Chapitre 6 ~ Saut dans le vide

La première chose que je fis en rentrant fut certainement la plus intelligente : Me jeter sur mon lit à l'exemple des princesses Disney en pleine déprime.

« - J'ai fait une pizza, tu viens manger ? »

Jo' est à ma porte.

« - J'ai pas faim. Mange sans moi. »

Elle ne dissimule pas son soupir tandis qu'elle vient s'asseoir sur le bord de mon lit.

« - Tu t'es disputé avec Angus ?

- Non. Et puis pourquoi tout le monde pense que je me suis disputé avec lui ?

- Parce que c'est généralement la tête que tu fais quand vous vous chamaillez tous les deux, mais vous connaissant, on sait aussi que ça ne dure jamais bien longtemps. Vous ne pouvez décidément pas faire l'un sans l'autre, et ce, depuis...Depuis toujours je crois. »

C'est vrai.

Déjà à l'école primaire j'avais pour habitude de ne rester qu'avec Angus ou autour de lui si nous n'étions pas dans la même classe. Je ne sais même pas pourquoi. C'était pas le seul gars de l'école et je jouais et rigolais avec les autres aussi, mais Angus...Il était différent. Tout chez lui transpirait la différence.

Il restait assis dans un coin, il regardait la cour s'animer autour de lui et il souriait.

Un sourire triste. Comme si la vie était là, devant lui, mais qu'il n'osait pas faire le grand saut pour la rejoindre. Il a toujours été un peu à part ou plutôt, il se mettait à part de son plein grès.

Alors la première fois que je l'ai vu, j'ai tout de suite su, comme si c'était instinctif : Ce gars aura besoin de moi.

Et j'avais raison.

Angus s'est accroché à moi, s'est battu avec moi, s'est amusé avec moi et il ne m'a jamais lâché la main. C'est comme s'il était devenu petit à petit dépendant de moi alors que tout ce que je voulais pour lui c'est qu'il se trouve une place dans le monde. Sa place.

Mais le peu de fois où j'ai osé le laisser seul, ça a viré au désastre.

En primaire, une fois, j'ai refusé de rentrer avec lui, il s'est fait renverser par une voiture. Heureusement plus de peur que de mal, mais il a quand même eu le bras cassé pendant deux mois.

Au collège, il s'est retrouvé embarqué dans une bagarre avec des voyous lui cherchant des noises. Au final, il s'est réfugié dans un parc pour enfant sous une pluie battante et a attendu que je vienne le chercher...à trois heures du matin.

Et au lycée...

Au lycée je ne l'ai pas lâché. Je n'ai osé. La vérité est que je tenais beaucoup trop à lui pour lui laisser la moindre occasion de s'attirer de tels soucis une nouvelle fois.

Mais voilà, les soucis sont là. Ils étaient devant moi pendant tout ce temps. Ce n'était un truc passager comme un accident de voiture ou se faire agresser dans une rue mal éclairée...Non...C'était pire. C'était le genre de problème qui vous colle à la peau et qui vous tue à petit feu. Qui vous bouffe de l'intérieur.

Qui vous fait souffrir.

Qui vous blesse un être qui n'a jamais rien demandé et qui s'est toujours tenu à l'écart de tout.

Alors, dites-moi ? Pourquoi est-ce qu'il faut que ce soit lui ?

« - Tu ne veux pas me raconter ?

- Je pense pas que tu puisses m'aider cette fois-là.

- T'es sûr de toi ?

- Ouais...C'est à moi d'utiliser mes neurones. »

Je ne peux pas prendre le risque d'impliquer plus de monde que ça. Angus et moi, dans notre quête d'identité et d'amour, dans notre quête de nous-mêmes et de l'autre, on a foutu un beau bordel. D'abord Jo', ensuite Mona...Puis après ? Ça sera le tour de qui d'entrer dans la spirale infernale de nos vies ?

Et heureusement que ma conversation avec Jo' fut interrompue par le téléphone, car je pense que j'aurai fini par vider mon sac.

