Nouvelles Lettres Portugaises ou l'art de la douleur
Après une rupture, il est fréquent de faire des choses inhabituelles et de chercher la consolation là où l'on pourrait croire impossible de la trouver. Les Lettres Portugaises ont été, pour moi, cet auxiliaire inattendu de ma guérison
2008
* nothing left to lose, ethos music
Première Lettre
Vois, mon Aimé, combien ton inexpérience nous a causé de tort. Pauvre de toi ! Tu t'es laissé piéger, comme moi, par les accents poignants de ces mots tendres ; par la mélodie de ta propre voix tandis que tu te berçais d'illusions. Mais maintenant, à la vue de ce leurre, un désespoir profond te saisit. Regarde ce que ton absence cause en moi. Regarde cette déchirure, cette douleur trop intense que je ne saurais nommer. Par ta volonté cruelle, tu m'infliges des tourments méphitiques, mon Ange Noir. Le plus grand de tous est la perte irrémédiable de ce doux refuge : jamais plus je ne pourrai surnager sur le lac de tes prunelles d'ambre sombre. Elles étaient la barque dans laquelle j'affrontais les méandres de la vie. Mon bonheur, ma joie claironnaient au son de leur choc sur ma peau. Malheureuse que je suis ! Les miennes sont privées de leurs feux. Leurs éclairs se sont dilués quand tu as déversé dessus le flot glacial de ton constat terrible : tu ne m'aimes plus.
Dans le petit miroir de la salle de bains ne se reflètent que joues, lèvres, paupières rougies, gonflées par les larmes. Des heures durant, le souffle court, la poitrine oppressée par des sanglots et des cris perçant - par moments - le silence de la nuit, le miroir me confronte à ce bleu de chine que, par le passé, tu as contemplé avec amour, et qui s'affadit à chaque nouvelle crise.
Ton choix irrévocable m'a depuis longtemps privé de la raison. ...de ma raison de vivre. Un vide immense emplit les lieux où elle devrait trôner. Je m'étais offerte à toi. Pendant tant de temps, je n'ai vécu que par et pour le bonheur de répondre à tes désirs, de calmer tes craintes, d'apaiser les blessures de ton âme tourmentée, respirant par ton haleine, le cœur irrigué par la liqueur de tes charmes. Désormais, je suis devenue à mon tour une âme en peine, car tu as arraché, en partant, l'essentiel de ce que j'étais devenue, transfigurée par tes désirs. Quand nous nous sommes connus, tu hésitais encore à vivre, n'osant affronter les obstacles de l'existence. Cependant, sans te brusquer, je t'ai relevé. Mon malheur revêt des aspects plus informes, plus laids que ceux qui t'étreignaient alors car personne ne prendra soin de moi. Mes jours ne sont que soupirs. Mon ''aujourd'hui'', mon ''ici et maintenant'' sont devenus un ''hier''dénonciateur d'une éternelle douleur qui gèle, dans ce tourbillon figé, les espérances d'une amante meurtrie. Languissante, j'attends sans raison, un quelque chose qui ne viendra pas.
Pourtant, à tout instant, je m'admoneste avec la dernière vigueur :
« Es-tu bête à ce point que tu acceptes la disparition de tes charmes, de ton enthousiasme, de ta force vitale par amour pour un enfant capricieux qui ne se préoccupe en rien de ton sort et qui, même, rirait de ta mort ? »
*Spiro, axi rosenberg
Mais ces derniers mots sont trop cruels ! Ils pincent si violemment mon cœur et le frappent si fort, que, le souffle coupé, la rage, le désespoir - impétueux, emportent mon être, le roulent et le fracassent contre le grès de ton indifférence. Je me cabre, me tord, me plie en deux, haletant, sans voix, espérant que je parviendrai au moins à gémir afin d'extérioriser et maintenir à distance, autant qu'il me sera possible, la folie menaçant de me faire sombrer.
Pour conjurer ce sort fatal, du fond de mon esprit embué, je devrais te reconnaître coupable de ce crime immonde : me délaisser. Te détester. Te haïr même... Misérable que je suis ! Cela est au-dessus de mes forces. Je veux me persuader encore que tu reviendras, même si la raison m'enjoint de ne plus croire en ton retour. Je veux croire encore que tu es sensible au témoignage de mes sentiments, même si le silence que tu m'imposes de subir, délite mon âme, déchiquette mon cœur et maintient mon esprit sur les bords d'un gouffre profond qui me fait frissonner de crainte et d'horreur. Plutôt mourir !
