Longue descente
CW : contenu érotique léger, angst.
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J'ai décidé de n'aller plus que chez des personnes avec qui je n'ai aucun lien. Éviter de repenser à celleux que j'ai connu et qui ne sont plus. J'essaie plutôt d'en apprendre plus sur les Parisiens lambdas, inconnus, banals. Me faire une idée de la vie de celleux qui peuplaient les rues, que je croisais sans les reconnaître. Je commence par un vieil immeuble près d'un serrurier où je récupère du matériel pour crocheter les portes. Sur les boîtes aux lettres, une étiquette attire mon attention : « Nous n'aimons ni la pub, ni les sectes, nous sommes locataires et pauvres, merci de votre compréhension. » Je souris et monte jusqu'au sixième étage. Leur serrure me demande un certain temps à forcer, inexpérience oblige. Heureusement, c'est pas du trois points. Lorsqu'enfin je peux la tourner, je ne peux empêcher un frisson d'excitation et de stress dans mon ventre. Et s'iels étaient encore chez eux ? J'ouvre doucement la porte et une personne me fait face. Exclamation de surprise, je recule précipitamment. Rire nerveux. Elle porte la main à sa bouche, tout comme moi. Cheveux noirs en pagaille, cernes. J'ai vraiment une tronche de déterrée. En haut du miroir, tracé au feutre rouge « Bouh ! »
Définitivement amusée et intriguée, j'explore de fond en comble ce qui avait dû être une coloc' animée. La poubelle porte une étiquette « men are trash » (les mecs sont des déchets) et la chasse d'eau « patriarcaca » ; un petit dinosaure juché sur une horloge murale semble me suivre du regard dans le salon ; tous les tomes 6 et 9 des mangas sont rassemblés sur une étagère et, dans un autre coin de la bibliothèque, la bible trône aux côtés du petit livre rouge.
Sur la porte de la première chambre, un papier avec « horny jail » (prison de personne chaudes). À l'intérieur, sur le sol, autant de feuilles remplies de phrases raturées que de fringues, une boîte à chaussures simplement nommée « lewd box » (boîte coquine) remplie de sex toys arc-en-ciel. Le lit est défait et les draps comme encore secoués par une étreinte jamais terminée. Dans la seconde chambre, c'est une tour en kapla en cours de construction qui m'accueille. Une planche git à part : geste interrompu. J'étouffe. Vies brisées. J'ouvre la fenêtre. Vent rafraîchissant. Cœur boum-boum, tendance à se calmer. Je suis seule dans ce monde où la vie s'est arrêtée, va falloir s'y faire. Ou alors chaque autre être humain vit dans sa propre Terre.
Prise d'une pulsion, je finis la tour.
Au cours de mes escapades, je trouve des appartements trop grands pour leurs occupants ; des si denses de souvenirs que je retrace la vie de celleux qui y habitaient avec aisance ; des presque dépouillés de tout objet et qu'on dirait vides de toute vie. Je lis des journaux intimes (presque sans gêne) qui me rapprochent de personnes, comme des ami•e•s de longue date. Je découvre des secrets enfouis : robes cachées derrière des chemises et jeans dans une chambre couverte de posters de voitures et de jeux vidéo ; un CD de metal dans la table de nuit d'une maison avec une grande collection de classique ; une mèche de cheveux blonds dans un portefeuille quand brosses et peignes n'ont que des cheveux bruns ; une pochette remplie de roubles ; un album photo dans lequel certaines têtes sont systématiquement barrées ; une chambre avec un lit triple ; du chocolat blanc caché dans une boîte à thé au milieu d'un placard rempli de produits vegan ; et surtout, plus beau hasard de tous, une installation de bouts de miroirs qui, à une heure précise le matin, forme avec les reflets un « je t'aime » lumineux.
Toujours, je remets ce que je dérange à sa place.
Au cas où l'humanité revient.
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