À mon père

Ce soir, j'ai écrit une lettre à mon père. Je crois que, pour la première fois depuis un an et demi, j'ai enfin extériorisé toute la haine qui m'habite. Et ça fait peur à lire. Je ne sais pas quoi en penser. En tout cas, je croyais il y a un an et demi que ma colère était passagère, c'est pourquoi je ne la lui communiquais pas, parce que je pensais que j'allais regretter ensuite. Mais je pense profondément chaque mot de cette lettre. Et c'est ce qui me fait peur, c'est que ce n'est pas que de la colère ; c'est une haine viscérale que je n'avais jamais ressenti auparavant. Je vous laisse lire et, peut-être (je l'espère), réagir.




Je te déteste. Je t'aime. Je déteste t'aimer. C'est en partie à cause de toi si je suis devenue cette boule de haine, de colère et de culpabilité, cette personne qui ne sait plus aimer, qui ne sait plus se réjouir du bonheur des autres, qui ne sait plus vivre. Oui, c'est à cause de toi, tout ça. J'ai essayé de chasser cette colère, de toutes mes forces. Après n'est restée que la tristesse, un désespoir qui m'a presque engloutie. C'était pire que tout. Te haïr était tellement plus simple, alors j'ai recommencé. Des fois, j'ai eu envie que tu meures. J'ai eu envie que vous mourriez tous, toi, Mamie, tous, pour le mal que vous m'aviez fait et parce que vous m'en rendiez coupable - et parce que je commençais à vous croire. Je vous hais parce que vous avez fait de moi cette personne que je déteste, qui ne cesse de pleurer et d'être en colère pour un rien, et ensuite de culpabiliser pour de nouveau pleurer et ainsi de suite en un cercle sans fin. Je vous déteste pour avoir ravivé en moi cette blessure béante de l'abandon et cette terreur immonde de décevoir, de voir dans leurs yeux - ceux de mes ami.e.s, de Maman, de tout le monde - ce sentiment insupportable. Je vous hais. Quand je vois cet ami bouffé par la haine envers son père, cette haine que j'ai vu briller dans ses yeux et qui m'a terrifiée, je me rends compte que je n'en suis pas loin. Et lui me dit que moi au moins, j'ai un père, que lui n'en a jamais eu et qu'il donnerait n'importe quoi pour être à ma place. Mais n'est-ce pas pire ? D'avoir un père et de se rendre compte que tous les souvenirs que l'on a de lui ne sont que poudre aux yeux, un masque de bonté et de père aimant pour cacher la vérité d'un amour qui est peut-être inexistant ? J'ignore pourquoi, je la crois quand elle me dit que tu ne m'as jamais aimée, que tu es un pervers narcissique qui joue des apparences pour renvoyer cette image de famille parfaite alors que ton cœur est de pierre. C'est horrible, non ? Comment je peux la croire ? Comment je peux remettre ton amour en cause ? Ça expliquerait pourtant tant de choses... Comme pourquoi tu n'as jamais essayé de te remettre en question depuis deux ans, de te mettre à ma place pour comprendre la souffrance que tu me causes. Je te hais. Et en même temps, quand les souvenirs ressurgissent, la douleur qui me déchire le cœur me rappelle que je t'aime, je t'aime beaucoup plus que tu ne le mérites. Je t'aime parce que tu es mon père, parce que tu as autrefois été mon modèle, parce que j'ai toujours été ta préférée et que ça crevait les yeux. Parce que j'avais l'impression d'être celle qui comptait le plus, comme j'avais l'impression d'être qui comptait le moins chez Maman. Parce que, quand j'allais mal, je me disais que j'irais me réfugier chez toi, à cinq cents kilomètres, pour échapper aux mauvais souvenirs de l'endroit où je vis les trois quarts du temps. Mais tout ça n'était qu'illusion, et tu m'as refusé ce refuge. Et pour ça aussi je te hais. Et je te déteste d'autant plus que je sais que tu lui feras pareil, quand elle aussi arrivera à un âge où elle remettra en cause tes paroles. Tu la détruiras elle aussi, pas vrai ? Comme tu as détruit Maman - même si elle se cache derrière la haine pour ne pas le montrer -, comme tu m'as détruite moi. Elle aussi tu lui diras qu'elle t'a déçue, tu lui feras croire qu'elle n'est pas digne de ton amour. Je te hais, je te hais, je voudrais que tu souffres autant que moi, je voudrais que le poison de mes mots s'insinue dans tes veines comme il a contaminé les miennes, je voudrais que tes genoux ploient sous la souffrance, que ton visage se déforme sous le poids du désespoir qui t'accable. Finalement, personne ne le sait, mais personne ne te hait autant que moi, pas même Maman. Personne. Et je te hais tellement qu'aucun mot n'est suffisant pour décrire l'ampleur du dégoût que tu m'inspires. Tu es un poison, tu tues tout ce que tu touches, et je deviens comme toi. Et pour ça je te hais encore plus. Et je ne peux même pas vomir mon dégoût, ma haine, ma colère ; ils me brûlent, me rongent de l'intérieur, et personne ne le voit. J'ai voulu te pardonner, j'ai voulu... Je ne sais même pas ce que j'espérais. Que tu changes ? Oui, j'ai sûrement été assez bête pour espérer ça. Mais quand je suis arrivée devant toi, les paumes ouvertes avec mon cœur dedans, te suppliant de panser les plaies, tu me l'as pris et tu l'as broyé entre tes mains, une seconde fois. Et maintenant il peine à battre, parfois je me dis que ce serait plus simple de le faire s'arrêter. Est-ce que ça te ferait quoique ce soit ? Je n'en suis même pas sûre. Peut-être que tu te sentirais mieux, tu n'aurais plus de source de déception permanente, pas vrai ? D'ailleurs, comment as-tu expliqué mon absence aux dîners de Noël ? Je suis sûr que tu n'as pas eu le courage de leur expliquer notre conflit. Peut-être même as-tu craché sur moi comme tu l'as fait au téléphone, quand tu as craché ton venin, disant que j'étais mal élevée. Je te hais, bordel, je te hais. Et toi qui dit que mon message d'il y a un an et demi était irrespectueux, que penserais-tu de celui-là ? Tu ferais semblant d'être blessé, encore, alors que seul ton égo serait blessé ? J'en ris presque d'imaginer ce faux rictus de tristesse sur ton visage. Ferais-tu semblant de pleurer ? Je ne t'ai jamais vu pleurer. Tu devrais voir le rictus de haine pure qui orne mes lèvres en cet instant. J'en ai marre de pleurer pour quelqu'un qui piétine mon cœur dans le moindre remords. Je vais me relever, tu vas voir. Je vais me relever et je viendrais te cracher ma haine au visage quand tu t'y attendras le moins. Et si tu la fais pleurer, je ne sais pas ce que je ferai. Si tu la fais se remplir de haine et de désespoir et de culpabilité comme tu me le fais, je ne sais pas ce que je ferai. Sincèrement, je crois que si tu étais en face de moi à cet instant, je serai capable de te sauter au visage. Si tu fais ça, je ne maîtriserai plus rien, c'est certain. Oh, une dernière chose ; il se peut que j'arrête de t'appeler Papa, tu ne mérites plus ce surnom affectif depuis bien longtemps. Papa, c'était celui qui me consolait, qui avait un sourire dans les yeux quand il me voyait. Papa, c'était ton masque. Depuis que tu l'as enlevé, tu ne l'es plus ; tu es un étranger.

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