~2~ Notre écume souillée
L'écume monte chaque matin comme à son habitude. Les poissons se pêchent, les coquillages s'attrapent, et les hameçons fendent l'eau tumultueuse.
Un village de pêcheurs paisible, ressemblant à la multitude d'autres petites villes de ce type.
Le changement de couleur de l'écume du blanc de neige pour le noir de charbon signala à ma mère que le départ est nécessaire. Celle-ci a été comme carbonisée après le passage rempli de violence des flammes de la révolte et de la colère.
Mais j'ai été bien trop jeune pour le comprendre.
J'en avais longtemps voulu à cet élément noirci pour m'avoir arraché à ce que j'avais connu. Mais aujourd'hui je suis heureuse que cette écume souillée m'ai fait partir de cet enfer déguisé. Malgré que cela m'ai déchirée et continue de le faire aujourd'hui.
Les écumes noires ont jonché mon existence. Après tout celles-ci sont les malheurs invisibles de ma vie.
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Le bruit des machines résonnait dans la pièce. Un témoignage de la mécanique fragile qui tenait en place cet appareil ferreux. Seul le souffle de Madelana s'entendait comme preuve de vie. Vacarmes lointains et sons de tuyauterie remplissaient tout l'espace. Contrastant terriblement avec le bruissement léger provenant de la jeune femme.
Madelana laissait un sentiment de plénitude régner jusqu'au tréfond de son âme. Face à l'immensité noire qui s'offrait à son regard, elle ne pouvait s'empêcher de s'émerveiller. Cette couleur abyssale remplissait tout à travers cette vitre gigantesque. Seuls les projecteurs surpuissants braqués vers l'avant donnaient cette lumière nécessaire à l'apparition d'un gris subtil.
Ce qui se remarquait le plus, c'était un semblant de calme qui possédait l'avant à la coque de verre. Ce genre de silence faux qui ne pouvait être présent que devant cette eau noire. Le son de l'eau, ce faux silence, prenant toute la place.
Tout le reste semblait si lointains, comme inatteignable à l'oreille.
Cette plaque de verre donnait sur le vide de l'océan profond. Renforcée à l'aluminium elle donnait tout de même une transparence parfaite et troublante. Elle était entièrement parcourue par des tiges d'un métal verdâtre. Celles-ci la séparaient en des carreaux de verre qui faisait penser à une rosace s'agrémentant aux murs des églises.
Une véritable merveille de ce qu'elle aimait surnommer : la folie des démesures ou le goût particulier de l'homme à impressionner ses semblables.
Après tout elle n'était qu'un humain parmi tant d'autres, dont l'importance minuscule se faisait aussi petite que sa taille face à la grandeur de cette prouesse. Un aperçu de la taille monstrueuse de l'appareil.
Quelques pas résonnèrent sur le sol de métal. Le son prenait de la place, s'étendait, se parait de grave. Ses échos ne se terminaient plus dans la grandeur de la salle.
Toujours dans cet état de calme, Madelana se retourna vers la source sonore. Son corps entier qui n'était que le résultat d'années entières à l'usine paraissait ne plus contenir toute cette tension. Le regard qu'elle portait semblait s'être complètement radouci.
Des cheveux blonds et un sourire taillé dans la politesse réglementaire le paraient.
Une chemise d'officier à la couleur blanche éclatante l'habillait.
Le nouvel arrivant se faisait analyser par la jeune femme d'un regard. Elle en arriva à la conclusion que ce n'était pas la première fois qu'elle le croisait sur le bateau.
Il se rapprochait d'elle, semblant aussi vouloir profiter de la coque de verre. Vu sa démarche légère c'était sûrement la fin de son service.
Son visage rappelait vaguement quelque chose à Madelana. Comme une ancienne image aux bords fumés par le temps. Une vieille pellicule se mélangeant au reste. Une écume des temps anciens dont la couleur s'était effacée dans la chaleur des fours.
Mettre un nom sur ces traits doux lui était comme impossible depuis la première fois qu'elle l'avait aperçue sur un des ponts pour accéder à sa chambre.
À travers son regard, Madelana avait l'impression folle de revoir un bout de son passé. Les questions l'oppressaient.
L'observait-elle de par sa proximité ?
Ou avait-elle l'esprit embrumé à force de s'émerveiller devant le noir des abysses ?
Elle-même ne saurait le dire. Que de questions sans réponse.
