leur fourrure épaisse.
Avec un peu de bon sens, les steaks sur pattes auraient du s'enfuir à sa simple vue.
Mais après tout, la seule issue leur est bloquée par l'intrus. Aucun mouvement de panique ne se propage et les gibiers l'oublient aussi vite qu'il est apparu.
Vexé, il grogne d'un borborygme pour les alerter. N'ayant aucun effet, il se redresse de toute sa hauteur en prenant appui sur l'entrée du bâtiment, comme il a vu d'autres animaux faire.
Il devrait paraître menaçant. C'est en tout cas ce sentiment qui l'habite quand ces étranges créatures dépourvues de fourrure exceptée la touffe sur leur tête passent un peu trop près de lui.
Les bestioles en face de lui ne remuent que pour mieux paître. Découragé, il n'a même plus envie de les dévorer. Il se contente de s'effondrer par terre pour se gratter l'encolure.
Un morceau de fourrure rêche l'en empêche, il l'arrache d'un coup de dents. Peu aiguisées, celles-ci raclent douloureusement l'étoffe avant de la déchirer.
Depuis l'ombre d'un ballotin de paille, un animal différent du reste du troupeau l'observe. Plus petit que lui, il est son parfait portrait si l'on omet le fait qu'il est de pelage plus sombre et que ses oreilles sont tombantes.
L'intrus se redresse. Le chien à l'odeur musquée semble avoir remarqué que quelque chose cloche dans le comportement inhabituel de celui qui était son maître. Le second redresse les babines, grognant pour faire peur au gardien des lieux.
Celui-ci s'apprête à riposter mais réalise au même instant qu'il est vidé de ses forces et que son corps est faible, tellement inutile. C'en est ainsi depuis plusieurs jours.
Alors il bat retraite, l'une des rares fois durant sa courte vie, quitte la demeure, traverse la plaine herbeuse, s'engouffre dans la sombre forêt.
De son pas maladroit, il parcours le bois, abattu. Son ventre gargouille, il n'a pas englouti quoique ce soit depuis des jours. Son estomac est lourd, il pèse comme un poids mort.
A mesure que le soir tombe, les arbres se font menaçants, leurs branches deviennent des griffes. Autour de lui, les bruits de la forêt l'effraient. Ils l'avaient toujours bercé, ils lui prouvent à présent combien il est devenu faible.
L'échine basse, il erre jusqu'à une petite clairière où repose un lac sur lequel se reflète la lueur cadavérique de la lune.
Sur la rive opposée, l'attend une silhouette familière.
***
La scène leur est déjà connue. Quelques jours plus tôt, elle s'est déjà produite ailleurs.
Chacun ressent au même instant une force les arracher douloureusement à leur corps pour les projeter l'un contre l'autre au-dessus du lac. Loin de se heurter, ils ne font que se traverser pour rejoindre la rive en face d'eux, où il réintègrent d'un soubresaut leur corps.
De part et d'autre de l'étang, ils se redressent difficilement. Ils ont l'impression d'avoir traversé un miroir pour remplacer leur reflet.
Ils se souviennent de cette sensation, à présent. Comme la première fois, leurs regards s'aimantent.
Ils se toisent, aussi immobiles et silencieux que les arbres autour d'eux.
Chacun sait qu'il est à nouveau lui-même. Mais dans les yeux de l'autre, la façon dont il voit son propre reflet a changé.
Vivre dans le corps de l'autre les as rendus différents. Meilleurs ou pires, c'est à eux d'en décider.
Ils n'ont pas simplement retiré expérience et témérité, mais aussi le lien qui les uni à présent.
Ils ont été l'autre, l'autre à été eux. Une partie du loup vit en l'homme, une partie de l'homme vit en le loup. Les deux êtres ne forment plus qu'un, unis à travers leurs différences.
Brisant le silence qui bourdonne à leurs oreilles, le bruit lourd d'un cor traverse l'air et fait vibrer la forêt autour d'eux.
La chasse a commencé.
Les oreilles pointues et duveteuses du loup blanc s'agitent nerveusement. Il sent les villageois fouiller la forêt à sa recherche. Le soi-disant coupable. Les odeurs du feu brûlant les torches, de la rouille des fusils et de la sueur des chevaux chatouillent les narines du berger, alors qu'aucun autre homme n'aurait été capable de les percevoir.
Les deux paires d'yeux de l'humain et du loup se fixent toujours, sans presque jamais ciller.
N'importe qui serait partit de son propre côté, abandonnant l'autre sans demander son reste, pour assurer sa survie personnelle.
Pas eux.
D'un mouvement inattendu, ils s'élancent dans la même direction. Ensemble. Car c'est ce que font les frères.