Mourir par amour pour toi serait moins terrible, à la vérité, que de ressentir sans relâche ces tourments infinis, tellement vifs qu'ils m'ôtent jusqu'au loisir de penser ! Lorsque tu te plaisais encore à...Tu semblais prendre tant de plaisir aux manifestations de l'amour que je te professais alors ! Pourquoi ? Pourquoi refuser soudain les marques de ma vive affection et jusqu'à mes efforts pour exprimer, avec calme, la tendresse que je conçois à ton égard.Toi dont j'ai perdu le droit de susurrer le nom adoré... Pourquoi te montrer si dur et si froid ?
Mais je m'égare. Ce n'est pas cela. Tu me réclames, légitimement, une liberté que je ne parviens pas à te rendre. Là se concentre le distillat de mon malheur. Mais c'est bien moi, aussi, qui en suis cause. Mon pauvre Ange ! Comment puis-je oser prétendre t'aimer si je ne parviens pas à te laisser libre de tes mouvements, de tes sentiments ? Vis, mon Amour. Déploie tes ailes du haut des sommets que tu as atteints, mon bel Aigle. Si tu chutais, je serais là. Je serai toujours là. Mais... Insensée que je suis ! C'est précisément ce que tu ne veux pas. Ne crains rien : mon corps ne me porte plus. Mes jambes se dérobent sous moi. Bientôt, je disparaîtrai sans laisser de traces ni sur cette planète, ni dans ton cœur aveugles. ...dans ton cœur. Quand ai-je perdu cette place qui m'était chère, essentielle, vitale ? Et de quelle manière ?
Comment ? Mon dévouement au cours de ces deux dernières années, tu ne les comptes pour rien ? J'avais foi en toi. Vois-tu, je m'étais dressée contre tout le monde. J'ignorais les conseils de prudence, les sourires de pitié, les sarcasmes. J'étais la seule à tenir pour rien, volontairement, les risques d'écueils de notre couple. Je croyais ta volonté plus ferme, tes sentiments, véritables !
Mais tu me demandes de t'effacer de ma mémoire ! Tu te plains de la violence de mes emportements ! Dis-moi, sincèrement, aurais-tu pu te satisfaire d'une passion moins ardente que la mienne, y trouver ton comptant ? Dans quel cœur feras-tu naître des sentiments plus vrais, plus forts ? Qui pourra t'aimer, un jour, comme je t'aime : sans jamais s'offusquer de tes défauts et de cette peur maladive qui te fait fuir en avant et détruire au fur et à mesure, depuis des années, tout ce que tu construis?
Mon Amour. Pourquoi me rejeter de la sorte ? Je suis prête à te suivre dans cette patrie qui m'a ravi tes sens ; cette terre, la seule qui te charme désormais. Mais tu ne le veux pas. Te charger d'un fardeau tel que le plus solide, le plus indissoluble et le plus inconditionnel des amours, tu ne le souhaites pas. Pourquoi m'avoir juré tant de fois ton amour si c'était pour m'abandonner ensuite sans raison ? Et pourquoi t'acharner à me blesser ? Ton indifférence est la plus odieuse des injures !
Je te demande pardon, mon Ange Noir ! Tu es dans ton droit ; je suis dans mon tort. Le désespoir de cet amour sans frein qui se disperse dans les nuées, je voudrais te l'offrir encore. Pardon, mon Ange. Pardon. Je m'assagirai. Je me rendrai à tes vues. Je désire que tu sois heureux. Laisse-moi seulement le temps d'accepter. Je cesse de t'accabler de mes larmes, de mes pleurs. Pardon. Je veux te sourire, mon Amour. Te sourire...
Je dois achever cette lettre. Je ferais mieux de la brûler ; mais tu resterais, pour toujours, dans l'ignorance de l'état de mon âme. Pourtant...Ces phrases hoquetant, c'est toi qui... Mais je ne veux pas que tu le saches. Je t'aime trop pour accepter de te mettre sous les yeux la souffrance que j'endure par toi. Tu ne recevras jamais cette lettre, mon cher Ange Noir.
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