4.
Je dévisageai Connie et Sasha alors qu'ils étaient en train de rire, pour la énième fois depuis le début du repas. Comment faisaient-ils ? Comment faisaient-ils pour ne plus penser à tous nos camarades morts à Trost ? A Thomas ? A Minha ? A Marco... ? Comment faisaient-ils pour ne pas les pleurer ? Pour ne pas regretter ?
Peut-être qu'ils ne pensaient à eux que lorsqu'ils étaient seuls. Peut-être que leurs sourires n'étaient qu'une façade, qu'un masque pour cacher leur peine.
Mon regard dévia sur Annie. Elle avait le visage stoïque, aucune expressivité dans le regard, silencieuse. Elle endossait le rôle de la fille forte qui ne ressentait rien pour les autres. Mais je savais que ce n'était pas elle. La véritable Annie pleurait ses défunts camarades la nuit, lorsqu'elle était sûre que personne ne pouvait la surprendre. Elle pouvait ressentir des choses mais elle ne le montrait jamais. Et encore moins depuis que j'avais vu ces larmes sur ses joues. Encore moins depuis que je l'avais prise dans mes bras pour tenter de la consoler.
Si je ne l'avais pas vu aussi désemparée et impuissante ce soir-là, je jurerais qu'elle se foutait de tout. Mais je savais que ce n'était pas le cas, qu'elle faisait semblant, qu'elle jouait les gros dure, sans doute pour ne pas avoir à s'expliquer, à se justifier. D'une certaine manière, je comprenais cette volonté qu'elle avait de vouloir se protéger. Si j'en étais capable, je le ferais aussi. Je n'en avais simplement pas la force.
A chaque fois que je fermais les yeux, je le revoyais me souriant, ses adorables tâches de rousseur dansant sous ses yeux. L'instant d'après, l'image de son cadavre s'imposait avec violence dans mon esprit, m'obligeant à relever le regard, un haut-le-cœur me tordant le ventre de douleur.
Je m'abandonnai à mes pleurs sous les rayons de la lune chaque soir, revivant chaque moment passé avec lui, revivant le début de notre histoire, de notre amour.
Il avait sacrément ramé avant que je ne reconnaisse qu'il me plaisait. Je niais tout en bloque, répétant sans relâche que je n'étais pas de ce bord-là.
J'étais heureux qu'il ait insisté, qu'il n'ait pas lâché l'affaire et qu'il se soit battu à ce point pour me conquérir. Il me lançait souvent des piques pour que je réagisse, n'ayant que faire de l'avis des autres.
Marco, si tu savais comme tu me manques...
On avait terminé un entraînement au combat rapproché. Marco avait une fois de plus réussi à déjouer toutes mes tentatives d'assaut avec brio. Il s'était arrangé pour contrer chacune des prises que j'avais tenté, me faisant râler à la énième chute que je fis.
« Pardon, j'y suis allé un peu fort ce coup-ci... » soupira-t-il en me tendant la main pour m'aider à me relever.
Je la saisis, me redressant en me frottant l'arrière du crâne qui me lançait légèrement.
« Comment tu fais pour contrer tous mes assauts ? J'ai même pas réussi à t'effleurer ! Grognai-je contrarié.
- Tu es trop prévisible Jean. Tu attaques toujours de front sans réfléchir ce qui te rends vulnérable. Tu baisses ta garde et ça me laisse le champs libre pour te maîtriser. » expliqua-t-il d'une voix calme.
Je me grattai la tête, ébouriffant mes cheveux au passage, dans un geste légèrement énervé. Depuis quand Marco me connaissait aussi bien ?
« Hmpf... t'es marrant toi, on m'a toujours appris à attaquer le premier. » marmonnai-je dans ma barbe.
Marco éclata de rire après m'avoir fixé un moment. Quoi ? Qu'est-ce que j'avais dis ? Ma phrase n'avait rien de spécialement drôle... J'avais quelque chose sur le visage ? Instinctivement, je passais ma main sur mon visage pour enlever l'éventuelle saleté qui s'y serait déposer, mais voyant que le brun riait toujours de moi, je fronçai les sourcils.
« Mais quoi ? J'ai un truc coincé entre les dents ? râlai-je en serrant les poings.
- Non, non, c'est... ha ha mais Jean t'es pas possible ! » s'esclaffa-t-il en se tenant le ventre.
Je réitérai ma question en tapant du pied, sur un ton qui se valait plus colérique, mais cela semblait le faire rire davantage. Je croisai alors mes bras sur mon torse, soupirant bruyamment après avoir gonflé mes joues d'air. Marco sembla se calmer, venant essuyer une larme de rire au coin de sa paupière, relevant les yeux vers moi la seconde d'après. Un nouveau gloussement lui échappa, réprimant aussitôt son nouveau fou rire pour venir passer sa main dans mes cheveux. Je sursautai au geste, m'empressant de me reculer d'un pas pour être hors de sa portée.
