Infraction
TW : angst, mention de rupture.
Et puis je me mets à marcher au hasard, esprit bloqué, incapable de redémarrer. Je me rends compte longuement que je me dirige vers chez mon ex. Le dernier endroit où je me suis sentie entière. Non pas à côté de quelqu'un mais avec quelqu'un. Elle et moi enlacées, un monde complet. Ses lèvres sur les miennes : nous sommes une.
Animée par un espoir qui me râcle l'estomac.
Dédale. Paris est un labyrinthe pour lequel je n'arrive pas à être certaine qu'il existe une sortie. Les rues défilent : immeubles inconnus et points de repère. Un bar que j'aime bien, où j'allais souvent. Avant ? Concentre-toi, penses-y plus tard, ne sonne pas l'angoisse, respire, oublie. Voiiilà Hannah, c'est bien.
Plus personne ne prononcera mon prénom.
Oublie ! Concentre-toi sur tes pas. Esquive lignes et fissures, marche sur les bandes blanches du passage piéton.
Est-ce que j'attends que le petit bonhomme passe au vert ?
Comment perdre l'habitude de regarder avant de traverser, maintenant qu'il n'y a plus perso –
Merde. Garde tes habitudes pour le moment. Peut-être qu'iels reviendront. C'est temporaire, voilà. Une annonce du gouvernement que j'ai loupé. Je suis si distraite parfois olala.
Plus qu'à le croire.
Et toujours les bâtiments s'approchent, tournent autour de moi et disparaissent dans mon angle mort. Jamais je ne les connaîtrais tous. Et les habitant•e•s non plus.
Parce que je ne peux pas connaître plusieurs milliers de personnes. Pas parce qu'iels ont disparu, voyons. Pensée purement théorique, philosophique ! Je zyeute mon angoisse. Elle semble avoir gobé le subterfuge. Pensée double. Savoir une chose fausse et la croire vraie. Survivre.
J'arrive devant l'immeuble de mon ex et me trouve con. Comment entrer maintenant ? Pas de clefs, évidemment, j'ai dû lui rendre quand... Je les lui ai rendues. Je tire la porte, au cas où. Et elle s'ouvre. Bien, et après ? Sa porte à elle sera fermée. Je ne vais pas aller chercher de quoi crocheter et la forcer ! Je ne suis pas... prête. Au cas où, je monte quand même les cinq étages. Impression de rentrer à la maison, souvenir de moi qui dit « je suis pas essoufflée par l'escalier, mais par ta beauté » que j'enterre. Comme prévu, je ne peux toujours pas rentrer chez elle.
Je reste quelques minutes assise sur les marches de l'escalier, à fixer la porte, tête vide, sans savoir quoi faire. Et puis le plan débile. L'idée parfaite. Je me suis toujours dit qu'on pouvait grimper sur son balcon depuis l'extérieur. C'est le moment d'essayer. Et tant pis pour les conséquences. Au pire quoi ? Je meurs ? On m'arrête ? Ce serait même souhaitable. Grande inspiration et je me lève. Profiter de ma résolution, agir sur la décision, éviter de réfléchir.
Mes talons qui claquent sur les marches me rappellent que je devrai les enlever si je veux escalader la façade. Espoir que je me fasse choper, hurler dessus, par pitié. Je n'arrive pas à y croire. Déjà. Passant devant les boîtes aux lettres, j'ai une autre idée. Je chope un paquet de prospectus de la veille dans leur poubelle et l'utilise pour bloquer la porte d'entrée, au cas où. Une fois dehors, j'inspecte le terrain. La moitié des balcons est couverte par une partie décorative qui ressemble à des persiennes en ciment ou à une échelle dont les barreaux seraient en diagonale vers le haut, suffisamment espacés pour y poser le pied ou la main sans trop de soucis. Je passe les doigts dessus. Pas glissant. La montée sera un peu acrobatique – cinquième étage quand même – mais pas trop difficile. À part le vertige. Et la chute qui me laissera vivante mais brisée. Ne pas y penser. Je commence à avoir l'habitude.
Ainsi, je grimpe : je m'accroche d'une main et me propulse avec un pied pour poser l'autre sur la décoration et soudain c'est fait : je m'élève, j'ai passé la barrière du normal. Plus facile que prévu. Je reste immobile un instant pour apprécier mon équilibre. Tout semble correct. Je monte d'un barreau : c'est surprenamment facile, personne n'y a pensé avant ? Mon ascension se passe donc sans souci. À mesure que le sol s'éloigne, le vent souffle plus fort, mais reste gérable. Sous mes doigts, la peinture beige est légèrement humide après la nuit et me rappelle de faire attention à ne pas glisser. Je progresse donc lentement mais méthodiquement, trop consciente qu'une erreur pourrait me coûter cher.
C'est finalement assez libérateur d'oser enfin faire une de ces choses illégales. Barreau improvisé après barreau improvisé, je m'élève et les pensées fusent :
---- Prochaine étape : marcher sur une pelouse interdite ! Trop ouf.
---- Oh ! Et puis dîner dans un supermarché
---- Dormir dans les lits des literies
---- Entrer dans une boîte de nuit mal fringuée
---- Visiter les couloirs secrets des musées
---- Danser sur la scène de l'opéra
---- Fouiller les archives de la bibliothèque pas loin de chez moi
---- Entrer chez les gens, m'imprégner d'eux par chacun des petits détails, m'interroger sur les objets, comprendre qui iels sont – étaient. Voyeurisme. Porte vers le passé. Vers l'humanité disparue.
J'enjambe le balcon en inspirant.
Me retourne et expire face à la ville.
Aucun bruit.
Le sol paraît vachement plus loin que vu d'en bas.
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