« - Je vais répondre. Mais je n'en ai pas finis avec toi grosse tête. »

Elle s'en va tandis que je me retourne, croise les bras derrière ma tête et me mets à réfléchir à toutes les choses que je pourrais lui dire. Toutes celles que je rêverais de lui dire.

Puis j'entends malencontreusement la conversation de Jo'.

« - Non. Je ne pense pas. Attendez, je vais lui demander. Parker ! Viens voir un coup ! »

Je me lève, étonné tandis que ma sœur tient le combiné de l'autre main.

« - Dit, t'es rentré avec Angus ce soir ? »

Pourquoi ?

Dis-moi Angus ? Pourquoi faut-il toujours que ce soit comme ça avec toi ?

« - Non, il est parti avant moi, je pense qu'il est déjà chez lui. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »

Le truc avec mon aînée, c'est que tout son visage trahi la moindre de ses émotions et là, je ne vois que de la surprise.

Non.

De l'inquiétude.

« - Angus n'est pas chez lui. Il n'est pas rentré. »

Tout mon corps a agi instinctivement tandis que mon cerveau analyse encore ce qu'il vient d'entendre.

« Angus n'est pas chez lui. Il n'est pas rentré. »

J'ai attrapé ma veste, mon téléphone et je suis parti en courant.

J'ai essayé de l'appeler. Pas de réponse.

J'ai essayé de lui envoyer des textos. Pas de réponse.

36 appels manqués pour 74 textos envoyés.

J'ai niqué mon forfait.

Ce qu'il y a de bien quand vous connaissez quelqu'un comme votre poche, c'est que vous savez probablement où le trouver.

Alors, je suis allé là où je pouvais le trouver et je me suis mis à prier. Je ne crois pas en dieu, ni en une quelconque autre divinité, mais si ce genre d'entité divine existait, qu'elle me laisse alors l'occasion de le revoir. De le revoir en bonne santé. Sain et sauf.

Ce n'est pas dans ses habitudes de ne pas rentrer. Non. Lui, il préfère s'enfermer dans sa chambre et s'y terrer à vie plutôt que de disparaître de cette façon. Je le sais.

« - Pense comme lui. Pense comme lui. Aller abrutis, fait fonctionner ton cerveau de bon à rien. »

Et si j'étais rentré avec lui ? Si je l'avais rattrapé dans les couloirs ?

Si j'avais regardé, même de loin, où il allait ?

Si...Si...Si j'avais été plus à l'écoute de son malheur ?

Est-ce que ça aurait été différent ?

Je suis allé au parc pour enfants, mais il n'y était pas.

Je suis allé dans cette salle d'arcade, mais il n'y était pas.

Je suis allé près de la gare, dans ce petit bar qu'il aime bien parce qu'il lui rappelle celui de ma sœur, mais il n'y était pas.

Nulle part.

Angus n'est pas là.

Et si il avait été ...Si il...

Non, non, non. Ce n'est pas le moment de penser négativement. Je dois le trouver.

Non.

Je vais le trouver.

Ca fait déjà trois heures que je suis dehors, à bout de souffle, et je ne le vois pas. Ni ici. Ni là.

J'ai l'impression que mes jambes vont me lâcher tant elles tremblent.

C'est ridicule. Pourquoi est-ce que je panique ?

Pourquoi est-ce que j'ai peur ?

Angus va bien. Angus va toujours bien. Quoi qu'il fasse...

« - Angus... »

Je le vois, assis là, sur le rebord d'une barrière, au-dessus de la mer.

« - ARRÊTE ! FAIS PAS LE CON ! »

Il se retourne vers moi et son regard surpris en dit long.

Je me précipite tandis qu'il me regarde avec un sourire bien triste.

Comment peut-on accepter de souffrir autant sans rien dire ?

« - Tu ne devrais pas être là Parker.

- Descends de là...Hé...S'il te plaît, descends.