« Mais ça va pas, qu'est-ce qui te prends Marco ? m'exclamai-je en me recoiffant.
- On aurait dis un hérisson, gloussa-t-il dans sa main.
- Pff... et ça t'amuses de te moquer en plus ! »
Il ne m'en fallut pas plus pour venir lui ébouriffer les cheveux à mon tour, ne pouvant m'empêcher de rire en même temps que lui. Ce qui fut moins drôle, ce fut lorsque le chef instructeur Shadis se posta à côté de nous pour nous réprimander. On avait écopé d'un rallongement de l'entraînement d'au moins trois heures...
La nuit était déjà tombée lorsque l'on eut terminé. Mais, bien que notre unique envie était de regagner notre chambre après avoir mangé un bout, on s'était laissé tomber sur le sol, complètement épuisés par cette après-midi à avoir fait travailler nos muscles.
« Je crois que je n'ai même plus la force de me lever... souffla Marco allongé à côté de moi.
- Pareil... mes muscles me font un mal de chien... »
Le brun acquiesça simplement, le regard rivé sur les étoiles. Je me mis alors à faire de même, admirant l'immensité du ciel comme si le temps s'était arrêté pendant un instant.
« C'est beau. » lâcha mon ami comme absorbé par la vue qui s'offrait à lui.
Je tournai la tête pour le regarder. Il avait un sourire béa collé au visage, les yeux brillants, ses tâches de rousseurs scintillant presque sous les rayons de la lune. Il tourna la tête pour me regarder à son tour, me souriant alors qu'il plantait son regard dans le mien. Bizarrement, je ressentis le besoin de me détourner de lui, mal à l'aise par son regard qui semblait me percer et me scruter tout entier. Je l'entendis lâcher un petit rire qui me sembla nerveux, alors que je reportais de nouveau mon attention sur lui.
« Oh regarde Jean ! Une étoile filante, fais un vœu ! » s'écria-t-il en pointant son doigt vers le ciel.
Je relevai le regard rapidement pour apercevoir l'astre traverser le ciel, laissant une traînée blanche derrière lui, formulant mon vœu dans ma tête en priant pour qu'il se réalise.
« Quel vœu tu as fait ? Me demanda-t-il.
- Intégrer les brigades spéciales. Et toi ? » Questionnai-je en le regardant.
Il tourna la tête vers moi, étouffant un rire avant de m'offrir un sourire chaleureux. Ses yeux plissés sous ses joues respiraient la malice, ses tâches de rousseur venant accentuer ce côté taquin qu'arborait son visage.
« C'est un secret, répondit-il fier de sa phrase.
- Oh aller quoi dis-moi ! Répliquai-je en lui donnant une tape sur l'épaule.
- Ha ha non sinon il ne se réalisera pas ! » ria-t-il en se redressant.
J'insistai, m'asseyant à mon tour en tailleur, le poussant pour qu'il cède plus vite. Je souris en l'entendant se rendre, soupirant avant de relever le regard. Il adopta soudain une expression nettement plus sérieuse, son regard précédemment malicieux devenant plus suggestif, alors qu'il avança sa main dans l'herbe. Il prit appui dessus, réduisant considérablement l'écart qui nous séparait, mais le temps que je le comprenne, sa main avait déjà rejoint mes cheveux. Je sentis mes joues chauffer au geste sans comprendre ce qu'il cherchait à faire. Et alors que je l'avais repoussé toute à l'heure devant les autres, à cet instant je le laissais faire, comme hypnotisé par ses yeux noisettes profondément ancrés dans mon regard.
« J'aime quelqu'un. » dit-il alors que sa main quitta ma tête.
Je retroussai légèrement la lèvre au geste, comme vexé qu'il ait brisé le contact si vite et qu'il s'éloigne de nouveau. Mais sa phrase m'avait interpellé et avant que je ne lui demande de qui il s'agissait, il reprit parole, d'une voix tout aussi calme et douce.
« Et j'aimerais qu'il m'aime aussi... » finit-il dans un souffle.
A l'époque, je n'avais pas compris qu'il s'agissait d'une déclaration codée, que dès le début, Marco avait été amoureux de moi. Je faisais semblant de ne pas comprendre. J'ignorais la tonne de compliments qu'il me faisait. J'étais en réalité terrorisé par tout ce que je pouvais ressentir en sa présence. Et la façon que j'avais de me protéger était de le repousser, d'essayer de le tenir à distance alors que je me sentais pourtant tellement bien lorsqu'il était là.
Lorsqu'il était là.
Mon coeur se serra en y pensant, en pensant à toutes ces fois où je l'avais repoussé, où j'aurais pu profiter. Profiter de lui, de nous. Profiter de tous ces moments où il était encore là.
Où il me souriait.
Où il me taquinait.
Où il me déclarait sa flamme pour la troisième fois.
Pour la quatrième fois.
Pour toutes les fois qui suivirent.
Marco... Je regrette. J'aurais dû profiter de toi lorsque tu étais encore là.
Quand j'en avais encore la chance.
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