Soudain, un détail lui rappela le nom de cet ancien figurant de sa vie : ses mains rugueuses dans les poches de son uniforme. Un simple fragment de souvenir : la posture de son ancien camarade.
Un interlude semblait s'être épris du temps. Pas une parole, pas un mouvement, pas un changement. Madelana sortit des brumes de son esprit, et d'une voix comme battue par les tempêtes déclara :
« Ocxonod Wanmet, une vraie surprise de te revoir ici.
- Je me disais bien avoir reconnu une Madelana à l'accent si particulier. »
Il se posta à côté d'elle, faisant couiner le sol de marbre de ses chaussures de cuir. Ses yeux aussi s'oubliaient de la même manière qu'elle. Se perdant à son tour un peu plus dans les ténèbres océaniques.
Après un léger silence, il prit la parole voulant le combler de ses mots insipides :
« Tu es devenue quoi ? »
Les interrogations, elle les haïssait. Elles laissaient planer l'inconfort et la peur de la réaction de l'autre.
Pourquoi ne pas se contenter de ce qu'on savait ?
Pourquoi l'homme devait-il avoir toujours plus ?
« J'avais oublié à quel point tu étais compliquée avec les questions, souffle-t-il. Alors je vais en tenter une autre, que fais-tu sur le bateau ? »
Madelana ne prit pas le temps de lui répondre. Une légère pointe d'agacement transperçant doucement sa douceur rare. Tel un début de forte pluie pendant une floraison exceptionnelle.
« Encore une mauvais... Alors je vais aller droit au but, même après des années tu es la même. Aussi mystérieuse que franche. Qui es-tu réellement Madelana, la petite travailleuse aux mains salis en permanence ?
- Pourquoi tu veux savoir ça ? répliqua-t-elle de son ton abrupt. »
Dès qu'une telle véhémence sortait de ses lèvres gercées, des mines se cachaient dans le sol. Des obus étaient prêts à partir. Tout attendait d'exploser quand il s'agissait de son passé. Cette zone sombre et parsemée de larmes intarissable. S'y aventurer était dangereux, un périple dont elle n'avait pas la force de réaliser.
C'était pour oublier cette part d'elle-même qu'elle faisait ce voyage, le raconter à un inconnu serait utile ? L'homme qui se tenait à côté d'elle n'avait rien de celui qu'elle discutait et jouait après ses heures, et lui l'école. Lorsque ses vêtements de suies en lambeaux paraissaient invisibles aux yeux de cet enfant.
Des éclats de ses deux vies lui revenaient. Cris, larmes et rires contagieux se mélangeaient à travers ces vieilles séquences. Sa mémoire lui parut en cet instant infiniment trop lourde pour elle-même. Devenant soudain son propre ennemi.
Devant son air hébété, Ocxonod redemanda, avec plus d'instance cette fois :
« Pourquoi depuis toujours tu continues ainsi Madelana ? »
Elle se le demandait chaque jour. Pourquoi se forcer à garder tant en elle ? Pourquoi n'arrivait-elle pas à délier ce que sa vie avait été ? Tout lui semblait bien trop pour son contrôle, ne pouvant plus absorber cette tempête de souvenirs enfouis. Un mouchoir pour dessécher l'océan.
En faisant ce voyage, une seule certitude l'avait habitée : pouvoir oublier sans regret, se libérer de ses tourments arides. Dans son for intérieur elle le savait : raconter son histoire pitoyable était nécessaire.
« Je suis ce qu'on pourrait appeler un débris de la guerre civile de Cazquaise. Ou encore une arrivante de ce sous-marin. Une gamine déchirée à sa famille. Une petite fille qui n'a connu que le rationnement. »
Madelana c'était cette personne qui aimait s'émerveiller devant un rien.
Madelana c'était cette gamine qui venait de quelque part, mais que personne ne savait d'où.
Madelana c'était cette jeune fille au fort accent travaillant à l'usine.
Madelana c'était cette travailleuse aux cheveux de suie au regard rêveur d'un monde plus clément.
Madelana c'était cette alcoolique notoire qui restait dans les tavernes nocturnes rien que pour s'oublier un peu plus dans la boisson.
Madelana c'était cette personne de plus dans la misère appartenant à la marée humaine dont on tentait d'oublier l'existence.
Mais comment le dire alors que le parfum de l'éther nous obsédait ?
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