- Je prends l'air...Tu sais, je me suis mis à réfléchir à plein de trucs. Au sens de la vie, au sens même de mon existence. Je me suis demandé si des gens tenaient à moi et...

- Sois pas con ! Bien sûr que y'a des gens qui tiennent à toi ! Y'a tes parents et puis Jo' et...Moi ! Moi je tiens à toi ! Allez, descends de là, c'est pas un endroit où tu peux rester.

- Tu crois que la vie mérite d'être vécue ? Tu crois que...

- Angus ! Je t'en supplie, descends de là ! On discutera après si tu veux. »

Mais juste, descends.

Par pitié.

Je t'en prie.

Entends-moi. Entends ma voix.

Ne fais pas ça.

« - Tu sais, au fond, ça ne serait qu'un cas parmi un autre, tous les jours des jeunes se suicident. Ça ne choque plus...Les gens se disent « oh mon dieu » sur le coup, mais ensuite la vie reprend son cours. On les oublie et on se dit que de toute façon, ils étaient mentalement instables pour faire ce genre de chose.

- Ne m'oblige pas à être témoin de ça. Angus, je t'en prie...Je me mets à genoux si tu veux...

- Alors, ne regarde pas. Fais comme si tu ne me voyais pas.

- Mais je te vois putain ! Te voir souffrir comme ça, bouffer de l'intérieur à cause de gens stupides, ça me bouffe aussi ! Tu ne le comprends pas ? Te voir mal alors que je ne peux pas t'aider, parce que je ne sais pas comment t'aider ! Je ne sais pas quoi te dire ! Quoi faire ! Comment être. Je veux le faire, mais j'ai peur. Peur d'être maladroit. Peur de faire quelque chose de travers.

- Peur de me blesser, hein ?

- Putain Angus, descends de là. Je te jure que si tu ne descends pas, promis, je viens te chercher par la peau du cul et je te ramène.

- Je suis pas doué en sport, mais on sait que le temps que t'arrives jusque-là, je serais plus rapide.

- T'n'envisages pas ça sérieusement quand même ? Hé...Dis-moi...T'oserais m'abandonner ? T'oserais me faire ça ? M'infliger ça ? T'oserais me briser comme ça ?

- T'es fort toi Parker. Tu t'en remettras. Tu t'en remets toujours. T'es toujours là, souriant, t'entendant avec tout le monde...Mais moi...Moi je ne suis pas comme toi. »

C'est faux.

« - Ma force c'est toi tête de nœud. C'est nul à chier et archi niais, mais si je suis comme ça, c'est parce que t'es là. Tous les jours je me demande ce que je ferais sans toi ? Comment je vivrais sans toi ? »

Comment j'aimerais sans toi ?

« - Si tu le dis... »

Entends-moi, par pitié...Angus....Entends ma voix.

Entends mon cri. Entends mes larmes.

Ne fais pas ça.

« - On a eu du bon temps ensemble quand même...C'était drôle, mais...Le truc c'est que..Malgré tout, j'y arrive pas. À combler ce trou. Ce vide à l'intérieur de moi. Même avec toi. J'y arrive pas. J'ai l'impression d'être un monstre. »

Mais moi je l'aime ce monstre.

Alors, descends de là.

« - Parker ? Si je te disais que t'aimais c'était vraiment, vraiment, vraiment les plus beaux jours de ma vie ?

- Arrête. On n'en a pas fini toi et moi. Je te jure, je trouverais une solution pour toi, pour moi. Pour nous deux. Laisse-moi t'aider. Repose-toi sur moi. Crois-en moi. C'est si dur que ça ce que je te demande ?

- ....

- Je te demande si tu m'aimes assez pour vivre pour moi ! Angus ! »

Je le vois se redresser, se mettre debout sur la rambarde, les bras tendus.

Seigneur...Faites que...Faites que...

« - C'est trop dur pour moi. »

On dit que quand on frôle la mort, même de loin, on voit sa vie défiler devant ses yeux.

Le seul truc que j'ai vu, moi, ce sont les larmes d'Angus, se penchant dans le vide.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top