Leurs muscles tout d'abord rouillés, ils prennent vite goût à la course. Pattes fourbues, flancs palpitants, dos courbés, langues pendantes, sueur coulante, loup et homme courent comme jamais ils n'ont couru.
Le paysage défile tellement vite autour d'eux qu'ils ont l'impression de voler à quelques centimètres du sol. Paradoxalement, le temps semble se suspendre à chaque instant où leurs regards se croisent. Des loups ailés, ça n'existe pas, non ?
Derrière eux, l'odeur des hommes s'est rapprochée. La lueur des torches se reflète sur les feuilles sombres. Les cris de guerre retentissent, provoquant les multiples bruissements de la fuite des oiseaux à travers la canopée, poussant des cris effarouchés.
Les deux comparses n'ont pas peur. L'adrénaline et leur confiance mutuelle parcourent leurs veines au rythme effréné de la course. Ils ressentent la même excitation qui masque leur fatigue, les rendant capable de parcourir le monde entier sans s'arrêter.
Forts de leur union, ils bondissent au-dessus des fourrés, battent de leurs pattes et pieds le sol terreux, franchissent de larges ruisseaux, escaladent les troncs renversés qui essayent vainement de les stopper et courent sans jamais s'arrêter.
Les poursuivants ne sont pas loin, tenant le rythme rapide grâce à leurs chevaux, déterminés à punir le coupable. S'ils voyaient l'étrange spectacle qu'offre la course commune du loup et de l'homme, ils en lâcheraient leurs armes. Cette pensée traversant l'esprit du berger arrache un semblant de sourire à la bête dont les babines s'étirent.
Au terme de leur course effrénée, ils aperçoivent enfin leur destination à l'orée du bois.
D'un commun accord silencieux, le loup patiente à couvert entre les arbres tandis que l'humain continue de cavaler sur le chemin de terre battue serpentant à travers les hautes herbes, couvrant la plaine de leur épaisse fourrure entre le vert et le jaune.
Guidé par la seule lueur de la pleine lune loin au-dessus de sa tête, le robuste berger arrive à destination. Devant lui se dresse une maison à un étage, dont la façade pâle et terne renvoie le seul éclairage.
Mais ce n'est pas ce qui l'intéresse.
L'homme peut presque sentir en étirant son esprit, comme il tendrait la main vers son bouillon après une dure journée de labeur, le loup trépigner à l'orée de la forêt.
Alors, ne perdant plus un seul instant, tandis que les bruits de la traque se rapprochent, le berger contourne la maison – sa maison, devenue banale à ses yeux – et se dirige vers le second bâtiment, dissimulé derrière la première construction.
Il pousse doucement la porte de la bergerie et porte un regard à la fois craintif et nostalgique à l'intérieur. La haute fenêtre trouée à l'opposée de l'entrée sur le mur de l'unique pièce déverse son flot paisible de lumière lunaire sur le sol de paille plus désordonné qu'à l'habitude.
Blottis les uns contre les autres pour se tenir chaud, moutons, brebis et agneaux se pelotonnent, dormant à sabots fermés. Hissé sur un bloc de paille, le fidèle chien beige du berger veille sur leurs protégés. Malgré l'absence de son maître, il reste fidèle à son poste.
En l'apercevant, le canidé vient à sa rencontre. Il renifle de sa petite truffe brillante et semble satisfait de ce qu'il sent puisqu'il réclame les caresses de son maître.
Le berger sourit en s'accroupissant pour flatter le flanc du chien. La compagnie de l'animal lui a manqué bien plus que ce qu'il aurait pu imaginer, dans la solitude de la forêt.
Soudain, le chien se redresse, crocs en avant et oreilles aplaties, il grogne en direction de l'entrée de la bergerie. Dans l'encadrement, à contre-jour, se détache la silhouette du loup.
Sans que le berger n'aie besoin d'influer sur son nouveau frère, celui-ci baisse la tête, se soumettant au chien. Si le loup blanc a retenu quelque chose de sa drôle expérience, c'est bien que chercher la bagarre est inutile.
Satisfait d'une part par la tranquillité du loup et par son odeur qui lui est étrangement familière, le chien se décale en trottinant, autorisant l'animal à entrer.
Homme et loup se dirigent vers le fond du bâtiment plongé dans une pénombre moite, où ils se dissimulent derrière une large botte de foin.
Au loin, résonnent les cris des traqueurs, poursuivant leur battue sans se douter que, confortablement installés l'un auprès de l'autre, les frères loups sont dans la bergerie.
Voilà la fin de cette intrigante et jolie nouvelle!
Des avis, remarques ou conseils à donner à l'auteur?
Paillettes_Perfides
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top