Part à pluie
Tous les jours, Merry attendait la pluie.
Elle s'enfuyait par la petite porte, depuis que le chêne grandissait près des lattes de bois sur lesquels elle s'asseyait, quand elle voyait par la fenêtre les nuages s'amonceler. Elle courait entre les tronc et les feuillage, s'engouffrait dans une ouverture qui débouchait dans un espace isolé, et commençait doucement, lentement à grandir sur le banc, seule avec l'arbre.
Merry quittait sa maison le soir pour partir chez elle. Sous le chêne et la pluie, sur le banc et sur la terre battue. Elle aimait se protéger des yeux scrutateurs des gens et du soleil sous l'ombre du colosse abandonné, à l'écorce vivement écorchée, gravée par les années et les badauds qui ont désertés l'endroit. Et elle attendait ainsi l'eau qui dégoulinerait sur son paysage, afin de savourer la fraîcheur salutaire s'étendre sur son visage, ruisseler dans les profondeurs de son être pour les laver de ses fautes. Elle laissait le ciel déverser les torrents qu'elle ne pouvait humainement engendrer, abandonnant ses yeux qui coulait en une substance liquide qui débordait sur les tapis verts, sur ses joues, creusant leurs sillons dans son cou, dans le tissu en formant des tracés sinueux.
Mitra n'aimait pas la pluie. Mitra aimait la moiteur du soleil.
A chaque fois que l'averse s'annonçait, Mitra s'enfermait dans son antre, et attendait la fin de son passage en l'écoutant marteler son âme et frapper contre le carreau, en un millier de cailloux qui l'écorchent et divisent le temps tant que la rincée s'abat.
Dès que les douleurs avaient trouvé leur abri en la compagnie de Mitra, tissant en ses profondeurs de mortelles correspondances, la pluie avait transformé ses souvenirs en séries de photographies délavées, et toute souvenance du temps passé s'écoulait en son sein comme une traînée décolorée. Dans un surprenant paradoxe, la chaleur lumineuse, que Mitra ne savait pas fugace, glaçait plus qu'elle ne réconfortait ses humeurs, et en cela son attitude était plus celle d'un animal s'enfuyant dans son terrier pour retrouver le froid, plutôt que pour passer l'hiver dans l'attente des beaux jours. Malgré tout, Mitra sortit dans l'après-midi sans savoir où aller, comme si jouer à se perdre lui ferait se retrouver.
Alors que Mitra se perdait sur les flancs du coteau, remontant les collines qui surplombent le terrain vaste de la fourmilière humaine, les limbes tombant du jour commencèrent à se détacher de leur trame, et Mitra maudit le ciel qui crachait désormais sur son manteau, et détrempait le paysage. Ses pieds volaient au-dessus des herbes jusqu'au point le plus haut, jusqu'à s'arrêter à la commande de ses yeux devant cette vision absurde. L'enfant accroupi qui se tenait non loin des branches du gardien se laissait couler dans le vert, jambes croisées, les vêtements entourant mollement sa silhouette gracile, les cheveux dénoués, se laissait passivement malmené par la bourrasque. Une rivière s'écoulait dans son dos et sur son visage levé, qui se détourna de son rôle d'offrande, et sourit au fantôme mouillé qui constituait Mitra.
Et, depuis ce jour, les tableaux qui représentait ses visions d'enfer gris se transformèrent subtilement, tantôt dépeignant la face pâle qui s'orientait vers les espaces lointains au-dessus de leur tête, radieux comme un tournesol virant son coeur dans le giron du soleil, tantôt se transformant en larmes de Merry, en torrents de Merry, en paroles de Merry, en guenilles dégoulinantes de Merry. D'ailleurs, elle ne comprenait pas, la première fois que leur présences ont fait sortir les mots de leur esprit, pourquoi Mitra cherchait tant à s'abriter de l'ondée. Mitra répliquait qu'on ne pouvait aimer ces longs suaires qui s'étirent sur les environs et qui dégoulinent en linges qui se tordent, asphyxient les maisons, et font glisser les gens sur les routes, font glisser les gens sur la vie, font glisser les gens dans la mémoire...
Non, Mitra attendait que le soleil vienne dessécher sa peine, pour faire revivre ses cadavres aux couleurs passées qui traînaient sous le sol, dans son cerveau et dans un tiroir. Mais Merry a fait parler son âme, et Merry lui a demandé de la tordre, de laisser le torrent dans son esprit s'écouler de sa bouche et de ses yeux. Et elle a aussi tordu son âme, lui a fait voir la beauté des milles astres qui se baignent le soir, des confessions qui se renforce lorsque le jour décline et s'épuise, des vagues bruissant sur ses épaules la nuit, assise sur le bois détrempé, la beauté de ses mots et de son âme chuchotant sous la voûte de feuilles qui tombait en une arche suintante et bienveillante, ses éclats de lumière qui poursuivait Mitra dans ses promenades, riant dans les restes de leur enfance. Et c'est à Merry de dire que, après le déluge, le soleil serait toujours plus beau une fois la giboulée passée.
Et c'est ainsi que pour Mitra, Merry est devenue le soleil.
Et leurs adolescences ont fait mourir leur enfance, leur corps et leurs esprits grandissaient comme deux mauvaises herbes qui s'étreignaient dans leur essence, se nourrissant des perles qui s'échappaient et se perdait dans les tissus, descendant jusque dans leurs os, ces plantes qui pleuraient et riaient et se souriaient quand le ciel se déchirait. Leur jeunesse vigoureuse éclataient en corolles éclatantes, les deux fleurs s'épanouissaient après le lavage que leur accordaient les cieux, naissaient en couleurs éblouissantes, et Mitra les voyaient rougir sur les lèvres de Merry. Mais bientôt les pétales se sont fanées et ratatinées sur leurs tiges, et Merry se fit entraîner dans une voie à sens unique, qui la faisait chaque jour se mourir un peu, la rapprochait de la terre, faisait s'éteindre la lumière qui dansait dans ses yeux et irradiait de sa poitrine les alentours. Elle est devenue plus transparente, disparaissant en reflets opalescents et en dernières étreintes, dernières fleurs sur ses lèvres, dernières vagues tendres sur leurs épaules.
Bientôt, Mitra errait dans la lande, après avoir bu jusqu'à la dernière goutte le temps qui s'engrainaient dans le calice, et tuaient Merry, et se distillait comme un poison dans ses veines. L'adolescence avait disparu avec Merry, et tout dans le paysage était désormais devenu souvenir de Merry, image de Merry. Mais Mitra n'avait plus peur de la pluie depuis que cette figure pâle habitait chaque brindille, et descendait vers le sol rejoindre les restes des heures heureuses de sa jeunesse, reposant doucement sous l'herbe. L'orage était le reliquat de celles-ci, et dans l'esprit de Mitra, il n'y avait pas de photographies délavées, il n'y avait que des figures encore vivante qui la lui rappelait. Depuis qu'elle a disparu comme ces feuilles mortes flottant dans les rigoles, qui s'évanouissent dans les bouches grillagées des égouts vers les bas-fonds des villes, depuis que la place sur le banc était devenu vide, celle qui pendant si longtemps était devenue devenue double, depuis ce temps-là, dès que Mitra revenait sur la butte du grand chêne, quand le ciel qui pleurait lui faisait revenir Merry, la pluie était devenue son soleil.
Et l'astre brillant se levait une fois de plus sur les terres, et Mitra ne pouvait le trouver plus magnifique qu'en ces instants.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top